l'Acadie: Reconstruction d'un chapitre perdu de l'histoire

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Year
1895
Month
8
Day
15
Article Title
l'Acadie: Reconstruction d'un chapitre perdu de l'histoire
Author
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Page Number
2
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Language
Article Contents
L'ACADIE. Reconstruction d’un chapitre perdu de l’histoire (De la Revue Nationale ) (suite) Jusqu’à Parkman, et particulièrement jusqu’à la compilation partiale et malhonnête des archives de la Nouvelle-Ecosse en 1869, la déportation était invariablement considérée par tous les historiens comme un crime sans excuse. En prenant hardiment la tâche de renverser les idées reçues. Parkman a crée une réaction, et comme le public est mentionner—sans en excepter les écrivains—et que la tendance de ces derniers est de se copier les uns les autres, cette réaction ne pouvait que s’accentuer si M. Richard n’était venu détruire cet échafaudage. Loin de justifier des rigueurs contre eux, comme le prétend Parkman, c’est l’extrême soumission même des Acadiens qui a pu inspirer à Lawrence l’idée de les déporter. Sans elle, cette déportation était dangereuse et même irréalisable. Lawrence avait préparé et muri son infernal projet dans les plus infimes détails avec une ruse vraiment diabolique. Loin de chercher à adoucir le sort des déportés en réunissant les familles sur le même vaisseau, il donna des ordres pour embarquer et expédier les hommes d’abord, les femmes et les enfants ensuite. Son but, comme il le dévoile sans pudeur, était d’éviter le risque de voir les hommes s’enfuir avec le bétail, car ce bétail était sa grande préoccupation, sa convoitise, le motif même de la déportation. Ceci est prouvé à l’évidence par M. Richard dans un enchaînement de preuves irrésistible, dans une analyse savante qui dénote une pénétration d’esprit et une connaissance du cœur humain vraiment remarquables. Si au moins les familles avaient été réunies et les habitants d’un même endroit déportés au même lieu, l’exil eut été tolérable; mais non, chaque vaisseau avait une destination différente. Celui-ci devait laisser sa cargaison humaine à Boston, celui-là à Philadelphie, à New-York, à Baltimore, et cet autre à la Virginie, à la Caroline, à la Géorgie. Il semble que toutes les phases de ce drame lugubre aient été conçues avec l’intention arrêtée d’anéantir ce peuple par la misère, le chagrin et le climat, tout autant que par la perte de sa foi et de son autonomie. Et si horribles que soient de semblables imputations, elles n’ont rien de fantaisiste puisque Lawrence déclarait lui-même qu’il avait en vue d’empêcher par tous les moyens le retour des exilés. De fait, après huit années d’exil, la population acadienne était réduite de 18,000 âmes à 10,000, lorsque, tenant compte de la moyenne ordinaire des naissances, cette population aurait dû s’élever à 25,000 à l’expiration du sol. Peut-on concevoir un état plus lamentable que celui de ces familles arrachées à l’abondance, jetées pêle-mêle à fond de cale sur des navires surchargés, ballottées par les flots, dans une atmosphère empestée, disséminées çà et là sur des plages lointaines, sous des climats meurtriers, au milieu d’étrangers hostiles; de ces mères séparées de leurs maris, de leurs enfants, gardées à vue, privées de la liberté de se chercher, de se réunir, de ce consoler? Parkman, a justifié tout cela, et loin de s’attendrir sur le sort de ces infortunés, il s’est moqué de ses compatriotes pour s’être apitoyés à la lecture du poème de Longfellow. Il n’ignorait pas l’injustice de la déportation et la cruauté exercée dans son exécution; il n’ignorait pas les motifs intéressés de Lawrence et de ses conseillers et complices qui se votèrent chacun 20,000 acres de terre des Acadiens. Ces faits, il les a eus sous les yeux, mais il a jugé à propos de les passer sous silence ou de les défigurer. Il a approuvé ce que la grande majorité des citoyens d’Halifax, contemporains de ces événements, ont eux-mêmes condamné; il a renversé le verdict général de l’histoire; il n’a tenu aucun compte du jugement prononcé par