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Year
1881
Month
9
Day
29
Article Title
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Author
Evangéline
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
M. le rédacteur, Un paysan de « Cocagne, » nommé [illisible] s’est rendu en ville la semaine dernière, pour faire « ses civilités les plus civiles » à quelques unes de ses connaissances. Trembles tribuns! et vous perfides, L’opprobre de certains partis; Tremblez! vos projets parricides Vont enfin recevoir leur prix. N’ayant pu enfourcher Pégase (style parisien) il s’était tout bonnement, tout naturellement casé dans un petit cabriolet à soufflet, sur le devant duquel il avait eu soin d’écrire en grosses lettres afin que tout le monde pût voir ce que c’était : Petit cabriolet à [illisible]; et comme chacun des intéressés a pu s’en convaincre, il l’avait mis à la remorque d’une vieille mule, laquelle, pour enlever tout doute sur ses « individualités, » portait fixé aux deux oreilles l’écriteau : vieille mule. Cabriolet, soufilet, harnais, cravache, tout annonçait le goût et le génie des « hommes de l’art ». Par sauts et par bonds, par monts et par vaux, il fit sa tournée civile, et si quelqu’être sous la calotte du ciel est capable maintenant d’approfondir toute la portée d’une « fessée bruyante, » de [illisible] et de canos, ainsi que de quos ego, accompagnés d’éclats de tonnerre propres à démolir un géant (décidément, Bénédict a dû faire le voyage de Paris avant qu’il soit devenu « grand ») c’est sans doute Bénédict avec sa pauvre Rossinante! PETITE [ILLISIBLE] Comme ce n’est qu’une « vieille édentée, loquace et cadoleuse » qui parle ici, il ne faut pas trop s’arrêter à ce qu’elle dit. Le don quichotisme lui agace joliment les nerfs et lui fait perdre un peu de sa douceur et de sa timidité proverbiale. Il faut bien ajouter que, toute vieille qu’elle est, elle aime encore à prendre part aux « risettes. » C’est probablement qu’elle a le caractère aussi national que jamais. Elle croit, elle aussi, qu’il est un temps pour plaisanter et un temps pour être sérieux, mais elle n’aime pas que l’on subordonne celui-ci à celui-là. Elle l’aime si peu qu’elle manque rarement de payer l’équivalent contraire en monnaie de singe. Il ne faut pas s’étonner non plus si elle radotte un peu sur le compte de Bénédict. Sa « Petite Satire, » outre qu’elle tiraille un peu de son côté, lui paraît si peu propre à obtenir le but qu’il dit s’être proposé–il a bien fait de l’annoncer formellement, car personne n’aurait été assez « fin, fin » pour le deviner–et si peu digne de la plume d’un écrivain qui pourrait en droit et raison poser en critique sur les écrits des autres, qu’elle juge à propos de lui faire remarquer, tout en lui réciproquant ses civilités, qu’il y a quelques points de « gros lit blanc » qui déparent ses finesses fines, fines, ainsi que ses « idées franches et sincères. » En radotant elle vient de faire une figure de discours qui est très moderne. Elle espère, cependant, que Bénédict ne l’abandonnera pas, et qu’elle la trouvera grâce devant les figures antiques. Elle redoute souvent « l’influence prépondante » il vaudrait mieux dire influence indues de Monsieur XXX qu’une [illisible] franchise va bientôt la mettre dans la triste nécessité de courroucer, ainsi que la séquelle de qualificatifs fougueux qui tombe du haut de la tribune de « Touriste bénévole » que Bénédict–elle dirait Castor et Pollux pour imiter les maîtres de l’art–s’efforce maintenant par tous les moyens possibles d’empêcher de « bosser. » La recette qu’il lui propose pour le convertir au beau langage, aux phrases amphigouristiques et nébuleuses–il y a longtemps, que l’un et l’autre ont dit, influencés par M. XXX ou son alter ego : ainsi soit-il–c’est la plus généreuse, la plus merveilleuse–il grillait de reproduire une merveille–la plus chique, la plus renversante, la plus abracadabrante, Jésum! la plus–et quoi encore?–la plus ferraillante, la plus frétillante, la plus allongeante itou, la moins niaise, la moins blaguante, la moins indigestible, la moins [illisible], la moins écornante, la moins houspillante, la moins satanée, la plus Oh! la plus chrétienne, la plus modeste, la moins indécente, celle qui rappelle le moins la gamme archi profane, les cascades du style arsouille et la vanité de clocher–quoi donc encore?–la plus spirituelle qu’il eût dans le coco. Pourquoi venir nous assurer après cela qu’il ne peut pas épouser la défense d’Un Touriste! Pas la peine, l’ami : tout le monde en était parfaitement convaincu–oui, parfaitement convaincu. Enfin j’arrive au bout de ma petite digression. Après avoir fait mille civilités aux connaissances qu’il a daigné honorer d’une visite, mais des civilités à les assommer, tant elles étaient civiles, et digestibles, Bénédict se rendit enfin à l’enseigne du sérieux, où après un instant ou deux de recueillement et de grave réflexion, ce qui contraste plaisamment avec ses « étonnantes promesses » il se coucha « illico, » c’est-à-dire, comme les nouveaux Virgilius Maro–sur le dos. Vous verrez si des signes [illisible] n’annoncent pas bientôt un affreux cauchemar! Je regrette, M. le rédacteur, de n’avoir pu faire son histoire en « deux mots. » Que peut-on attendre d’une vieille loquace et radoteuse comme moi! Maintenant, Touriste bénévole, j’ai un petit conseil à vous donner. Vous savez qu’une « grand’mère, » est toujours prête à cela. Encore un moment, et je