Les écoles communes au Nouveau-Brunswick en 1860

Newspaper
Year
1896
Month
1
Day
2
Article Title
Les écoles communes au Nouveau-Brunswick en 1860
Author
Ph. F. Bourgeois
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LES ECOLES COMMUNES AU NOUVEAU-BRUNSWICK, EN 1860. Petite étude historique et ethnographique. (Suite.) Le plus ordinaire et le moins compliqué de ces jeux, c’était le Caillou. Quand ce jeu s’organisait en règle, on procédait d’abord à l’élection du Caillou. Le plus vieux des enfants qui prenaient part à cette récréation, faisait mettre tous ses condisciples en ligne devant lui. Il avait une série de mots bizarres qui étaient employés pour les fins d’élection. Il désignait chacun des enfants par un des mots successifs de cette litanie in intelligible jusqu’à ce que, par un procédé que nous ne serions pas sûr de faire comprendre au public, quand même nous l’expliquerions, le Caillou fût déclaré élu. Je me rappelle encore la nomenclature dont nous nous servions dans le village où je suis né. Les mots étaient aussi insignifiants que mal assortis, mais nous les trouvions drôles. C’était un Burgo, jeune homme du voisinage de la Batture qui nous les avait enseignés. Ils se récitaient comme suit : DeCaribi, DeCaribo, DeNaréchâque, DeBobsfardé, Coqrod, Richibouctou, Fabiang, Pollerang, Tourillang, Magshad, Forenougb, Jumpalongboy, Rathole, Keepflat, Poundandahalftobacco. Celui sur lequel tombait le mot final, poundandahalftobacco sortait des rangs, sûr pour cette fois là de n’être pas la bête noire, c’est à dire le Caillou, et l’appel recommençait. Une fois élu, le Caillou n’avait pas de discours de félicitation ou de remerciement à prononcer : au contraire, il devenait un personnage redoutable. Il ne fallait pas se laisser toucher par lui, même du bout du doigt. Les autres n’avaient qu’à le narquer et à fuir. Son devoir, à lui, était de nous poursuivre et de s’efforcer de nous atteindre. S'il lui arrivait d’en toucher un de nous et de dire, en même temps le mot Caillou, ce dernier devenait, à son tour, la terreur des autres. C’est à peu près sur le même principe que se faisait le jeu du père de famille lequel était plus ou moins basé sur le hide and go seek anglais. On élisait un père parmi la troupe enfantine : au père élu, on donnait un fouet, emblème de son autorité. On désignait un endroit—l’aire d’une grange, par exemple,—qui représentait la maison paternelle. Là, le nouveau père n’avait pas le droit de battre ses enfants. Mais tout fils désobéissant qui sortait de l’endroit réservé, en formulant des paroles irrespectueuses envers le père élu : gare à celui-là, s’il tombait sous les mains du papa courroucé, avant d’être revenu en deçà des limites où toute punition devenait extra vires. Les enfants aimaient beaucoup cet amusement. L’exercice corporel n’y manquait point, puis, il était plein d’émotions et de scènes imprévues. Il finissait d’ordinaire, par certaines chamailles et quelques coups de poing qui avaient le bon effet de vider toute la difficulté. Jouer à l’ours était une autre récréation de cette époque. La partie se faisait ordinairement sur le grand chemin, en face de l’école. A un point donné, on traçait avec une baguette une ligne transversale sur la rue ; une autre à cinquante pieds en avant, pius une antre encore, à cinquante pieds en arrière. La ligne du milieu représentait la cabane de l’ours, c’était son domaine : les deux autres étaient les places de refuge pour les enfants. L'ours n’avait point droit de s’avancer jusqu’à ces derniers lieux de sûreté. Le tour d’adresse consistait à passer d’un endroit de refuge à l’autre, en traversant le domaine de l’ours sans être touché par celui-ci qui nous eournit sus, dressé sur ses pattes de derrière. Souvent nous passions intacts. Mais si, par malheur, il réussissait à nous empoigner et à nous passer sa griffe sous la gorge, nous étions égorgés et considérés morts. Il fallait en ce cas, se jucher sur la clôture et rester là, coi, immobile jusqu’à la fin de la partie. Le Chien et les Moutons était un autre divertissement qui nous égayait immensément. Il avait l’inconvénient de nous attirer bien des reproches, parce qu’il était désastreux pour nos habits. L’élection ici était double : il fallait élire un chien, puis un berger ou gardien. Une fois ces personnages choisis par le mode ordinaire des suffrages, tous les enfants se mettaient en file, à la suite du berger. A partir du dernier enfant jusqu’au berger ; chacun se tenait par l’habit de son devancier. Quand le gardien se tournait d’un côté, toute la bergerie en faisait autant. Dans ces mouvements brusques, rapides et imprévus les queues de surtout étaient fréquemment sacrifiées. Le chien se saisissait-il d’un agnelet, il le mettait hors de combat en l’égorgeant sans merci. Pour que la