le Rév. Andrew Brown, lui-même d'Halifax et contemporain des auteurs de la déportation; d’Haliburton, de Campbell, de Smith et autres écrivains respectés dont l’intérêt ne pouvait être que de justifier un crime qui souille le drapeau de leur nationalité. Il a omis tous les documents qui pouvaient jeter de la lumière sur cet événement, et comme le dit un historien de la Nouvelle-Ecosse dans une lettre adressée à M. Richard et reproduite dans son ouvrage : “Parkman has purposely concealed and disfigured the truth in dealing with the Acadian expulsion; he has explored every nook and corner to hunt up something disparaging to the Acadians.” Il semble qu’un drame aussi lamentable que celui là ne puisse être écrit par un Acadien autrement qu’avec des accents de haine et des paroles enflammées contre les bourreaux et tout ce qui porte un nom anglais; il semble que l’auteur n’as pas pu se défendre contre la partialité. Néanmoins rien de tel n’est apparent; au contraire, tout est discuté, pesé, mûri avec le calme d’un juge sur le banc, avec une bienveillance qui cherche plutôt à atténuer qu’à exagérer les fautes des coupables. Si un reproche peut lui être adressé, et c’est peut-être le seul que son ouvrage puisse mériter, c’est celui de pousser trop loin son indulgence envers les Home Authorities. Le point est cependant discutable et il peut avoir raison. Nous n’ignorons pas que leur conduite a toujours été plus humaine, plus conciliante, plus juste et plus libérale que celle des autorités coloniales. Là comme ailleurs leurs esprits étaient souvent empoisonnés par de fausses représentations que dictaient des intérêts privés; mais, en même temps, dans le cas actuel, nous ne croyons pas qu’elles puissent être exonérées aussi complètement de complicité. Le serment sans réserve était, dans les circonstances une obligation inique, et ne pouvait guère émaner que e la métropole. Cette histoire, on le voit, était plutôt destinée au public anglo-saxon. Etant en même temps un plaidoyer, rien ne faisait une obligation à l’auteur de toucher tous les points; il devait même négliger les faits accessoires ou obscurs pour s’en tenir à ceux qui font l’objet principal du livre. Le reproche ne serait raisonnablement mérité que si le sens général du récit pouvait en souffrir ou tourner en injustice contre les grands coupables ou leurs victimes. M. Richard avait tant d’accusations graves et précises a porter, tant de personnes à marquer du sceau de l’infamie, et même, dirons-nous, tant d’intérêt à ne pas froisser ceux auxquels il s’adressait, qu’il pouvait être avantageux pour son œuvre et à son but de passer légèrement sur les fautes du gouvernement de la métropole et de laisser ses lecteurs tirer des conclusions devenues évidentes. Sans connaître parfaitement le sujet, nous étions convaincus d'avance que cette déportation était odieuse et sans l’ombre d’une justification, mais il n’en était peut être pas ainsi des Anglo-Saxons, naturellement poussés à fermer les yeux, à atténuer les fautes de leurs nationaux et à en imaginer contre les Acadiens pour expliquer ce qui autrement devait leur paraître inexplicable. Parkman, en renversant les idées reçues, n’a pas du convaincre fortement ses lecteurs, mais il est allé au devant de leurs désirs. Le sentiment de l’honneur national les portait à rechercher une justification; et sur ce point nous n’avons pas trop à nous plaindre, puisque la plupart de leurs écrivains ont admis l’odieux de la déportation; quelques uns mêmes l’ont caractérisée en termes indignés, et cela, lorsqu'ils croyaient ou avaient lieu rie croire qu’elle avait été accomplie d’après les ordres de la métropole. La lecture de ce livre laissera l'impression la plus défavorable du caractère anglais à cette époque; de sa brutalité, de sa morgue, de son mépris des faibles et de la justice. En même temps, la conduite des Français quelquefois très blâmable et souvent très légère, est exposée et qualifiée très sévèrement. En historien véridique, M. Richard n’a rien omis de ces faits, et pour cette raison nous croyons qu’il sera lu et goûté par tout le monde. C’est donc un livre qui devra avoir un grand