Première convention nationale des Acadiens

Year
1881
Month
9
Day
1
Article Title
Première convention nationale des Acadiens
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Page Number
2
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Article Contents
PREMIERE CONVENTION NATIONALE DES ACADIENS Choix d’une Fête Nationale. (Suite.) DISCOURS DU RÉV. H. GIRROIR, CURÉ DE HAVRE BOUCHER. Le Rév. M. Girroir dit qu’il ne saurait hésiter sur le choix à faire entre les deux fêtes proposées. La dévotion tout particulière du peuple acadien envers la sainte Vierge, et envers son Assomption, est là pour nous indiquer combien le 15 août serait populaire comme fête nationale. Peuple distinct, ayant notre histoire et nos traditions à part, il semble que nous devrions tenir à les perpétuer par le choix et la célébration d’une fête qui nous soit propre, particulière. A ce double point de vue, l’Assomption s’impose au choix de cette première convention du peuple acadien. Au reste, nous ne saurions trouver au ciel de plus puissante protectrice. Dispensatrice de la miséricorde et de la grâce divine, Marie veillera sur notre peuple avec un soin tout particulier. DISCOURS DE M. URBAIN JOHNSON, M. P. P. Je regrette vivement, dit-il, de ne pouvoir m’exprimer avec toute la correction voulue dans la langue française, mais j’espère qu’on me tiendra compte de mon bon vouloir et qu’on me pardonnera mes fautes de grammaire. Je n’en suis pas moins représentant acadien, pas moins dévoué aux intérêts de notre chère Acadie. Dans mon temps, nous n’avions pas les facilités d’aujourd’hui pour nous instruire, et quand on pouvait fréquenter l’école un an, ou six moi même, c’était l’exception. Je vieillis, la barbe me grisonne, mais le cœur est toujours jeune, toujours frais, et il bat aussi fort que jamais pour la patrie. Messieurs, dans la question qui nous occupe, j’ai des opinions tranchées et mes sympathies sont pour l’Assomption, pour le 15 août. Où sera le nom acadien dans vingt ans si nous adoptons la Saint-Jean-Baptiste? Demandez-vous cela, vous, messieurs du nord, qui pour venir ici, avez passé par l’Intercolonial sur les ossements de nos ancêtres dévorés par les bêtes féroces en fuyant la cruauté de leurs persécuteurs; pensez-y aussi, vous messieurs de l’île Saint-Jean, dont les sillons du vaisseau qui vous a traversés a fait tressaillir les ossements de vos aïeux relégués au fond de l’abîme par la fureur de leurs vainqueurs! On parle de ce que nous devons au Canada. Les Canadiens n’ont-ils pas reçu les secours de la Propagation de la Foi? Les Canadiens sont-ils venus parmi nous la bourse pleine pour répandre l’éducation, ou ne sommes-nous pas ceux qui la leur ont remplie, qui leur ont fourni les moyens? Les collèges canadiens n’ont-ils pas eu du support de l’Acadie? Nous sommes reconnaissants aux Canadiens pour ce qu’ils ont fait pour nous, mais d’un autre côté il faut connaître et reconnaître ce qui en est. DISCOURS DE L’HON. S. F. POIRIER, M. P. J’étais loin de m’attendre que la question qui nous occupe créerait un aussi long et aussi vif débat. Pour ma part, messieurs, je regrette profondément la tournure acrimonieuse qu’elle a prise. Personne ne doit craindre, personne n’a raison de craindre le progrès, l’avancement des Acadiens, dont tout le pays en général et toutes les classes de la société devront en définitive retirer des avantages. En 1755, on a vu disperser les Acadiens aux quatre vents du ciel, aujourd’hui nous voyons cette famille éprouvée, dont les malheurs inouïs arrachent aujourd’hui des larmes au cœur le plus endurci, se réunir, se donner la main des différentes provinces qu’elle habite, délibérer en convention sur les moyens les plus propres à asseoir son existence sur des bases solides. Ce fait est bien de nature à réjouir tout cœur français. On a beaucoup parlé de notre manque d’éducation; mais nous pouvons nous glorifier, même sous ce rapport. Les Acadiens sont demeurés, malgré leurs inénarrables infortunes, instruits dans la grande, la principale chose, la religion, à laquelle ils sont restés fidèles et soumis. On objecte contre l’Assomption pour fête nationale, qu’il fait trop chaud à l’époque où elle tombe. Ne pourrait-on pas choisir un jour d’hiver, afin de donner à ceux qui n’aiment pas la chaleur l’occasion de manifester leur ardent patriotisme à la faveur du froid! Je regrettais de voir la politique s’insinuer dans cette convention et en amoindrir les résultats. J’aurais