"l'étoile du nord"

Year
1881
Month
12
Day
29
Article Title
"l'étoile du nord"
Author
PH. F. B.
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
« L’ETOILE DU NORD. » L’étoile qui, il y a trois ans, apparut à l’Occident, le jour des Rois–vient de reparaître, cette fois-ci, à l’Orient. Au moins, c’est plus conforme au récit évangélique. Toutefois, la conformité n’est pas encore parfaite : malheureusement, aujourd’hui. Il y a erreur à date. Au lieu de nous arriver le sixième, comme tout d’abord; voilà qu’elle se hâte de briller au décembre 15. Est-ce par hasard, un signe des temps? Peut-être. Les experts disent, pourtant, que ce n’est qu’une étoile filante comme sa sœur de lait. Nous nous rangeons sous cette dernière opinion : et pour ce que l’astre nouveau nous présage d’intéressant, nous serions trop heureux que l’opinion des experts se vérifie. Un jour, Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, engendra, lui aussi, une étoile. Il ne l’appela pas l’Etoile du Nord, mais l’Aspic. Cette étoile, dans le plan de son père, devait briller quelquefois. L’histoire rapporte qu’elle ne parut qu’un jour, et s’éclipsa. Triste est le sort des astres illégitimes et mal conçus! Mais, au fait, devrions-nous rire de ce comique Tam Tam qu’on nomme « Prospectus de l’Etoile du Nord », ou flétrir ouvertement de pareilles extravagances publiées aux dépens de notre intelligence nationale. A chacun son choix mais pour les hommes tant soit peu éclairés, il n’y a que ces deux partis à prendre. Quand à nous, nous ne balançons point, car il est vraiment temps de faire de la réclame au sujet de ces excentricités qui compromettent, à l’étranger et parmi nous, les aptitudes et la mesure d’esprit de notre peuple. Pour les Acadiens, c’est un devoir, pensons-nous, de refuser leur patronage et leur concours à ces Calinos exaltés qui visent, sérieusement, à devenir les interprètes de la nation. Quiconque a lu le prospectus de la feuille de Summerside « L’Etoile du Nord », sait à quoi nous voulons en venir–et sans doute, partage solidairement avec nous, la honte et l’humiliation que nous [illisible] de pareilles sorties. Mais, en vérité, suffit-il parmi nous qu’un homme ait toujours porté, depuis sa naissance, une guêpe sous son chapeau, pour qu’il soit appelé à tracer les sentiers complexes et si ardus d’une jeune nation? Suffit-il qu’on soit né avec un torticolis mental pour se dresser un trône ou un atelier parmi les étoiles afin d’éclairer une race ce cent mille âmes par les lumières vives et importantes de la presse? A ce compte le shaker de l’Onéida qu’on tient aujourd’hui sur la sellette à Washington, est donc un astre libérateur. Lui, aussi, fonda un journal théocratique sous les lumières de l’inspiration, il écrivit son livre Truth–et ni l’un ni l’autre n’ayant de vogue, on eu a voulu connaître dernièrement la raison. Le juge Porter l’a résumée ainsi, ces jours derniers. C’est que le journal de Guiteau n’avait pas le sens commun et que son livre Truth était un pur plagiat d’un autre livre intitulé Berean qui lui était tombé sous la main.–Tel sera, à notre déshonneur, l’éclat de l’Etoile du Nord, [illisible] persiste à vouloir pérégriner [illisible] un ciel qui n’est pas le sien. Nous conseillerons fortement le propriétaire de l’Etoile d’aller frapper aux bureaux du Canard à Montréal ou du Tintamarre à Paris. Ses productions auront là, très probablement, une meilleure chance de succès. Si elles ne font pas rire, dans tous les cas, elles ne porteront préjudice à personne. En donnant ce conseil au rédacteur de la nouvelle feuille, nous croyons stipuler pour le bien commun, pour notre réputation nationale dont, naturellement, nous jalousons l’intégrité et la sauvegarde. Aucun autre mobile ne nous y engage. Car, nous n’avons aucune idée d’exclusivisme; nous croyons que les rangs doivent s’ouvrir pour recevoir les jeunes gens qui joignent la bonne volonté à l’énergie, l’intelligence éclairée à l’esprit de discernement. Nous devons les accueillir parce que nous en avons besoin, d’abord; ensuite, afin qu’ils viennent constituer les forces vives, ardentes et franches de la nation. Or, qu’on encourage, en premier lieu, le Moniteur Acadien, notre premier journal, qui nous a rendu d’éminents services, qui est une institution nationale et qui a toujours purement conservé ses titres au patronage et au respect de tous les acadiens. Qu’on fonde, ensuite, à l’Ile du Prince Edouard ou ailleurs, d’autres publications saines, établies sous la direction d’hommes capables, avisés et compétents; très bien. Mais que le journalisme acadien qui, naturellement, représente les conditions contingentes de notre force, soit bigarré sous le pinceau maladroit du premier venu; qu’il s’étiole sous le souffle des incapables, c’est un fait qui ne saurait devenir en situation sans que nous protestions de toutes nos forces. Nous avons de notre nation une meilleure espérance, bien que nous connaissions ses faiblesses, son peu de cohésion, voire même ses contrastes. Nous en avons une meilleure espérance parce que nous sentons son cœur battre dans le cœur de ses enfants, et surtout, parce qu’elle n’a donné à personne le droit de la ridiculiser chez elle et devant l’étranger. Ainsi, en livrant au public nos réflexions sur ce sujet, nous venons seulement accomplir un devoir. Nous n’entendons pas même attaquer la patriotique sincérité du propriétaire de « l’Etoile du Nord. » Nous le connaissons trop bien pour douter un seul moment de ses sentiments. Mais il est des hommes dont le cœur vaut mieux que l’esprit, qui ont plus de patriotisme que de discernement éclairé, plus d’aspirations que de moyens pour arriver, enfin qui peuvent saper spéculativement et effectivement, par maladresse, la base d’une œuvre à laquelle ils mettent la main, tout en y restant attachés par les affections et le cœur. A ces hommes dont le cœur est, cependant, pavé de bonnes intentions, nous leur conseillons de se taire ou de laisser dormir leur plume, en pareille occurrence. Car de semblables inconvenances offrent un caractère de lésion tel que l’orgueil national ne peut s’en désintéresser. C’est à cette fin que nous poussons le cri d’alarme afin que les premiers remparts d’intégrité et de qualités nationales que nous avons élevés devant le monde entier, ne soient pas rasés, emportés sous les boulets des inspirés, fussent ces derniers moins imposteurs et moins coupables que celui de l’Onéida. PH F. B. Memramcook, ce 23 décembre 1881.