"Acadia"

Newspaper
Year
1895
Month
9
Day
19
Article Title
"Acadia"
Author
Benjamen Sulte
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
“ACADIA.” II La reprise de la guerre, en 1754, vit renaître les appréhensions des quelques Anglais qui exploitaient l’Acadie et amena la déportation des habitants français et catholiques. Comment cela? Les Acadiens avaient pourtant tenu une conduite exemplaire durant la période de 1744-48 où toutes les colonies du nord de l’Amérique se faisaient la guerre, aussi verrons-nous dans l’instant que, sans l’intervention du gouverneur Lawrence, rien n’eut été changé dans le sort de ce peuple. Ce qui est très bien expliqué par M. Richard ce sont les événements de 1749 à 1754, lapse de temps compris entre les deux guerres et par conséquent de toute importance pour l’étude qui nous occupe. Le traité d’Aix-la-Chapelle, 1748, avait dit que les limites des possessions anglaises et françaises seraient fixées par une commission déléguée des deux gouvernements et, comme les travaux traînaient en langueur, M. de la Jonquière envoya le chevalier de la Corne bâtir un fort à l’endroit où il estimait que devait être la frontière de la Nouvelle Ecosse, du côté du Nouveau-Brunswick, c’est-à-dire entre la baie Verte et Beaubassin. Ce fort, érigé en 1749 et appelé Beauséjour, était situé à une courte distance de la petite rivière Messagouetche destinée à servir de barrière entre les deux couronnes. L’abbé Le Loutre employa toute son énergie, même la violence, pour diriger du côté de Beauséjour les Acadiens de Beaubassin, ce que voyant, Lawrence bâtir un fort sur l’emplacement de ce village à moitié détruit, à deux milles du fort Beauséjour. En octobre 1751 le capitaine Edward Howe fut tué par un Sauvage au bord de la rivière Messagouetche. En 1749 Cornwallis débarqua deux mille cinq cents personnes à Chibouctou et fonda Halifax. Ces choses avaient lieu simultanément aux deux extrémités de l’Acadie. Dès son arrivée, Cornwallis recommença la tracasserie du serment d’allégeance. Les Acadiens lui représentaient qu’ils avaient déjà prêté ce serment, il leur répondait qu’il fallait le renouveler et cette fois n’y mettre aucune restriction. Il n’y eut pas moyen de s’entendre. Cette affaire du serment devenait très grave. D’un autre côté, les officiers canadiens du fort Beauséjour, et surtout l’abbé Le Loutre qui demeurait avec eux, insistaient vivement auprès des Acadiens pour leur faire passer la frontière, tandis que les Anglais suppliaient ces derniers de ne point partir. Tout Acadien allant aux Français paraissait à Cornwallis, à Lawrence, à Scott, un ennemi de plus à combattre prochainement, car la guerre grondait en Europe et en Amérique. La colonie d’Halifax augmentait. L’Acadie devait renfermer alors cinq mille Anglais et douze mille Acadiens. La situation se dessinait sous un jour nouveau, qui permettait de songer aux sinistres projets conçus en 1720. L’assassinat du capitaine Howe fut attribué aux Français, particulièrement à l’abbé Le Loutre, et cela ne pouvait qu’exciter les passions des Anglais. A partir de 1749, les Micmacs s’étaient mis à attaquer les Anglais partout en Acadie. On voulait obliger les Acadiens à prendre les armes contre ces Sauvages, ce qu’ils refusaient de faire. Encore ici se créait une source de mécontentements et de haines. Cornwallis proposa aux ministres d’anéantir les Micmacs afin de s’en débarrasser; il lui fut répondu qu’il, résulterait de ce massacre une guerre générale des Sauvages de l'Amérique du Nord contre les colonies anglaises, et qu'il ne fallait pas s'attirer un tel malheur. Dans les années troublées de 1749-52, Cornwallis apparaît l’auteur de tout le mal. Lorsqu’il repartit pour l’Angleterre, l'automne de 1752, il semblait se rendre compte du résultat que produisaient sa hauteur, ses exigences et son système de terreur aussi maladroit qu'injuste. M. Richard est porté à croire que, sans les actes de Cornwallis, l’abbé Le Loutre n’eut pas cherché à attirer les Acadiens de Beaubassin dans les territoires français. Hopson, qui succéda à Cornwallis mais ne resta en place que durant quinze mois, fit presque briller l’âge d’or parmi les Acadiens. Le féroce Lawrence le remplaça. Il est étrange, observe M. Richard, que l’on écrive sur l’Acadie ayant toujours le gouvernement anglais sous les yeux et ne voyant pas les petits gouverneurs qui faisaient le bien ou le mal, selon leur nature. Hopson possédait le secret de se faire aimer, parce qu’il avait du cœur et se mettait dans la situation de ceux qu’il administrait. Lawrence parait avoir conçu son plan de déportation l’été de 1754, car, à partir de ce moment, il ne cessa de chercher à exaspérer les Acadiens par des mesures cruelles ou humiliantes et des plaintes futiles, mais celles-ci donnaient couleur de raison aux actes sévères qu’il commettait contre ces braves gens. Le tout fut un complot pour s’emparer des terres des Acadiens. Au mois de juin 1755, tandis que Shirley assiégeait et prenait le fort Beauséjour, des soldats enlevaient les armes des Acadiens aux Mines, à Port-Royal, etc. Il y avait deux mille neuf cents fusils pour une population de douze mille âmes. Personne ne fit de résistance, ce qui désappointa grandement Lawrence, car il comptait sur un soulèvement pour saisir les habitants et les déporter. Les Acadiens envoyèrent des pétitions pour faire connaître qu’ils n’avaient pas le moindre désir de causer du trouble. A cela Lawrence répondit avec colère en dénaturant le sens de leurs expressions et les traitant comme des rebelles en révolte ouverte. Une délégation se rendit chez lui dans l’espoir de dissiper ses craintes : il la fit emprisonner. Pendant que ceci avait lieu, on préparait les bâtiments destinés au transport. Les ordres concernant cette affaire sont d’une cruauté incroyable. Lawrence voulait s’approprier les terres et les maisons des Acadiens : il était sans pitié pour eux—car ce n’est pas la politique, c’est le vol qui inspira sa conduite. Le 5 de septembre, le hideux Winslow commença l’œuvre à la Grande Prée. . . . Je ne raconterai pas ce que les lecteurs connaissent si bien. Au prochain numéro, nous parlerons des historiens qui ont écrit sur ce sujet. BENJAMIN SULTE.