beau à répondre aux insinuations qui ont été faites hier du haut de la tribune, à propos de l’anglification. Je suis acadien et je ne crains pas de la proclamer. On nous fait reproche de traduire nos noms. Vous le savez, messieurs, il fut un temps où tout ce qui sentait le français dans ses provinces était de le point de mire, l’objet de haines et de malveillance auxquelles il n’était pas facile de se soustraire. Il était peut-être nécessaire, utile de s’anglifier un peu pour se défendre, pour éviter les attaques qu’on nous destinait. Au sujet des alliances, auxquelles il a été fait allusion, je suis plus libéral qu’on se s’est déclaré, je suis d’opinion que le jeune acadien doit être libre de prendre sa femme là où il l’entend. J’espère que la prochaine convention aura lieu sur l’Ile St. Jean et qu’il nous sera donné à nous insulaires, de vous rendre l’hospitalité toute fraternelle que Memramcook accorde à nos délégués, qui en remporteront le plus précieux des souvenirs. A la clôture du débat, l’hon. M. Landry, président, félicite les orateurs et les délégués, sur les paroles éloquentes qui se sont succédées dans ce débat comme un torrent qui se précipite de cascade en cascade pour aller de confondre en définitive dans les vagues de l’océan. Il a été parfaitement édifié des flots de patriotisme qu’ont sans cesse coulé depuis l’ouverture de cette convention, et les nobles accents d’éloquence que nous venons d’entendre sur cette grande question de notre fête nationale, si digne de les évoquer, se répercuteront jusque dans les hameaux les plus reculés de l’Acadie française, où ils ne sauraient manquer de créer cet enthousiasme national dont rayonnent tous les visages à cette réunion. Quelle que soit l’issue du vote que cette convention va donner, il faut qu’elle soit acceptée de bonne grâce par la minorité; il faut en un mot que la fête choisie soit acclamée par tout le peuple acadien et chômée sur toute la ligne. (Applde.) Messieurs, ceux qui sont en faveur, de l’adoption du rapport de la commission, c’est-à-dire de l’Assomption pour fête nationale des Acadiens voudront bien lever la main; maintenant ceux qui s’y opposent, voudront bien faire la même chose. La plus vive excitation régnait dans la salle au moment de la division, à tel point qu’il fut difficile pour un temps de déterminer le nombre des voix données de côté et d’autre; mais le tact de M. le président finit par surmonter les obstacles, et à la satisfaction des uns et des autres, car tous purent se convaincre que la majorité était pour le 15 août–l’hon. M. Landry déclara que la motion était emportée. La dernière parole n’était pas sortie de sa bouche qu’une valve d’applaudissements éclata dans la salle. Le calme s’étant rétabli, M. le président demande à la convention de ratifier ce choix par un vote unanime. Toute l’assistance se lève pour manifester son acquiescement à cette proposition du sympathique président, puis nous assistons à une scène d’enthousiasme comme jamais nous n’en avons vue. Les bravos succèdent aux bravos, les hourras aux hourras; tout le monde est sous le coup de la plus vive émotion, qui se traduit par des manifestations qui ébranlent le majestueux collège St. Joseph jusque dans ses fondements. Trois hourras sont successivement poussés pour l’Assomption, le président de la convention, le Père Lefebvre, le Rév. M. Richard, le collège St Joseph, le collège St-Louis, l’épiscopat, le clergé, les Canadiens, le Moniteur, et la séance est levée au bruit de bravos plusieurs fois répétés en l’honneur du Pape et de la Reine. Ainsi se termina la discussion de la première question qui se présentait à la convention et dont l’importance s’est manifestée par la chaleur qu’on a déployée de part et d’autre dans le débat. Espérons que ce choix portera des fruits abondants et que désormais le peuple acadien des provinces maritimes se réunira le 15 août dans ses temples pour retremper ses forces et son courage au pied des autels, se raffermir dans sa foi et son attachement à sa langue et à sa nationalité. Education. [illisible] nous prions le lecteur de faire avec nous un retour en arrière et d’entrer un instant dans la commission de l’Education, qui a siégé immédiatement avant la séance générale de la convention à laquelle s’est fait le choix de notre fête nationale. L Rév. Père Bourgeois occupe le fauteuil, et outre les membres de la commission, nous remarquons une foule considérable de spectateurs qui se recrutent dans toutes les classes de la société acadienne. Dans son rapport qu’on trouvera plus loin, le Père Bourgeois nous fera connaître les délibérations de cette importante commission; mais dès maintenant nous voulons reproduire le discours prononcé par M. l’abbé Girroir, curé de Hâvre Boucher, lequel a été maintes fois interrompu par les applaudissements de l’auditoire. Voici : Messieurs.