suis à vous. En parlant de grand’mère, Bénédict a fait contre un étranger, qui méritait, lui, certains ménagements, « une indécente sortie–à la Trochu. » Je voudrais bien que tous mes petits fils fussent aussi intelligents et respectables que l’étranger en question. Maintenant, je suis à vous pour un petit quart d’heure, M. Un Touriste. Si je vous parle de Bénédict, je tâcherai de le faire sans médire sur son compte. Je ne dois pas cependant compter trop sur ma langue, laquelle est devenue « frétillante » depuis qu’on ma agacé les nerfs. D’abord vous avez eu gravement tort, oui, gravement tort de communiquer à Bénédict vos craintes et votre défiance par rapport à certains actes dont se sont rendus coupables sciemment et volontairement, ceux qui ont [illisible] discours saugrenus style québécois à la convention de juillet dernier. Vous avez eu l’imprudence de lui passer ou de lui signaler les pièces qui prouvent clair, clair comme la nuit qu’ils méritent conspiration et révolte contre leurs frères du Canada, et en les lisant, il a failli succomber à un « abrutissement complet. » Peu s’en est fallu qu’on fût témoin d’un sacrifice humain … Il en est revenu un peu en criant qu’il étouffait! Un instant après, avec un air « d’urbanité française, » et un accent de pitié plus que « proverbiale, » et un peu niaise, je dirais, il suppliait les intéressés. Entre autres ineffabilités il disait : Oh! ne repoussons pas la main bienveillante que nous offrent nos amis de la province de Québec. Cet oh! là, M. Un Touriste, m’a touché le cœur. Les autres cascades m’avaient déjà disposée et préparée à l’effet mirobolant, dont tous les « intéressés » ont sans doute été vivement impressionnés. Messieurs les abbés Richard et Doucet, M. Pascal Poirier, M. U. Johnson, etc., n’avez vous pas les larmes aux yeux? Ne regrettez-vous pas amèrement d’avoir eu le mauvais génie « d’exprimer au lieu de supprimer vos humbles convictions »! A vous seuls, ô Touriste bénévole, appartenait, en votre qualité d’étranger, le droit de « parler carrément et sans détour? » Vous seul, en qualité d’étranger et d’anonyme pouviez dire en parlant seulement des Acadiens en général : les Acadiens veulent ceci, ou ne veulent pas cela, ou bien, en parlant des délégués du peuple acadien réunis en convention pour délibérer sur ce qui les regardait, vous pouviez dénoncer tout ce qui vous a scandalisé sans jeter le moindre discrédit sur leur convention, parce que celle-ci était suffisamment désignée par les termes : masse du peuple! Oui, Touriste bénévole, on vous comprend, et M. Pascal Poirier et les autres ont commis un « crime énorme » en protestant contre les sentiments que vous prêtez aux Acadiens en général et à ceux-là en particulier. Il se trompe encore lourdement, M. Poirier, quand il vous fait dire que les membres de la convention étaient des faiseurs de sottes élucubrations, etc., pour l’avoir dit seulement d’un des intéressés. Votre et cetera au bout de son nom ne s’appliquait évidemment qu’à ce nom-là! D’ailleurs, vous aviez l’intention de supprimer plus tard une de vos charmantes épithètes, ce qu’il aurait dû prévoir avant d’oser vous critiquer. En votre qualité d’étranger et d’anonyme, vous aviez droit aussi de lancer à la face d’un prêtre qui fait honneur au clergé acadien des indignités que M. Pascal Poirier, a été trop lâche pour répéter. Une modestie puérile lui en a fait rappeler une autre qui, sans sa maladresse, aurait pu passer inaperçue! En votre qualité d’anonyme vous pouviez sans doute signaler les noms que vous vouliez et envoyer à leurs adresses vos civilités les plus civiles. M. XXX est là pour prouver au besoin que vous en aviez parfaitement raison. Quant à Bénédict–laissons-le dormir. Mon petit conseil, que j’allais oublier de vous donner. Le voici; il mérite bien, je crois, un moment de grave réflexion. Vous pouvez oublier si vous voulez, mon radotage. Votre nom, dites-vous, est sans tache et respectable. Sincèrement je le crois. M. XXX et Bénédict ont aussi des noms sans tache et respectables. Eh bien, n’écoutez pas ceux qui vous demandent, peut-être avec un peu trop d’empressement et sans songer aux conséquences, de produire vos noms en plein public en les apposant à des lettres écrites dans le style parisien et québécois, justement comme si vous aviez honte de le faire de vous même. Avant ou après l’invitation, n’en faites rien, car, croyez-moi, si vous aviez le malheur d’épeler vos noms, comme dit M. l’abbé Doucet, il peut s’attendre à une fessée bruyante pour avoir osé « écorner les convenances reçues là » en apposant le sien à un écrit tout saugrenu, et propre à faire tomber dans un abrutissement complet par le fond de bile et de rancune qu’il recèle! Si vous aviez le malheur, dis-je, de laisser tomber le voile qui vous cache, les niais, les malins, comme les imbéciles, les faiseurs de sottes élucubrations, le menu fretin de la gent militante–figure de langage divin–en un mot, tous les tribuns et les sophistes, se formeraient incontinent en coterie, et cabaleraient, intrigueraient, surprendraient, et se feraient un devoir d’user des influences les plus prépondantes–ils sont capables de tout–afin de faire croire au « bon peuple, » tel que ce troupeau d’imbéciles qui, paraît-il, s’est si bêtement laissé dupé à la convention de Memramcook, que vos noms y perdraient un « tantinet » de respectabilité! Ce dernier mot, Touriste bénévole, et une « invention de mon cru. » EVANGELINE. A continuer.