Un sermon pratique

Year
1881
Month
10
Day
13
Article Title
Un sermon pratique
Author
J. C. Chapais
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
Un sermon pratique. Les vérités contenue dans le sermon du Père Lacasse, sont tellement frappantes et applicables à ce qui existe dans l’Acadie, que nous le reproduisons volontiers, à l’exclusion d’autres matières. J’ai eu l’avantage d’entendre, dernièrement, un sermon sur l’émigration, ses causes et ses remèdes, donné par le révérend père Lacasse, O. M. I. apôtre de la colonisation dans l’archi-diocèse de Québec. Ce sermon est un si parfait résumé de cette grave question de l’émigration que je crois rendre service à mes lecteurs, en leur en donnant ici un compte-rendu succinct. « Tous les hommes sérieux, » nous a dit le père Lacasse, s’accordent à dire que la grande plaie qui décime la Province de Québec et cause sa ruine, c’est l’émigration. Occupons-nous donc de cette question de l’émigration et voyons quelles en sont les causes. » « Une des sources de la misère et de la pauvreté prévalentes dans notre classe agricole c’est le blasphème. Dans aucun pays on ne blasphème autant que dans la Province de Québec. On profère partout et à tout propos, les blasphèmes les plus horribles contre Dieu, contre Jésus Christ, contre la Ste. Vierge, contre les Saints, contre le baptême, contre la Ste. Eucharistie. Or, Dieu maudit le blasphémateur et le punit même ici bas, témoins de nombreux exemples rapportés dans les Saintes Ecritures. Rien de surprenant que dans un pays où l’on blasphème autant, l’agriculture ne soit pas bénie de Dieu. » « La seconde source de pauvreté est l’intempérance. Le peuple canadien va vite dans la voie de l’ivrognerie. Il y a parmi nous peu d’ivrognes avères, mais une foule d’ivrognes d’occasion. Chaque fois que le cultivateur sort de chez lui, soit pour aller au marché, soit pour aller aux cours de justice, soit pour assister aux expositions ou aux assemblées publiques, politiques et autres, il boit avec ses amis. On se paie des verres de politesse, on en prend un, deux, trois, on s’enivre et finalement on perd la raison. Le verre de politesse est d’usage à certaines époques de l’année. Au premier jour de l’an, aux jours gras, à la demi-carême, etc., il est de rigueur de visiter et de s’offrir des verres de politesse, ce qui fait qu’à ces époques une grande partie des paroisses s’enivre. Il y a des gens qui dans ces circonstances ont des cousins dans toutes les maisons pour avoir le prétexte de prendre un coup. Ce n’est [illisible] tant l’argent dépensé en boissons enivrantes dans l’année qui appauvrit que les effets produits par cette boisson. Celui qui fête, comme l’on dit vulgairement, fait des mauvais marchés, puis il se rend malade, et pour une journée passée à boire, el en faut passer une autre à se soigner, car l’abus nuit à la santé, et pendant ce temps la culture et les affaires sont en souffrance. Donc, plus de verre de politesse, si on s’engage à n’en plus offrir, on verra bientôt l’ivrognerie disparaître. » « Le luxe est la troisième cause de la pauvreté, et du dégoût pour le travail de la terre. Aujourd’hui les cultivateurs ont honte de s’habiller avec les étoffes, produits de leur industrie. On achète toutes les étoffes nécessaires et on nous objecte qu’elles coûtent meilleur marché que celles fabriquées chez soi. Raisonnement erroné, car l’on oublie que si l’étoffe que l’on achète coûte peu d’argent, elle est prise cependant sur le revenu de la terre, tandis que si elle avait été fabriquée chez soi, elle représenterait la valeur du temps employé à la tisser, temps qui généralement est perdu par celle qui aurait dû faire ce travail. La richesse d’un cultivateur consiste à produire tout ce qu’il peut chez soi et prendre le moins possible pour ses dépenses chez les autres. Il vend ses produits et n’ayant pas besoin de beaucoup acheter en échange, il s’enrichit. Les beaux habits, les rubans ne sont pas ce qui constitue le mal. Ce dernier réside dans le fait qu’on s’habille au dessus de ses moyens, qu’on veut par orgueil être aussi bien mis que son voisin, avoir une aussi belle voiture, un aussi beau harnais que lui, et pendant ce temps, les comptes s’accumulent, et la ruine arrive. Il faut donc s’habiller suivant sa condition, et pour le cultivateur cette condition veut qu’il s’habille avec les étoffes fabriquées chez lui. » « La quatrième cause de la pauvreté de la classe agricole est l’oisiveté. Il n’y a que chez le cultivateur canadien qu’on trouve ce que l’on appelle des Mortes-saisons. C’est une expression qu’on entend nulle part ailleurs. Le cultivateur travaille à ses semences pendant un mois, à ses récoltes pendant deux autres mois et le reste du temps, morte saison! Comme on achète toutes les étoffes nécessaires à l’habillement chez le marchand, les femmes et les filles n’ont presque rien à faire. Elles ne travaillent plus au champ, car c’est au-dessous de la condition de personnes si bien mises. Les garçons qu’ont cheval et voiture ne manquent aucune fête, expositions, assemblées publiques, etc., etc. On se dégoûte ainsi petit à petit du travail manuel, la terre mal cultivée ne donne plus, la gêne arrive, puis la misère. Pour montrer comme l’on travaille peu chez nos cultivateurs, examinons un fait qui arrive souvent. Dans une famille de huit enfants, il en part deux ou trois pour les