partie fut terminée, toute la bergerie devait subir le même sort. La diversité des mouvements, les évolutions du troupeau, à droite à gauche, amenait souvent des bousculades. Nombre d’agneaux et de moutons roulaient sur le gazon : l’ennemi utilisait ces bons moments pour faire le plus de victimes possible. Les petites filles se livraient, de leur côté, aux mêmes jeux que nous. Elles y mettaient, en général, beaucoup de cris et peu d’adresse. Au reste, leur esprit semblait plus enclin vers les choses de négoce, parce que c’était moins bruyant et que l’entretien d’un petit comptoir leur souriait plus. Dans la belle saison, elles avaient donc de petits magasins où elles vendaient des jargeaux (petits pois de foin de la grosseur d’une tête d’épingle) des pommes vertes, des pois des champs, des marguerites et des bouquets jaunes. Pour acheter des pois, des petites pommes et des jargeaux, il fallait apporter, en échange, des fraises, des groseilles, ou certains autres fruits ou comestibles. On achetait les marguerites et les autres fleurs champêtres avec des cailloux blancs, pourvu qu’ils fussent bien nettoyés et qu'ils n’eussent aucune tâche noire interne. Pour terminer cette étude, rattachons à ce qui précède certaines données relatives aux amusements des enfants pendant les vacances d’été, et quelques réflexions ayant trait à l’éducation de famille. Dans notre village, il y avait beaucoup de fruits des champs, tels que bluets, fraises, framboises, etc. Pendant six à sept semaines, du premier juillet à la mi-août,—pendant les vacances d’été,—les enfants passaient plusieurs heures par jour à cueillir ces petits fruits ou à les manger sur l’arbre. Quand les fraises et les framboises se vendaient bien, tous s'intéressaient, à qui mieux mieux, à récolter ces fruits par pleins paniers et par gallons. J’ai souvent vu des enfants s’agenouiller sur l’herbe des champs et promettre de réciter dix Ave Maria s’ils rencontraient une bonne bouillée de fraises. Une fois cette trouvaille faite, ils s’acquittaient tout de suite de leur promesse, même avant d’amasser les fruits qu’ils avaient demandés avec une confiance si aimable, si naïve. Heureuse époque de la vie ! touchante candeur, sublime disposition de l’enfant chrétien qui sent toujours le besoin de bénir, de remercier et d’aimer Dieu pour les moindres faveurs reçues ! Qui n’aime encore aujourd'hui à se rappeler ces beaux élans de notrt cœur qui, lors de son innocence première, se plaisait à porter ses sentiments de reconnaissance vers la source de tous les dons, comme pour témoigner de l’admirable foi dont notre âme était imbue,—la foi vive, simple et ingénue de nos mères. L’éducation des enfants, au sein de la famille, n’était pas la même, vers le milieu du dix-neuvième siècle qu’elle ne l’est aujourd’hui : l’école devait nécessairement s’en ressentir. Tout étant considéré, valait-elle mieux ou était-elle pire ? C’est ce que je ne réussirais pas à décider clairement : en tous cas elle était différente. Les Acadiens d’alors, à l’instar des Perses d’autrefois, avaient des règles fixes pour définir les devoirs des différents âges, les obligations des vieillards, des hommes mariés, des adolescents et des enfants. L’entrée dans chacune de ces classes n’était pas complètement libre à tous : elle ne se faisait qu’à des époques ou dans des conditions plus ou moins déterminées. Jamais un enfant, ni même un jeune homme, ne se serait permis de discuter avec un vieillard encore moins de lui adresser de gros mots ou des injures. Un malappris de cette espèce eut été montré au doigt ; il aurait fait le déshonneur de la famille à laquelle il appartenait. Un telle impertinence attirait toujours au coupable une punition exemplaire de la part du père on de quelqu’autre membre de la famille. Examinons ici maintenant, ce qu’étaient les affections et les liens de famille à cette époque : car il va sans dire que les coutumes de la famille, la discipline du foyer, influençaient les coutumes et la discipline des écoles. Au fond, les attaches de famille étaient fortes, solides, durables ; mais à peine se manifestaient-elles extérieurement. Etait-ce froideur, flegme anglais, indifférence apparente ou bien des nouveaux traits de caractère introduits insensiblement ou plutôt insciemment parmi nos populations par le fait qu’elles s’étaient mêlées avec des éléments hétérogènes? Peut-être. Il est probable, en effet, que le mélange des premiers colons français avec les indigènes du pays et avec la basse classe des émigrés anglais ait contribué à affaiblir les manifestations extérieures relatives aux affections de famille telles qu'elles ont été conservées en France ou même dans la province de Québec. Les Micmacs sont peu prodigues de caresses envers leurs enfants, c’est connu : certaines classes d’anglais ne