Souvenirs de l'Acadie

Year
1881
Month
9
Day
22
Article Title
Souvenirs de l'Acadie
Author
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Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
SOUVENIRS DE L’ACADIE Nous extrayons des souvenirs d’Amérique, qui font partie de la correspondance de M. de Bacourt, ministre plénipotentiaire de France à Washington en 1840, quelques passages sur l’Acadie. Cet extrait intéressera vivement nos lecteurs. Voici ce qu’écrivait M. de Bacourt : Washington, 10 octobre 1840 Voici une histoire qui est parfaitement vraie, peu connue et peu honorable pour les Anglais. Après la paix fatale de 1713, par laquelle la France céda une grande partie du Canada, et entr’autres celle nommée Acadie, à l’Angleterre, le gouvernement anglais commença par changer le nom d’Acadie en celui de Nouvelle-Ecosse, qu’elle porte encore maintenant; puis, en 1755, il y fut publié un ordre enjoignant à tous les habitants, sans exception, de se rendre, le 5 septembre, dans les lieux qu’on indiquait sur différents points de la contrée. Les habitants s’y rendirent en effet, bien loin de se douter de quoi il s’agissait, et, d’ailleurs, pour éviter les peines sévères dont on menaçait ceux qui manqueraient à l’appel. On leur signifia, aux différentes réunions, un décret du gouvernement britannique déclarant toutes leurs propriétés, de quelque nature qu’elles fussent, confisquées au profit de la couronne d’Angleterre : seulement on leur permettait d’emporter leur argent comptant et leur vêtements. Mais il fallait se préparer à quitter le pays pour être transportés à quitter le pays pour être transportés à cinq cent milles de là dans la partie la plus reculée du Canada. Le jour du départ, c’est-à-dire cinq jours après la publication le 10 septembre 1755, les troupes furent mises en mouvement pour contraindre les récalcitrants. On s’empara d’abord des hommes jeunes et vigoureux et on les fit marcher dans un premier convoi : les femmes, les vieillards et les enfants suivirent plus tard. Les plus déterminés, s’enfuirent au fond des forêts les pins sauvages près des rives du fleuve Saint-Jean, inexplorées jusqu’alors. Prières, larmes, supplications, rien ne put arrêter l’exécution de cet ordre inique et barbare, et dix huit mille Français furent ainsi arrachés à leurs terres bien cultivées et fertiles, dépouillés de leurs propriétés, séparés de leurs familles, car on les divisa par petites bandes, et transportés dans des provinces éloignées où ils furent dispersés avec l’humiliation, la pauvreté et le désespoir pour compagnons, au milieu de populations protestantes, hostiles à leur religion, à leur pays, à leurs mœurs, à leurs usages, sans rien savoir du sort les uns des autres et sans la moindre espérance de jamais se revoir. Un fait curieux se rattache à cette lamentable histoire : Quelques uns de ces malheureux s’étant sauvés sur les bords de la rivière Saint-Jean, il n’en fut plus question. Cinquante ans se passèrent jusqu’à ce que les Etats-Unis et l’Angleterre se querellant sur leurs frontières du Canada, il devint nécessaire d’explorer les contrées mentionnées dans le traité de 1783, par lequel l’Angleterre a reconnu l’indépendance des Etats-Unis. En 1803, des ingénieurs anglais se rendirent sur les rives de la rivière Saint-Jean pour chercher les traces de la limite fixée par le traité. Quel fut leur étonnement en rencontrant au milieu de ces bois qu’on croyait absolument déserts, une population de mille à douze cents Français dont l’existence était absolument ignorée du monde entier; ils avaient gardé leur langue, leurs usages et leur religion, et pendant cinquante années le clergé du Canada leur avant envoyé des prêtres, en tenant leur retraite si secrète que personne en Angleterre ni aux Etats-Unis ne se doutait qu’ils fussent là. Après avoir été découverts, quelques uns restèrent dans leur campement où ils sont encore : d’autres passèrent du côté des Etats-Unis, d’autres enfin entrèrent dans les possessions anglaises.