Familles royales acadiennes

Newspaper
Year
1895
Month
3
Day
14
Article Title
Familles royales acadiennes
Author
Tanguay
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
FAMILLES ROYALES ACADIENNES Enfoncé le juge Landry! Il ne descend que d’un Guy de Lusignan, ou d’un Godefroy de Bouillon, je ne me remets plus lequel. C’est quelque chose, sans doute, que de sortir des premiers rois de Chypre et de Jérusalem; mais, là, voyons, la main sur la conscience, est-ce comparable à une descendance qui vous fait remonter tout directement à Henri IV? Godefroy de Bouillon, en somme, était un roitelet, sorti de la lignée des ducs de Lorraine; et Guy de Lusignan avait parmi ses ascendants une fée Mélusine. Ce sont de médiocres ancêtres assurément. Rabattez en, M. le Juge, si, de ce côté là vous vous êtes cru grand sire. L’honorable M. Arsenault, lui, descend de Henri IV, ni plus ni moins. Voilà un ancêtre qui en vaut la peine. Non pas de l’union de Henri IV et de Marguerite de Valois, sa première épouse, puisque celle-ci fit mettre sur sa tombe en guise d’épitaphe : Ci-gît Margot, la gente damoiselle, Qu’eut trois maris et qui mourut pucelle. Rien à attendre de ce côté là. Mais le grand roi avait bien d’autres cordes à son arc; et ce n’est pas en vain que ses partisans lui firent cette chanson, qui est encore aujourd’hui le chant national de la maison de Bourbon, tant en Europe qu’en Acadie : Vive Henri quatre! Vive le roi vaillant! Ce diable à quatre A le triple talent De boire et de se battre, Et d’être vert-gallant. Vert-gallant, je crois pardi bien qu’il l’était, puisqu’il a pris la peine, Margot se récusant, de faire un fils naturel, pour que les Acadiens eussent de qui descendre. Ecoutez plutôt. “Nous constatons,” nous dit M. Placide Gaudet, dans le Courrier des Provinces Maritimes du 28 février dernier, “que Philippe Mius D’Entremont (de qui l’honorable sénateur Arsenault descend, en passant par dame Parrotte Melanson) est né en “1601, et que son père, né vers 1570, “était fils naturel d’Henri IV, devenu “plus tard roi de France et de Navarre". Voilà certes un ancêtre qui “n’est pas à dédaigner.” Assurément. Pour ma part je préférerais descendre d’un fils naturel de n’importe quel roi, que de tous les pères légitimes de la création, si ceux-ci n’étaient que de simples roturiers. Cela saute aux yeux. C’est comme Chartes Thibault, qui, depuis son voyage de la baie Sainte-Marie, descend directement d'Evangéline, laquelle ne fut jamais mariée. Ce qui me navre c’est de voir que dans cette répartition des honneurs héraldiques, tant de braves Acadiens ont la portion congrue. A part le juge Landry, M. Olivier Melanson et M. Placide Gaudet, qui ne se font faute de se découper des fiefs dans les plus hautes baronnies de France, et M. le Sénateur Arsenault, qui, grâce aux bons offices de dame Parrotte, n'a rien à envier au duc d'Orléans, sauf peut-être Madame Melba, les autres Acadiens sont dans une pénurie héraldique tout à fait pénible. Je viens de relire du premier jusqu’au dernier tous les ouvrages généalogiques de M. Placide Gaudet, et je ne trouve pas le plus petit blason à distribuer aux autres amis. Allons! M. Gaudet, un coup de cœur—Ne pourriez-vous pas, par exemple, parmi tous les fils naturels des Valois, en découvrir un qui consentît à devenir l’ancêtre de l’honorable Ambroise Richard? Il est bel homme et porterait fièrement une couronne. Mais voici qui est plus grave. Vous faites des jaloux, M. Gaudet. J’en connais un parmi mes amis que les lauriers des messieurs Landry, Melanson, Gaudet et Arsenault empêchent de dormir depuis plus d’un an. Il a juré de se trouver un ancêtre blasonné tout comme un autre; et ne se contentera de rien moins que d’un duc ou d’un prince, légitime ou naturel. C’est, puisqu’il faut que je le nomme, le sénateur Pascal Poirier, de Shédiac. Depuis deux ans il emploie constamment deux généalogistes célèbres, qui ont mission de lui découvrir une souche nobiliaire. Ils ont à cet effet parcouru toute l’Europe et une partie de l'Asie. Le travail qu’ils font est énorme, ayant remonté à la source première de toutes les familles acadiennes dans l’espoir de trouver enfin au Sénateur Poirier et à son cousin, l’honorable Stanislas, un ancêtre qui leur permette de figurer sans trop de désavantage à côté des rejetons acadiens de dame Parrotte Melanson. Le brave sénateur a déjà dépensé à ces intéressantes recherches le produit de plusieurs mines. Voici quelques uns des résultats auxquels sont arrivés les deux grands savants. Il ressort de leurs découvertes qu’une douzaine de familles acadiennes sont saturées de sang noble. Qu’on en juge plutôt : BOURQUE Doit s’écrire Bourg. Se rattache à la plus haute nobilité tudesque. Des ancêtres de cette famille ont régné en Prusse et d’autres en Hollande, en