retentissement, autant que peut en obtenir un livre de cette nature. D’ordinaire les éclaircissements de l’histoire procèdent graduellement; une découverte en appelle une autre, et, peu à peu, la lumière se fait complète. M. Richard a procédé autrement; il a fait de suite la lumière sur les points obscurs. Il a lié les bibes éparses en un faisceau complet, et il en est résulté un enchaînement lumineux qui dissipe toutes les incertitudes. Le mérite de cet ouvrage ne peut être apprécié à sa valeur que par ceux qui, ayant étudié déjà ce qui a été écrit sur le sujet, sont en position de juger de la disette des documents. Toutes les difficultés qui ont rebuté d’autres écrivains, toutes les obscurités en apparence impéné déductions rigoureuses. L’histoire de ce peuple malheureux est maintenant fixée dans ses grandes lignes. On pourra apporter de nouveaux détails, mais on ne pourra changer l’ensemble, et celui qui voudra raconter les mêmes événements sera forcé de suivre le chemin parcouru par M. Richard et de se servir de son livre comme du fil d’Ariane. Ecrit dans un style simple et châtié, la lecture en est fort agréable, et l’intérêt toujours grandissant. Les chapitres sont bien liés malgré la difficulté de grouper des faits dispersés sur une longue période. Aussi la somme de travail que représente ces deux forts volumes a dû être énorme puisqu’il s’agissait de recomposer un chapitre perdu avec les rares matériaux qui ont échappé à la destruction. Cependant, chose étonnante, il ne paraît pas, autant que nous avons pu en juger, que M. Richard ait trouvé de nouveaux documents. Une découverte de cette nature constituerait plutôt une bonne fortune qu’un mérite réel. Non, le mérite de M. Richard repose tout entier dans l’habileté, la pénétration, la patience de bénédictin qu’il lui a fallu déployer pour réunir, co-ordonner, enchaîner ensemble les documents connus et leur donner cette forme saissante qui met en relief, par une analyse magistrale, les faits et gestes, les motifs, les intérêts, le caractère des parties intéressés. M. Richard, on ne peut en douter, possède à un haut degré le tempérament et les qualités qui font l’historien : idées larges et nobles, esprit pénétrant et patient, grand observateur, calme sans manquer de chaleur, ardent sans passion, sévère à l’occasion mais toujours indulgent, scrupuleusement exact, son esprit, planant dans les hautes sphères de la pensée, aborde les considérations sociales de l’ordre le plus élevé avec une aisance et une chaleur de conviction qui nous subjuguent. Son optimisme nous dévoile des horizons séduisants, et on se prend malgré soi à envisager l’avenir sous de riantes couleurs. Les qualités maîtresses de l’historier doivent être : l’impartialité, la justesse de l’esprit, les qualités du cœur, l’élévation des idées, la faculté déjuger les caractères, de pénétrer les motifs d’action, d’éclairer les situations obscures et de ranger les faits avec méthode dans un style clair, châtié et entrainant. De ces qualités essentielles Parkman n’en possède véritablement qu’une seule : le style. Charmer, tel semble avoir été le but principal qu’il a poursuivi, et, pour mieux l’atteindre, il s’est mis à la poursuite de l’anecdote, du récit piquant, évitant avec coin tout ce qui pouvait alanguir son style. Les questions arides ou épineuses, il les enjambe lestement, ou, s’il les touche, c’est pour les résoudre magistralement cadencées comme une sybile rendant ses oracles. Ces qualités qui, la plupart, font si déplorablement défaut à Parkman, particulièrement l’impartialité, M. Richard semble les posséder toutes à un degré éminent. S'il en est ainsi, et tout semble nous donner raison, que reste t-il donc à l'un pour lui conserver la position élevée qu’il occupe et que manque-t-il à l'autre pour lui mériter un rang distingué parmi nos historiens? Nous tenons d'un ami quelques renseignements personnels sur le compte de M. Richard qui grandissent encore le mérite de son œuvre. Dévoré de l'amour de l'étude, ayant la passion des sciences et des lettres, de l'économie politique, de tous les problèmes sociaux qui font le souci de notre époque, rêvant de la noble