Replique au Professeur Lanos

Newspaper
Year
1895
Month
11
Day
14
Article Title
Replique au Professeur Lanos
Author
Placide P. Gaudet
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
REPLIQUE AU PROFESSEUR LANOS. M. l’Editeur.— Quelle idée a pu déterminer M. Jules Lanos, professeur de français à l’Académie d’Halifax, à écrire la lettre qu’il à publié dans l’Evangéline du 7 novembre, à attaquer la cause plaidée quelques jours auparavant dans le même journal. Il attribue à l’Union des Cantons de l'Est des choses que cette feuille n’a ni dit ni même insinué. L’Evangéline dans son premier Weymouth du 3 octobre dernier a parlé de la nécessité d’avoir en français un traité d’Histoire des Provinces Maritimes dans le genre de celui de M. John Harper L’article de l’Evangéline avait pour titre L'Histoire dans nos écoles, et débutait en faisant l’éloge du beau livre de M. Richard dont le but a été de “réfuter, de corriger, devant le public intéressé, toutes les fausses pièces et les opinions erronées qui ont en cours jusqu’aujourd’hui.” Jamais il n’a été question de vouloir faire adopter cet ouvrage dans nos écoles publiques. La semaine suivante l’Union des Cantons de l’Est publiait aussi un écrit ayant pour titre “Les Acadiens de la Nouvelle-Ecosse et l’Enseignement de l'Histoire. L’écrivain fait un plaidoyer en faveur d’une nouvelle compilation de nos archives provinciales, et propose que M. Richard soit un des commissaires choisis pour faire ce travail. Connaissez-vous bien notre histoire, M. le professeur ? Quiconque en a les moindres notions sait que le gouvernement provincial a fait publier en 1869 un volume intitulé Nova Scotia Archives. Ce volume comme le dit si bien l’Union “est partial, malhonnête, tronqué et incomplet, il n’a pas sa raison d’être.” Et c’est pour remédier à cette injustice envers les Acadiens que l’auteur de l’écrit du journal des Cantons de l’Est, propose qu’on lui en substitue un autre. Mais ce nouveau volume de nos archives n’a rien à faire avec la question d’un précis rectifié de l’Histoire de l’Acadie dans nos écoles élémentaires, et c’est là où M. Lanos s’égare à un tel point qu’il devient nécessaire pour la cause de la vérité historique de relever ses erreurs et lui montrer sa mauvaise foi. L’article de l’Union a été reproduit dans l’Evangéline du 31 octobre dernier, accompagné d’un premier Weymouth sous la rubrique Retouchons nos archives, dans lequel on donne l’historique de la compilation du volume fait par feu Thomas Beamish Akins. Les justes demandes des Acadiens ont fort déplu à M. le professeur Lanos qui “sent Québec en tout cela,” et, au moyen d’un subterfuge il insinue qu’on cherche à amener en cette province les difficultés scolaires du Manitoba. Mais là n’est pas la cause de sa crainte au sujet de la tranquillité publique. Quelques uns des messieurs de la société historique de la Nouvelle-Ecosse qui lisent l’Evangéline n’auraient-ils pas par hasard poussé M. Lanos à écrire les inepties qu’il a publiées dans l’Evangéline du 7 du courant ? La chose est bien possible, car le public n’a sans doute pas oublié la consternation et l’émoi qu’a causé dans les rangs de cette docte société l’apparition, en 1889, dans le Canada-Français, de la magistrale étude de M. l’abbé H. R. Casgrain, intitulée : Eclaircissements sur la question acadienne.—Le serment d'allégeance. Aussi à une des premières réunions des membres de cette société, en décembre de la même année, M. le professeur H. Y. Hind, de King’s College, Windsor, donna une conférence sur l’expulsion des Acadiens en essayant d’amoindrir, si possible, la justesse des coups terribles et écrasants que le savant abbé portait contre cette société pour avoir tronqué sciemment un important document. Séance tenante les membres de cette société “votèrent confiance en eux-mêmes,” et, la chose étant venue aux oreilles de Mgr O’Brien, Sa Grandeur envoya aussitôt au Herald une lettre qui débutait comme suit : “Résolu—que nous avons confiance en nous-mêmes,” le club Pickwick pourrait fort bien adopter une semblable résolution, mais ce n’est guère le genre de réponse qu’on est en droit d’attendre d’une société historique spécifiquement accusée. Personne, je présume, ne s’attend que les faits du professeur Hind seront pris plus au sérieux aujourd'hui que ses chiffres ne l’ont été il y a quelques années. C’est pourquoi il faut plus qu’une résolution de confiance en eux-mêmes de la part de la société.” Comme on le voit les membres de la société historique de la Nouvelle-Ecosse ont peur de M. l’abbé Casgrain, et le magnifique livre de M. Edouard Richard a dû augmenter leur frayeur, c’est pourquoi ils ne voudraient pas assez vraisemblement qu’il fit partie de la commission sur les archives. Quoique d’origine acadienne cet écrivain est né dans la province de Québec et M. Lanos semble vouloir lui attribuer les premiers Weymouth de l’Evangéline dont il vient d’être parlé, mais en cela comme dans les autres parties de sa lettre il se trompe énormément car je liens de M. Landry lui-même que M. Richard n’est pas l’auteur des articles en question. A propos du livre de M. Richard il ne contient pas une seule phrase, ni même un mot qui puisse blesser la susceptibilité d’un anglais protestant. Que M. Lanos se donne la peine de le lire et il verra que je dis vrai. Il n’a jamais été, cependant, question d’en faire un livre de classe