–Le beau spectacle qui s’offre aujourd’hui à nos regards est bien de nature à faire naître dans nos cœurs des impressions qui ne s’effaceront jamais, et dont le souvenir nous sera toujours agréable. Au début de ma carrière, j’ai souvent assisté à des réunions de ce genre, chez nos frères du Canada, et à la suite de ces occasions intéressantes, je me suis souvent dit : Quand verrons-nous nos Acadiens tenir aussi leurs assemblées afin d’aviser aux moyens de rendre meilleure leur condition sociale et politique? Car ils n’ont rien à envier à personne sous le rapport religieux, puisque leur foi est devenue proverbiale. Quand ce peuple [illisible], mais ignoré en quelque sorte, sera-t-il en position de se montrer au-dessus de l’horizon sociale et prendre son rang au milieu des autres nationalités et se suffire à lui-même? Ce jour tant désiré et qui n’existait qu’en perspective, est enfin arrivé et se réalise au-delà de mes espérances. Nous voilà en pleine assemblée, composée d’Acadiens, présidée et conduite par un noble enfant de l’Acadie et de ses généreux compatriotes, auxquels sont venus se joindre nos aimables frères du Canada, toujours si disposés à nous donner main forte en cas de nécessité. N’avons-nous pas raison de nous de nous réjouir en voyant une réunion aussi respectable que celle-ci et d’y rencontrer des représentants de toutes les professions, ainsi que de tous les rangs de la société acadienne? Le clergé y est dignement représenté, le barreau, la médecine, la chambre des communes et les parlements locaux, enfin le conseil exécutif, le plus haut tribunal de nos provinces. Nous y voyons des inspecteurs d’écoles, des instituteurs en foule, des artistes, des commerçants, des gens de métier et des cultivateurs. Oh! s’il était donc à nos ancêtres de contempler cette union vaste et solennelle de leurs descendants, que leur joie éclaterait soudainement, et peut-être les entendrions nous s’écrier : O vous, nos nobles enfants, qui avez suivi nos traces! marchez courageusement dans le champ de la vertu et à notre exemple que votre devise soit : « Dieu et la Patrie »; les siècles futurs célèbreront vos bienfaits glorieux qui seront des exemples que vos enfants suivront à leur tour, et ils seront grands devant Dieu et les hommes. » Messieurs, permettez-moi, s’il vous plaît de m’écarter un moment du sujet, pour répandre une larme à la mémoire de nos pères, et pour répudier cette noire calomnie dont on a voulu entacher leur caractère. Lorsque les ennemis résolurent de les expatrier, ils les accusèrent de déloyauté; mais en réalité, ce n’était qu’un prétexte pour pallier la cruauté dont ils se rendirent coupables, lors de cette expulsion à jamais dégradante pour eux. Leur avidité insatiable de posséder ces magnifiques terres défrichées au prix de tant de sueurs, ces belles prairies à perte de vue, ravies aux envahissements de la mer et qui avaient coûté tant de fatigues et de privations, et ces nombreux troupeaux excitèrent leur cupidité à tel point que se dépouillant de tous sentiments humains, ils n’eurent pas honte d’agir en barbares et de s’exposer à voir figurer dans l’histoire du pays des actes de vandalisme sans parallèle même chez les nations les moins civilisées. Des faits analogues se sont répétés dans ce dix neuvième siècle, tant vanté pour ses lumières et son influence civilisatrice, dans plusieurs autres pays, surtout dans l’infortunée friande, dont la population a été décimée par les mêmes moyens. Tous ces faits servent à prouver que c’était la cupidité du vainqueur et non la déloyauté du vaincu, qui fut la cause de cette navrante catastrophe. Les Longfellow et les Lemay se sont rendus [illisible] Acadiens, l’un par son chant immortel de la pieuse Evangéline, l’autre par sa traduction fidèle de cette expulsion lamentable pour des cœurs acadiens. Répudions donc avec une juste indignation ces lâches imputations portées contre nos pères, ces braves cultivateurs du sol, dont nous voyons les descendants en si grand nombre, qui, par leurs travaux assidus, s’occupent à