ambition d’être utile à son pays, il s’est vu à l’âge de vingt-quatre ans, au seuil même de sa carrière, privé de la santé au point de ne pouvoir lire un seul livre pendant vingt ans. L’excès de l’étude avait brisé soudainement une santé robuste et anéanti do légitimes espérances. Vouée à des souffrances presque continuelles, à une inaction accablante, à la lutte contre les progrès de la maladie, à la lutte pour l’existence privée de toutes les jouissances de la vie, on peut difficilement se rendre compte des tortures morales auxquelles sont existence a été assujettie. A force de persévérance et de lutte, il parvint il y a trois ou quatre ans, à rétablir quelque peu sa santé sur le point qui faisait le plus obstacle à ses études, et de suite il se mit énergiquement à l’œuvre pour écrire l’ouvrage qu’il offre au public aujourd’hui. “Dussé-je en mourir à la peine, disait il à cet ami, je veux débrouiller et mettre devant le public l'histoire vraie des malheurs de mes pères.” La chose est faite, et le mérite en est doublé par les circonstances exceptionnelles et les difficultés dans lesquelles cette œuvre a été menée à bonne fin. Au moment de livrer notre manuscrit, il nous tombe sous les yeux un article de la “North West Review " qui justifie et au-delà, l’impression produite en nous par la lecture de l’ouvrage que nous venons d'apprécier. Cet article est intitulé : " (Parkman Pilloried" (Parkman au pilori). Son auteur déclare que cet ouvrage est un des plus importants qui nient été écrit ayant trait à l’histoire de ce continent et réclame pour le Dominion, et particulièrement pour Winnipeg, l’honneur de l’avoir produit. “Le but principal de l’auteur,” dit cette Revue, “est d’étudier cette “période de l’histoire acadienne qui “précède, accompagne et suit l’expatriation de ce peuple infortuné. “Incidemment, cependant, à travers “les phases de l’ouvrage, se déroule “une réfutation brillante et magistrale de toutes les supercheries habiles que Parkman a écrites sur le compte des Acadiens. Avec une patience rare, une étude profonde et une puissance d’analyse presque incomparable, M. Richard met au jour des documents nouveaux, les dissèques avec ceux que nous connaissons déjà, nous fait toucher du doigt les mutilations répétées du compilateur des archives de la Nouvelle Ecosse et cloue l'historien Parkman au pilori comme un malfaiteur littéraire Ceci produira sur beaucoup de personnes le choc d’une surprise pénible. Nous avons été habitués à admirer cet écrivain pour sa science historique variée, nous avons jusqu’ici supposé qu’il était aussi honnête qu’instruit, mais aucun étudiant sincère ne pourra lire l’ouvrage de Richard sans emporter la conviction profonde que Parkman a abusé de son beau talent et de ses avantages exceptionnels en vue de produire ce qui n’est qu’une caricature spécieuse et malveillante de l’histoire. Cette mise en accusation circonstanciée d’un héros populaire, ce plaidoyer habile et souvent très éloquent contre l’un des plus brillants écrivains de la littérature américaine, provoquera sans doute des protestations indignées de la part de ses amis. Goldwin Smith, en particulier, que cite Richard, afin de faire voir jusqu’où peut conduire la mutilation et la contorsion progressive de l’histoire sous la plume d’un écrivain ardent qui s’attache servilement à un homme de la trempe de Parkman, ne restera probablement pas silencieux sous le fouet. Cependant, ces messieurs feraient “bien d’y penser à deux fois avant de s’aventurer à la défense de Parkman, si bien démoli par Richard, que l’espoir même de son immortalité littéraire nous paraît fort problématique.” Etc., etc. Loin de discuter la part d’honneur que Winnipeg, le Manitoba, ou le Dominion voudront tirer de cet ouvrage, nous nous en réjouirons cordialement, puisque notre part à nous Canadiens Français et Acadiens en sera rehaussée d’autant. Et certes, si les prévisions de la North West Review quant à Parkman se réalisent, et nous avons tout lieu de l’espérer, ce résultat ne sera pas loin d’être unique dans l’histoire. Que Dieu le veuille, car il est temps que la vérité se fixe sur cette question acadienne! BIBLIOPHILE.