Etats-Unis. Après leur départ il se fait autant d’ouvrage qu’avant, rien ne souffre. Donc, ils étaient inutiles et ne faisaient que dépenser. Et pourtant, sur nos terres mal cultivées, ils auraient bien trouvé à s’occuper s’ils avaient voulu. « Le résultat de tout cela est qu’il arrive une heure où il faut partir pour l’exil, où l’on doit se décider à aller servir d’esclaves aux populations voisines. Et c’est alors que des jeunes gens, des jeunes filles se trouvent lancés, à la période la plus critique de la vie, dans un milieu où ils risquent de perdre, et ne perdent que trop souvent hélas! leur foi. On perd sa santé à travailler dans les manufactures et sa foi à fréquenter un peuple sans principes moraux. Après quelques années en revient, si on le peut, mourir au pays, ou lui donner le triste spectacle d’un naufrage moral complet. » « Voilà donc la grande plaie qui nous ronge et les causes qui l’ont amenée. Il s’agit maintenant de considérer s’il y a quelque remède à apporter à un si triste état de choses. Oui, il y a un remède, et tous les cultivateurs qui ont souci de leur avenir et de celui de leur enfants, et qui surtout veulent leur bien spirituel, doivent l’employer sans retard. Voici en quoi il consiste. Il faut d’abord faire disparaître les quatre causes du mal, ne pas blasphémer, être sobre, éviter le luxe, améliorer notre agriculture et faire donner à nos terres tout ce qu’elles peuvent donner, par une culture bien entendue. Mais il arrivera toujours un moment, où il faudra penser à établir ailleurs les enfants que l’on a chez soi. Bien plus, il y a des familles qui déjà entrevoient le jour où il faudra vendre leurs terres, parce qu’elles sont, dès à présent, trop endettées. A celles là je dirai, vendez de suite, pendant que vous pouvez encore garder pour vous une partie du prix de vente maintenant, écoutez-moi bien car je vais vous indiquer mon remède. » « Vous qui avez été obligé de vendre votre terre surchargée d’hypothèques, allez chercher un lot dans un des nouveaux centres de colonisation ouvert sous les auspices et par les efforts des révérends pères jésuites, du révérend messire Labelle, ou dans un de ceux qui sont à se former dans l’archidiocèse de Québec. Vous n’avez plus à redouter l’affreux isolement et le manque de chemins qu’avaient à redouter les colons d’autrefois. Le premier rendu est le prêtre, la cloche de la chapelle vous invite, et, bien qu’au milieu du bois, vous serez dans une paroisse toute formée déjà, car vous ne partirez pas seul, mais 30, 40, 50, 100 colons viennent avec vous. Pour une terre épuisée et chargée de dettes que vous laissez, vous allez prendre un lot suffisamment grand pour vous établir vous et vos fils. Dans quelques années d’ici, vous serez à l’aise et heureux, entourés de tous vos enfants qui prospéreront à l’ombre de la croix au lieu de devenir des libertins et des esclaves, ce qui les attend si vous restez dans l’état où vous êtes maintenant. » « Prières de familles qui étaient à l’aise, et qui voulez assurer l’avenir de vos fils, donnez-leur aussi ce qu’il leur faut pour commencer à défricher un lot et faites-les partir pour la forêt. La première année de leur départ, ils reviendront passer l’hiver au toit paternel. L’année suivante, ils s’installèrent chez eux, et avant dix ans ils seront d’heureux cultivateurs indépendants sur leur nouveau domaine. Quelle différence entre ceux-là et les malheureux que vous laissez s’expatrier avec gaieté de cœur. » « Pour mieux vous voir cette différence, supposons pour un moment qu’un de ceux qui m’écoutent maintenant, envoie un de ses fils aux Etats-Unis et en dirige un vers la forêt. Supposons encore que ce citoyen, 150 ans après l’établissement de ses fils, a le pouvoir de venir sur la terre voir ce que sont devenus ses fils et leurs descendants. Que voit-il? d’un côté une paroisse composée de bons et nobles cultivateurs, ses descendants, qui fidèles à leurs Dieu et à leur patrie, accomplissent fidèlement leur tâche, et vivent heureux dans leur beau pays, en attendant que leur tour soit arrivé d’aller habiter la patrie céleste. De l’autre côté, hélas! quel stricte spectacle il est permis de soupçonner. Une génération de pauvres Canadiens dégénérés, sans foi, sans respect d’eux-mêmes, servant d’esclaves à un peuple d’étrangers, et en grand danger de se perdre pour l’éternité, après avoir mené sur la terre étrangère une vie de souffrance. Cela seul est suffisant, les intérêts matériels étant mis de côté, pour vous faire comprendre que les plus chers intérêts spirituels de vos enfants exigent que vous fassiez tous vos efforts pour les garder au pays. » Ami lecteur, me blâmez-vous de vous répéter ici le sermon du vaillant apôtre de la colonisation. N’est-il pas un exposé fidèle de notre situation et des remèdes à y apporter. En effet tout se résume en ceci. L’émigration nous décime parce que nos terres sont pauvres et que nous perdons le goût du travail agricole. Cette pauvreté et ce dégoût du travail ont quatre causes : le blasphème, l’intempérance, le luxe et l’oisiveté. A tous ces mots le remède c’est, d’abord de faire disparaître les quatre causes du mal, puis de poursuivre l’amélioration de notre agriculture et colonisation bien entendue. Qu’on se le dise, que nos hommes d’état prennent la chose en sérieuse considération, que chacun y mette la main et nous sommes sauvés. J. C. CHAPAIS.