et M. le professeur de français à l’Académie d’Halifax s’éloigne de la vérité en avançant le contraire. M. Lanos nous dit : “l’histoire qui a cours dans les écoles de la Nouvelle-Ecosse est en somme la plus impartiale que nous puissions avoir entre les mains, celle qui rende à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.” Etes-vous bien sûr, mon cher professeur, de ce que vous avancez ? L’avez-vous lue sérieusement ? Le cadre de cette lettre ne me permet pas de discuter les mérites et les démérites le “History of British America for the use of schools by John B Calkin." Je relèverai, cependant, en posant, deux grosses inexactitudes. La première est à la page 51 où il est dit que le premier gouverneur anglais à Annapolis après la reddition du fort du Port Royal, en 1710, fut le colonel Nicholson. M. l’abbé Casgrain et MM. Rameau et Richard ont aussi commis la même erreur. C’est le colonel Samuel Vetch qu’on aurait du dire. Si jamais il prenait fantaisie à M. Lanos d’étudier les annales des dix premières années des Acadiens sous le régime anglais il comprendra alors lu justesse de donner à César ce qui appartient à César. C’est là où M. l’abbé Casgrain, Rameau et Richard s'écartent de la vérité en attribuant au pauvre Vetch les méfaits de Nicholson envers les Acadiens. L’autre erreur est au bas de la page 73, où on y lit : “On évalue à 3,000 au moins le nombre des Acadiens qui furent bannis de la Nouvelle-Ecosse.” Si l’auteur qui semble avoir puisé ces chiffres dans l’ouvrage de James Hanney, eut dit que près de 8,000 Acadiens furent déportés dans les colonies anglaises du continent il aurait été dans les limites de la vérité. Il y aurait bien des choses à relever dans le précis d’histoire en question, comme par exemple, la destruction du fort du Port Royal par le pirate Samuel Argall, à l’automne de 1613, mais que M. Calkin place en 1614, imitant en cela Andrew Archer dans A History of Canada for the use of schools in New Brunswick. M. le principal Calkin s’écarte encore de la vérité en disant qu’à l’approche des Anglais en cette occasion les habitants se sauvèrent dans les bois, voulant par là insinuer qu’ils étaient des lâches. Le récit qu’ils donne des querelles entre LaTour et d’Aulnay est trop partial en faveur du premier, sans doute parce que les Anglais le comptent comme huguenot. Ce qu’il dit des Acadiens aux pages 48 et 52 renferme des sous entendus très défavorables et injustes à nos pères. De plus à la page 67, en parlant de l'érection de fort Luwrence à Beaubassin en 1750, on y lit que les Acadiens mirent eux-mêmes le feu à leurs maisons à l'arrivée du major Lawrence. On saura à quoi s’en tenir sur cette calomnie dans la seconde partie de ce travail. Quant aux raisons que donne M. Calkin pour expliquer l’expulsion il y a beaucoup à redire, mais je m’en abstiens pour le présent, et quoique les quelques inexactitudes que je viens de signaler sur ce livre de classe qui a cours dans les écoles de la province peuvent peut-être paraître d’une importance secondaire, cependant quiconque connaît les plus minutieux détails de l’histoire l’Acadie conviendra avec moi que l'auteur est loin de rendre à César ce qui est à César. Depuis que M. Calkin a écrit son précis historique en 1882, des milliers de documents ont été consultés et copiés à Paris et à Londres et déposés au bureau des archives à Ottawa. Les analyses qu’en donne annuelle ment M. Douglass Brymner dans son rapport sur les archives du Canada jettent une nouvelle lumière sur les faits de notre histoire. Il devient donc nécessaire d’avoir un nouveau traité de l’histoire du Canada pour être placés entre les mains des enfants qui fréquentent nos écoles. Cette nécessité a été comprise puis qu’il y a quelques années une prîme a été offerte à celui qui écrirait la meilleure histoire de la Puissance pour l’usage de nos écoles, et actuellement une commission composée d’hommes compétents choisis dans chacune des provinces du Dominion est chargée de se prononcer sue le travail le plus méritant des concurrents. L’historien Benjamin Suite fait partie de cette commission. Mais le traité d'histoire dont il est question qui selon les apparences sera adopté dans chaque province est en langue anglaise. Pour nous, Acadiens des Provinces Maritimes, c’est un traité en notre langue qu’il nous faut. Je ne crois pas ici commettre une indiscrétion en disant que le Revd. Père Ph. F. Bourgeois, professeur de rhétorique au collège de St Joseph a en préparation un ouvrage de ce genre, et M. Lanos connaît très bien la chose. Or, quelle raison peut-il donc avoir pour vouloir empêcher l’adoption du précis historique du R. P. Bourgeois. Vaudrait-il par exemple en faire un lui-même ? Ou les éloges qu’il s’est donné lui-même dans la presse lors du congrès de Truro, l’ont-ils rendu tellement prétentieux qu’il se croit autorisé à venir nous dicter nos livres de classe ? Et de plus pour un qui se dit catholique c’est de la perfidie de sa part d’essayer de soulever en cette province pour empêcher la réussite de nos projets la question brûlante des écoles du Manitoba. Mais assez sur ce sujet, et puisque M. le professeur est assez peu charitable d’accuser l’abbé LeLoutre d’être cause de l’expulsion des Acadiens, je vais lui faire voir qu’il ne fait bon d’attaquer une des gloire de l’Acadie. Cela formera la seconde partie de ma réplique. PLACIDE P. GAUDET.