Le Rév. M. Richard et le Moniteur Acadien

Year
1881
Month
10
Day
31
Article Title
Le Rév. M. Richard et le Moniteur Acadien
Author
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Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
Le Moniteur Acadien. Shédiac, Jeudi, 13 octobre 1881. Le Rév. M. Richard et le Moniteur Acadien. II Nous passerions volontiers sous silence le passage de la lettre du R. M. Richard où il parle de griefs qu’il aurait contre certains personnages, notamment en ce qui concerne son appel aux Acadiens lors des noces d’or de l’illustre Pie IX, si le ton général de sa lettre n’indiquait qu’elle est surtout dirigée contre notre humble journal. Aussi serons-nous bref. Il nous suffira de rappeler que le projet de M. Richard avait toutes nos sympathies. Si la chose n’a pas été « généralement encouragée », et si « les hommages des Acadiens n’ont pas été présentés au saint Père avec autant d’honneur et de distinction » qu’il aurait été désirable, c’est dû, non pas au Moniteur, ni probablement aux « certains personnages » que vise M. Richard, mais bien à des circonstances que ni le Moniteur ni eux ne pouvaient contrôler. C’était une affaire qui relevait directement des autorités religieuses, et le Moniteur n’était pas plus compétent à la diriger, à en assurer « l’encouragement général », qu’il ne l’est dans le règlement des questions qui relèvent de nos supérieurs ecclésiastiques. Nous n’avons pas dit que le Touriste, Bénédict, etc., avaient raison dans cette polémique; mais nous avons affirmé que s’ils tapaient dur et fort, M. Richard et M. Poirier, de leur côté, ne « s’échinaient pas à ménager » leurs contradicteurs, ce qui est bien différent. De même, nous ne pouvions vouloir insinuer que les censures amères portées par M. Richard dans son discours, contre les avocats de la St-Jean-Baptiste avaient provoqué la satire de Bénédict, puisque le manuscrit du compte rendu de la Saint Louis et celui de Bénédict nous étaient arrivés en même temps. Nous voulions tout simplement constater que les uns et les autres s’entendaient à merveille à se lancer des gros niots. Enfin nous arrivons au sujet le plus délicat peut être de la controverse, celui de la fête nationale, à propos duquel M. Richard nous dresse un acte d’accusation formidable, nous en convenons, mais que nous n’avons pas perdu l’espoir de faire tomber, tant nous avons confiance dans la force de l’innocence à établir l’erreur dont elle est victime. Nous reproduisons de M. Richard : « Oser parler d’influence indue, d’intrigue, etc. Depuis quinze ans que vous M. le Moniteur, vous nous invitez, nous Acadiens, à aller ici et la fêter votre fête nationale, la Saint Jean Baptiste, et cependant le peuple ne l’a jamais adoptée. Vous avez poussé même l’indélicatesse jusqu’au point de publier dans une de vos colonnes, au mois de juin, que le choix d’une fête nationale sera soumis à la convention, et dans le même numéro, vous invitiez les Acadiens d’aller fêter leur fête nationale à Memramcook le 21 juin. » Pour commencer, nous ne nous rappelons pas avoir jamais tracé une ligne invitant les Acadiens à aller nulle part fêter leur fête nationale, la St Jean Baptiste, et ce pour la bonne raison que nous savions qu’ils ne s’étaient pas encore entendus là-dessus. Memramcook et quelques autres localités ont chômé la Saint Jean Baptiste, en manière de la fête nationale, qu’elles adoptaient comme telle sans doute parce qu’il n’en existait pas d’autre. Et nous avons toujours cru qu’elles étaient louables de le faire, tout comme nous aimions voir Saint-Louis chômer sa fête, parce qu’elles y trouvaient un puissant moyen de réveiller, de raviver le sentiment national chez les populations acadiennes qui en étaient les heureux témoins. Elles y puisaient une recrudescence de patriotisme, elles contribuaient ainsi à réchauffer les forces vives de la nation, et assurément ce but ne pouvait que rencontrer notre plus vive approbation. Mais jamais, au grand jamais, nous n’avons pour un seul instant considéré la Saint Jean Baptiste comme définitivement adoptée pour notre fête nationale. A vrai dire–nous voulons être franc–depuis plusieurs années, nous étions convaincu que la Saint Jean Baptiste avait des titres extraordinaires à l’adoption du peuple acadien, mais cette conviction nous avait été imposée par les arguments d’un jeune patriote acadien fort dévoué aux intérêts nationaux de sa race, nous sommes heureux de le proclamer ici pour la centième fois. Ce jeune patriote donc, qui avait étudié la question sous toutes ses faces, qui l’avait approfondie, qui avait interrogé l’histoire et les traditions de l’Acadie, avait réussi à vaincre nos objections–nous avons souvent débattu la question ensemble–et à nous démontrer que la Saint Jean Baptiste devrait être la fête nationale des Acadiens, parce que, entr’autres raisons, elle avait été celle de nos aïeux en France et celle de nos père, les fondateurs de l’Acadie. Et pour prouver notre assertion, nous n’avons qu’à recourir à nos souvenirs. Dans un discours prononcé un 24 juin devant un nombreux auditoire qui s’était réuni à Memramcook pour chômer cette fête, notre jeune patriote, émit les idées que nous venons d’énoncer, comme on va le voir par les extraits suivants que nous prenons la liberté de reproduire : « Mais en adoptant la St Jean Baptiste, fête nationale des Canadiens, nous n’en resterons pas moins Français, et de plus nous scellerons une alliance