rendre le pays riche et prospère. Rendons de justes hommages à nos cultivateurs, cette partie intéressante de nos [illisible] qui forme la base de notre existence indépendante au milieu des autres nationalités. N’oublions pas de l’encourager de toutes nos forces. Oui, chers compatriotes, qui vous occupez à cultiver la terre, attachez-vous au sol de notre pays et suivez les exemples de nos pères, c’est là le moyen d’arrêter ces exodes périodiques qui ne servent qu’à affaiblir nos populations sans améliorer votre condition. Mettez donc un terme, au nom de la patrie, à ces expatriations volontaires, qui nous montrerons plus tard des fragments de population acadienne relégués dans les villes de l’Union Américaine, réduits à y mener une vie de misère et de souffrances après avoir quitté leur belle Acadie, où ils jouissaient d’un bonheur qui ne pouvait être égalé que par celui dont jouissaient nos pères avant leur exil. Messieurs, pardonnez-moi une digression trop longue mais en unisson avec les émotions que j’éprouve. Mais ce n’est pas tout de cultiver les terres pour compléter la stabilité de notre existence nationale. Il faut nécessairement encourager et soutenir nos écoles nationales; il faut que ces écoles soient de bonnes écoles autant qu’elles puissent l’être, des écoles où notre jeunesse puisera les principes de notre religion, pour devenir, plus tard, des piliers de l’église. Des écoles où à l’aide de notre religion; leur intelligence sera cultivée d’une manière solide et efficace. Alors ils pourront se multiplier dans les diverses occupations du pays, et se qualifieront pour entrer dans nos grandes institutions et se préparer les uns à embrasser les professions, les autres à prendre part aux grandes opérations commerciales, etc., etc. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier et ce dont nos populations acadiennes doivent fortement se persuader. Tout en étudiant leur langue maternelle, nos jeunes gens doivent aussi apprendre la langue anglaise, de sorte que possédant les deux langues, ils pourront faire une concurrence effective aux autres nationalités environnantes. J’ai parlé de nos grandes institutions à la tête desquelles figure le magnifique collège St. Joseph, le juste orgueil de la belle paroisse de Memramcook et le point d’attraction des pays voisins, et dont l’érection est l’œuvre du grand génie qui le gouverne. Que des louanges soient donc rendues au bon Père Lefebvre pour avoir su si bien perfectionner ce monument qui a déjà rendu, et qui est destiné à rendre de si grands services à notre pays. Hommages aussi à ses dignes collaborateurs dont les noms m’échappent en ce moment. Hommage au souvenir de feu de M. Lafrance, d’heureuse mémoire, qu’il mit la main, le premier, à la fondation de cet [illisible] chéri. N’oublions pas le collège St. Louis qui, quoique de récente date, ne laisse pas de faire sentir son importante influence toujours croissante. Honneur à notre digne compatriote M. Richard, son fondateur, et à son collaborateur M. Biron, l’ami désintéressés des Acadiens. Que vous êtes fortunés, mes chers compatriotes, de posséder ces institutions, et pardonnez-moi si je vous dis que j’envie le pays qui les possède, tandis que je suis heureux de proclamer leur existence et de rendre mes hommages à leurs fondateurs. Messieurs, il y a des années, je connus de vos compatriotes qui voulut doter sa paroisse et les paroisses environnantes, d’institutions humbles à la vérité, mais très utiles et avantageuses, et déjà elles faisaient sentir leur influence et rendaient des services inespérés : lorsque tout à coup, l’alarme se répandit dans les rangs de nationalités étrangères; et de peur que nos jeunes Acadiens ne fussent un obstacle dans [illisible] de certains protégés, l’esprit d’antipathie et d’exclusion prenant le dessus, et secondé par les autorités d’alors, on fit disparaître complètement ces institutions si utiles. A cette occasion, permettez-moi d’offrir mes humbles hommages aux doux vénérés prélats de Saint Jean et de Chatham, pour leur noble impartialité, et leur louable générosité à encourager vos institutions, au lieu de les entraver dans le principe, comme on l’a vu ailleurs. Gloire donc à ces vénérables dignitaires; gloire à vos institutions ainsi qu’à leurs généreux fondateurs; gloire au peuple acadien, et puissions-nous conserver longtemps le souvenir de ce jour, de cette première convention, qui est le prélude du réveil de l’Acadie.