qualité de bourgmestres. Le 22e ascendant du docteur Bourque de Moncton a fondé la Bourgogne. LEBLANC. Les avis vont partagés sur l’origine de cette famille. Le rapport de l’un de nos deux généalogistes veut que l’aïeul de l’honorable Isidore LeBlanc ait régné en Angleterre, à l’époque de l’invasion des Pictes, sous le nom d’Albus 1er. Albus, en effet, signifie Blanc en latin, d’où le nom Albion, qui fut ensuite donné au Royaume Uni. L’autre généalogiste veut que la famille d’où sort l’honorable Olivier J. LeBlanc de Sainte-Marie, remonte, par un décret tout spécial de la Sainte Providence, aux Vestales de l’antique Rome, vierges chargées de l'entretien du feu sacré. A l’exemple de Henri IV, roi très chrétien, ces Vestales, malgré leur profession de virginité, étaient sujettes à des faiblesses royales. D’AIGLE La plus fine fleur de la noblesse. On assure que cette illustre famille descend de Jupiter lui-même, qui, pour enlever Ganymède, s’était déguisé en aîgle. BELLIVEAU Ceux de cette famille qui écrivent leur nom veau, descendent tout simplement de leurs père et mère. Tous leurs ancêtres sont légitimes. Ce sont par conséquent d’incurables roturiers. Ceux qui signent vau sont du plus haut lignage. Un document rare, découvert dans les mines de Herculanum, laisse entendre que cette branche de la famille pourrait bien remonter à Mars, dieu de la guerre: bellum—volo, d’où Bell-vau. Un comité d’antiquaires fait faire de nouvelles fouilles pour mieux éclaircir cette question. THERIAULT Nos deux généalogistes avaient d’abord cru pouvoir établir que le ci-devant député de Madawaska avait une origine grecque et latine réunie, theos et altus, dieu supérieur. Une inscription cunéiforme, trouvée en Islande, et tout récemment déchiffrée par un savant danois, établit clairement que cette famille est une des plus illustres de l’Acadie, et ne cède le pas qu’à dame Parrotte et à ses descendants. Les Thériault se réclament de Thor, fils d’Odin. Henri IV lui-même eut été honoré d’apportenir à cette lignée. MICHAUD Les jalousies soulevées par les découvertes généalogiques de M. Placide Gaudet n’eussent elles eu pour résultat que d’avoir fait retrouver par ricochet la trace longtemps perdue de cette famille illustre entre toutes, qu’il faudrait bénir tous les généalogistes, et en particulier les deux que le sénateur Poirier emploie depuis deux ans pour lui trouver une origine convenable. Michaud n’est pas Michaud, mais bien Michel. Vous voyez tout de suite quel horizon ce mot archangélique ouvre. La tradition rapporte qu’avant le déluge les anges eurent commerce avec les filles des hommes. Il en sortit des géants. Je suis en état d’affirmer sans compliments ni beurreries, que tous les Michaud du Madawaska remontent à cette origine ultra humaine. En hébreux aussi bien qu’eu gaëlique ce nom s’écrit Michael. POIRIER. Pauvre Sénateur! Je crains bien qu’il n’en soit pour ses frais, et que jamais il ne parvienne à faire passer un caillot de sang royal dans ses veines plébéiennes. Un de ses généalogistes à gage lui offrit l’année dernière, faute de mieux, de le rattacher à la famille de du Périer, chanté par Malherbes : Ta douleur du Perrier, etc. Il se fut peut-être contenté de cette origine, si le démon de la jalousie ne lui eut rappelé que les Landry et les Gaudet descendent des rois de Chypre et de Jérusalem, en s’appuyant sur Parrotte Melanson; et que lui, Pascal, ne pouvait pas en conscience descendre d’un simple du Périer. Et les recherches de se poursuivre comme de plus belle. Or voici ce que contient le dernier bulletin, signé de l’un et l’autre généalogiste. Les Casimir-Périer de France, et les Poirier de Shédiac et de Tâgniche sont une seule et même famille. En apprenant cela, Casimir-Périer a immédiatement envoyé sa démission de président de la république française. A Paris on ignore encore le véritable motif de la démission étrange du premier magistrat du pays. Ce motif je l’ai dit : il n’y en a pas d’autre. On m’informe que le sénateur Poirier et son cousin de l’Ile Saint-Jean, peu satisfaits de n’appartenir qu’à une famille de président de République ont donné instruction à leurs généalogistes de poursuivre leurs recherches avec plus de vigueur que jamais. Ceux-ci n’ayant lien trouvé parmi les lignées royales légitimes, vont porter leurs investigations sur les enfants naturels de Henri IV, et autres fruits folichons des rois de France. TAN-GUAY. P. S.—Au moment de remettre ce mémoire au courrier, une dépêche, datée de Paris, nous apprend que le gouvernement de la République, qui avait interdit le séjour du territoire au prétendants issus des familles qui ont régné en France, vient d’inclure dans le décret d’exclusion Don Carlos d’Espagne et tous les Bourbons de l’Acadie qui descendent de dame Parrotte Melanson. T.-G.