inviolable avec nos frères aînés dont le voisinage et la conformité de condition nous seront des plus avantageux. « Puisqu’il en est ainsi, si nous voulons qu’une fête nationale s’établisse au milieu de nous et nous soit véritablement profitable, adoptons la Saint Jean Baptiste …………………… Mais messieurs, il y a des causes intrinsèques qui conseillent l’adoption de la St Jean Baptiste d’une manière bien plus impérieuse. La St Jean était véritablement la fête populaire de la France, c’était la fête nationale des départements qu’habitaient nos ancêtres. Nous pouvons nous en assurer en constatant les chroniques de l’époque ou les documents laissés en Canada. Bien plus, il y a à peine cent ans les habitants de Memramcook, vos pères, fêtaient la St Jean, et ils la célébraient comme fête nationale. « J’eus occasion récemment de vérifier cette tradition en interrogeant des personnes âgées et très dignes de foi. La réponse fut celle-ci. « Je me rappelle fort bien que mes parents me disaient qu’à Memramcook, le jour de la St Jean, toute la paroisse s’assemblait, qu’ils allumaient aux environs de l’église un grand feu de réjouissance en l’honneur du saint qu’ils avaient fêté en France, et qu’ils continuaient de fêter en Acadie comme leur patron national. » On n’a pu me tromper, et sans doute quelques uns des plus âgés de cette réunion doivent en garder le souvenir. Mais ainsi que je l’ai dit plus haut, les persécutions ont fait tomber ces usages, et comme Memramcook a été une des paroisses les moins maltraitées et les plus populeuses, cette fête s’y est conservée longtemps. Voici : donc, messieurs, que la St Jean Baptiste que nous célébrons aujourd’hui joyeusement, était la fête populaire de nos aïeux en France, et la première fête patriotique de nos pères en Acadie. Cent ans passés, à pareil jour, les hommes de Memramcook fêtaient sur un pied moins vaste, mais avec non moins de patriotisme et de religion, cette même fête que leurs descendants sont si heureux de chômer à leur exemple. Ainsi la St Jean loin d’être une institution étrangère est notre propre fête, c’est à dire la fête de nos aïeux. Quelle foule de souvenirs cette institution ne nous rappelle-t-elle pas, et nous rappellera chaque fois que nous la renouvellerons? Souvenir du bonheur de nos aïeux en Bretagne sous le beau ciel de la France; souvenirs du courage et des vertus de nos pères en Acadie; souvenirs aussi des malheurs qu’ils avaient à essuyer et des persécutions tellement violentes qu’elles amenèrent l’abolition d’une fête si chère à nos cœurs. « Devant des motifs si puissants, et connaissant au reste toute l’utilité d’une fête nationale, pourrions-nous hésiter encore à adopter la St Jean Baptiste de préférence à toute autre institution patriotique? Que dis-je, adopter, nous ne faisons que revivre et continuer une fête que nos pères désiraient nous transmettre comme des autres héritages que nous tenons d’eux. Assurément ceux qui veulent du fond de leur cœur notre avancement n’auraient jamais mis en avant l’échec d’une autre fête s’ils avaient connu toutes les prérogatives de la St Jean. » Ces paroles de notre ami eurent du retentissement et nous sommes porté à croire qu’elles influèrent sur les convictions de plus d’un acadien bien pensant. Ces arguments étaient tout frais dans notre mémoire quand nous participâmes à la convention de Juillet, et nous croyions à l’abri de tout soupçon de préjugé en donnant la préférence au 24 juin; dont les titres à la considération du peuple avaient été si éloquemment établis par notre ami dans le discours dont nous venons de donner des extraits. M. Richard nous reproche l’indélicatesse d’avoir, dans le même numéro où nous annoncions que le choix d’une fête nationale allait être soumis à la convention, invité les Acadiens à aller fêter leur fête nationale à Memramcook le 24 juin. Cette assertion n’est pas fondée. M. Richard voudrait nous trouver en défaut coûte que coûte. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, comme nous n’avons jamais écrit rien qui pût laisser croire au lecteur que la Saint Jean Baptiste était la fête nationale des Acadiens, M. Richard est obligé, pour nous condamner, de nous attribuer les communiqués ou correspondances qui ont pu paraître dans le Moniteur–procédé qui peut paraître adroit, mais qui n’est pas sans prêter le flanc à la critique. Pour que nous fussions coupable de ce qu’il nous reproche ici, il faudrait que nous eussions écrit le communiqué qui nous a été envoyé par l’académie Saint Jean Baptiste du collège Saint-Joseph, lequel, si la mémoire ne nous fait pas défaut, était de la main d’un Acadien dont le savoir vivre vaut bien celui d’un autre. Nous pourrions encore relever plusieurs assertions dans la lettre du Rév. M. Richard, mais nous nous arrêterons ici, convaincu que nous sommes d’avoir établi à la satisfaction du lecteur impartial que les censures et les attaques dirigées contre la conduite du Moniteur ne sauraient soutenir l’épreuve d’un examen sérieux et impartial. Avant de prendre congé de notre vénérable critique, nous sentons de nouveau le besoin d’exprimer le regret que nous éprouvons d’avoir été obligé de nous défendre. Nous l’avons fait aussi brièvement et aussi respectueusement que nous l’avons pu, et s’il s’était glissé sous notre plume quelque expression qu’ont pût interpréter comme une attente au respect que nous lui devons, nous la retirons d’avance et lui en demandons humblement et sincèrement pardon.