1895

Newspaper
Year
1894
Month
12
Day
27
Article Title
1895
Author
------
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
1895. Nous accueillons toute mort dans le deuil, excepté le trépas des ans qui nous trouve indubitablement à la joie. L’autre jour nous oublions, dans l’extase de Noël, les moments moins riants de l’année 1894, et, afin de nous armer de bonne humeur, de confiance et d’amour pour la prochaine étape, 1895, nous nous serrions la main, nous nous embrassions sous la branche de gui. Au temps des Romains, alors même que l’année n’avait que dix mois et commençait en Mars, il était d’usage de s’offrir, en signe de prospérité, des rayons de miel, des figues et du lait. Le genre d’étrennes a varié, 1’esprit toutefois est resté le même. N’allons pas légèrement nous acquitter d’une vaine corvée envers nos frères, leur souhaiter, suivant la triviale et énergique expression des Anglais, the same old chesnut, que notre serrement de mains dise ce que doit ressentir le cœur, le dévouement, la sympathie, ce sentiment qui ne s’exprime par aucun mot mais que des voyageurs ressentent, loin de leurs patrie, pour tout être qui les peut aider du bras et de l’intelligence à atteindre un but vivement désiré. Que nos maisons, une semaine, ou moins, restent parées de leurs touffes de gui aux perles blanches, de leurs buissons de houx aux baies rouges, de leurs branches de sapins aux fines et vertes aiguilles, trois feuillages mystiques que ne connaissent pas toutes les grandes personnes at que les enfants n’apprécient qu’à la condition de ployer sous les étrennes. Ce n’est pas pour rappeler les rites druidiques de la vieille Gaule que le gui est suspendu au-dessus des portes ou aux lustres du salon; il ne signifie même rien de chrétien à proprement parler. Ce parasite a été consacré à la déesse Freya, déesse de l’amour de la beauté, de la fécondité et des mariages. Le houx aussi était une plante de temple qui comme le gui portait bonheur. Mais au Canada où le gui et le houx sont rares, nous employons le sapin. Les embrassements, s’il y en a, ne sont pas plus mauvais, en ce jour, sous le sapin que sous le gui, les vœux ont la même signification et la même vertu; tous les souhaits, donc, que l’on puisse faire sous le houx et le gui nous les faisons du fond de l’âme pour l’Acadie, les Acadiens et les Acadiennes. Nous y ajoutons le vœu symbolique des Romains. Puisse, chers compatriotes Acadiens, le lait couler, sur votre terre, à la place des ruisseaux, comme au siècle d'or, poisse le miel suinter de tous les vieux chênes, de tous les arbres où les essaims se sont posés; puissent les figuiers de 1895 se courber bas sous le poids des fruits, puisse tout labeur être payé de retour, tout champ donner le centuple de ce qu’il aura reçu, toute prairie, rendre capital et intérêt, tout jardin verdir au printemps, croître et mûrir en été et faire la richesse de l’automne. Puissent ces vœux se réaliser et ils se réaliseront si vous vous aidez et si Dieu vous aide. Donnez donc aux champs, à la terre, à la vôtre, votre temps, vos forces, votre jeunesse, votre intelligence, votre cœur; donnez à l’industrie de votre pays ce que vous allez sans compter dépenser chez d’autres et il vous produira des figues, ou, si vous voulez, sans figures, des pommes et des patates, de l’orge, de l'avoine, du foin. Il coulera du lait, ou, sans comparaison encore, vos vaches vous donneront du beurre et vous en tirerez du fromage. Enfin le miel suintera des forêts, c’est à-dire, qu'avec de l’énergie vous forcerez le bois à vous rapporter de l’argent. Voila, dépouillés de leurs parures symboliques ce que veulent dire pour vous les présents des Romains. Mais ne soyons pas trop de leur époque; prenons-en l’esprit et aussi un peu celui de la bonne déesse scandinave Freya; faisons-nous un home chez nous, restons-y et à chaque renouvellement de l’année embrassons nous, maris, femmes et enfants sous la branche de gui, savourant les dons de la terre, la sécurité, la liberté de la mère-patrie, la joie d’avoir été utile tout à la fois au pays, à la société, à la famille, à soi-même et son nom, et, il ne faut jamais l’oublier, à Dieu. Et pour finir par un riant tableau bien dans la note de nos vœux de nouvel an, c’est-à-dire, l’apothéose de la famille que est en petit celle du pays, permettez-nous de laisser parler le charmant poète de l’EVANGELINE, le Prof. Lanos.