valent guère mieux que les sauvages en fait de bienséance, dû politesse ou de signes communicatifs d’amour mutuel dans la famille. On est encore surpris aujourd’hui de voir si peu de marques extérieures de joie parmi les Acadiens lorsque, après des mois et des années d’absence, les enfants viennent revoir leurs parents, un père ou une mère, des frères ou des sœurs. Au lieu de s’entrebaiser, de se sauter au cou, de s’embrasser avec fortes étreintes comme on le fait chez les Yankees, chez nombre d'anglais bien élevés dans les Iles Britanniques, chez les Allemands et surtout parmi tous les descendants des races latines en Europe, on se touche simplement la main droite,— froid accueil que se donneraient aussi volontiers deux matelots de races différentes, lesquels, aux temps jadis, auraient fait ensemble un petit voyage sur mer. Cependant, il ne faut pas s’y laisser tromper complètement : les sentiments de mutuelle affection existent encore et ont toujours existé chez nous, dans leur intégrité, dans toute leur force, dans leur entière sincérité. Ce sont nos malheurs, nos infortunes passées qui nous ont disposés à voiler ainsi nos sentiments quels qu’ils fussent. Dans ces rencontres de parents après de longues absences, le fin observateur aurait bien vu et verrait encore les yeux se mouiller de part et d’autre, les cœurs se serrer, les paroles s’étouffer sous l’émotion de pareils moments el de semblable joie. Admettre que nous sommes ou que, nous ayons été, par le passé, insensibles aux liens du foyer, ce serait mettre en suspicion la sainteté du lit conjugal, ce serait nous mettre en évidence comme un peuple au sein duquel ne coulent plus les grâces et les bénédictions que Dieu et ses oracles accrédités, ont promises aux époux fidèles et aux mariages chrétiens. Non : bien que chez nous ces liens soient peu démonstratifs et qu’ils se manifestent en des signes peu touchants, ils n’en existent pas moins au fond de l’âme et, aux occasions données, ils agissent fortement et sans crainte. Nous avons décrit les corrections faites dans certaines écoles : voyons comment se donnaient les avertissements et les réprimandés dans quelques familles. On verra ainsi comment dans certains milieux, les influences de l’éducation de famille rejaillissent jusque dans les écoles autant pour ce qui est de l’instituteur que pour ce qui regarde les enfants. Dans les familles que nous avons connues, les corrections à l’endroit des enfants étaient faites bien grossièrement. Ce n’était pas cette monition charitable recommandée par l’évangile qu’on faisait aux enfants. Au contraire, c’était l’ordre sec, l’avis menaçant, ce reproche rude qui témoigne moins de la décharge d’un acte de conscience, d’un devoir de père, que du parti pris de dominer l’enfant, de le foudroyer sous la crainte, de le terrasser sous les coups. —Taisse ta goule, lui criait-on, avec aussi peu de déférence qu’on en eut montrée à un marron de la Jamaïque. — Passe te coucher, lui disait on encore avec un ton de voix aussi raide que si on eut enjoint le même ordre au chien du logis. — Va t'assir et ne desserre plus les dents, ou je vas te faire sonner ma main autour des oreilles Celui-là, c’était le dernier avis, précédant de près l’emploi de la hart ou la fessée traditionnelle. Ces menaces, avouons-le, apparaissent, à prime abord, sauvages et barbares, pour des parents chrétiens et civilisés. Elles venaient plus de la bouche que du cœur, car elles étaient souvent proférées par des parents braves, honnêtes et craignant Dieu. Heureusement, cette rudesse primitive disparait à vue d’œil ! personne ne la regrettera. —Au point de vue de la morale, nos vieux acadiens étaient en présence de leurs enfants, des modèles de prudence de réserve dans leurs discours aussi bien que dans leur maintien et leur tenue générale. C’est ce qui explique la bonne morale qui existait dans nos écoles, au milieu de notre siècle. Les bonnes mœurs des enfants étaient alors pieusement et strictement sauvegardées. Leur piété et leur foi étaient développées, dès leur plus tendre enfance. L’amour du home, du vieux toit paternel était mieux entretenu qu’aujourd’hui. Les enfants travaillaient plus que maintenant : ils étaient, au reste, plus forts, et munis de meilleurs muscles. Les jeunes gens d'aujourd’hui sont, en revanche, plus confiants en eux mêmes, mieux préparés pour prendre leur part de cette manne du ciel qui tombe, tous les jours, dans le désert du monde. Ils sont aussi mieux aguerris pour faire la lutte avec les races qui nous entourent et pour obtenir en grandissant ce qui leur est dû à titre de citoyens britanniques ayant droit, comme tout autre, au patronage des classes dirigeantes, à la sympathie et à la confiance de tous. PH. F. BOURGEOIS Ptre. Professeur. Collège St. Joseph, N. B., ce 28 Décembre 1895.