Une maison d’éducation pour la Baie Sainte-Marie.

Year
1881
Month
12
Day
22
Article Title
Une maison d’éducation pour la Baie Sainte-Marie.
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
Une maison d’éducation pour la Baie Sainte-Marie. Tel est le grand problème que nos compatriotes des comtés de Digby et de Yarmouth, à la Nouvelle-Ecosse, sont à étudier, et qui demande une solution immédiate. Nous ne croyons pas exagérer en disant que cette question se dresse impérieusement devant eux et qu’elle ne saurait trop fixer leur plus sérieuse attention. Population forte, vigoureuse, peuple intelligent et doué des plus belles qualités sous le double rapport moral et social, les Acadiens de la Baie Sainte-Marie sentent le besoin, pour donner essor à leurs nobles et légitimes aspirations, d’une éducation en rapport avec les nécessités et les progrès de l’époque. Placé à peu près dans les mêmes conditions que les autres groupes de la race acadienne dans les provinces maritimes, le noyau français qui s’est conservé dans cette retraire et qui a survécu aux infortunes qui ont marqué notre existence comme peuple depuis le commencement de la colonie, a partagé l’abandon, l’isolement et les épreuves auxquels les débris de ce petit peuple martyr ont été assujettis depuis la dispersion de 1755, et comme à eux l’instinct de la conservation lui a inspiré les plus grands sacrifices. En un mot pour rester français et catholique, pour demeurer les dignes descendants des braves pionniers de l’Acadie, les Acadiens ont dû se résigner à l’effacement, au silence, renoncer aux avantages de la participation aux affaires civiles et politiques, dans l’espoir qu’un avenir meilleur, des circonstances plus favorables leur permettraient un jour de s’affirmer et de prendre le rang qui leur revient de droit à titre de premiers possesseurs du pays et de sujets loyaux, de citoyens paisibles. Les évènements ont justifié notre attente. A mesure que les peuples qui nous entourent nous ont mieux connus et par conséquent sont devenus en état de nous mieux apprécier, nous avons monté dans leur estime,–et pour avoir été lent le progrès sous ce rapport n’en a été que mieux accueilli. La Confédération du Canada, l’annexion des provinces maritimes aux provinces d’en haut a accéléré sinon déterminé ce mouvement de réintégration. Que de modifications les quatorze années du régime fédéral n’ont elles pas apportées à notre condition! Il suffit de jeter un coup d’œil sur cette courte période pour embrasser les adoucissements qu’elle nous a valus, les espérances dont elle nous a inspirées. Aujourd’hui l’avenir nous apparaît plus souriant, les perspectives plus brillantes; nous avons la consolation de pouvoir nous dire qu’avec de l’énergie, du courage, du travail, nous pouvons gravir les degrés de l’échelle sociale, disputer à nos concitoyens d’origine différente les honneurs civils, et atteindre comme eux les hauteurs du progrès social et matériel. Nous avons compris que l’éducation peut seule nous fournir les moyens d’améliorer notre sort politique et nous y avons eu recours. Déjà nous avons obtenu des résultats, réalisé des progrès qui promettent et qui encouragent. Il s’agit maintenant de multiplier ces foyers de lumières qui éclairent notre existence afin de mettre les rayons bienfaisants qui en jaillissent à la portée de tous les groupes importants. Trop éloignés de Memramcook et de Saint Louis, nos frères de la Baie Ste Marie veulent avoir leur astre à eux; ils ont droit à nos félicitations et tous les cœurs français doivent se réjouir en présence de cette résolution aussi patriotique qu’intelligente et éclairée. Il ne faut pas se le dissimuler, l’œuvre que poursuivent les Acadiens de la Baie Sainte Marie n’est pas la chose facile; on n’obtiendra le succès qu’au prix de grands sacrifices et d’un dévouement constant et opiniâtre. Mais le sacrifice et le désintéressement ne sont-ils pas les plus beaux traits de notre caractère national? Le comité nommé à la réunion de Saulnierville en octobre dernier, recrute ses membres dans toutes les paroisses françaises de Digby et de Yarmouth, dont chacune pourra dire son mot, donner cours à ses opinions. Le comité a mission de « considérer et rechercher les moyens les plus propres de mener à bonne fin » l’entreprise de l’établissement d’une « maison d’éducation où l’anglais et le français seraient enseignés sur un pied d’égalité, avec la même sollicitude, et consacrée d’une manière toute particulière aux intérêts des Acadiens des deux comtés. » Espérons qu’à sa réunion à Météghan, le 6 janvier, le comité sera en mesure de présenter un projet réalisable, rencontrant l’approbation générale, et capable d’être mené à terme sous le plus bref délai, car le temps presse et l’accord, l’harmonie sont essentiels à la réussite d’une entreprise de cette nature. L’institution doit être localisée dans l’endroit le plus central possible et offrant le plus de garanties de succès. Outre les frais de fondation, il faudra aussi songer aux frais de maintien, et c’est là, croyons-nous, un des points les plus essentiels qui doivent fixer la plus sérieuse attention des habitants. On devra étudier la question sans parti pris, sans jalousie de localité, sans prévention, en un mot n’avoir d’autre ambition que celle de faire la plus grande somme de bien au plus grand nombre. Il serait malheureux que les considérations mesquines vinssent mettre entrave à l’exécution d’un aussi beau projet, destiné à répandre des bienfaits dont on ne saurait exagérer le prix. Le choix du personnel enseignant, du directorat si l’on veut, devra aussi être soigneusement pesé, car ce choix influera nécessairement sur le succès de la maison : il n’est pas besoin d’insister là-dessus. Nous n’entendons pas nous immiscer dans les mille détails d’une pareille entreprise, mais il nous sera permis, nous l’espérons, d’offrir quelques observations qui sont dictées par le vif intérêt que nous portons au projet qui nous occupe. Pour notre part, nous sommes convaincu qu’une institution comme celle que l’on projeté à Clare est plus apte à remplir efficacement le but de sa fondation en étant placée sous la direction d’une communauté religieuse dont les membres, ayant consacré leur vie à l’enseignement, profession ingrate s’il en fut, s’assujettissent plus facilement, et par devoir d’état, aux sacrifices de tous les instants, aux déboires et aux obstacles sans nombre qui s’imposent aux éducateurs de la jeunesse. Généralement, pour les laïques, l’enseignement n’est qu’une pierre d’achoppement, une position intérimaire; on saisit la première occasion qui se présente d’échanger une position qui demande une application constante sans présenter de rémunération adéquate contre la moindre situation qui s’offre avec plus d’attraits. Loin de nous la pensée d’amoindrir les mérites des instituteurs laïques, dont le dévouement et les sacrifices sous les circonstances trouvent en nous un admirateur et un appui constant. Le religieux, qui a offert d’avance sa vie en holocauste pour le bien de ses semblables, se voue avec courage, avec désintéressement à l’œuvre de l’éducation, et comme il passe généralement sa vie dans l’enseignement, il s’ensuit qu’il acquiert une plus grande compétence que son confrère laïque. Voilà, croyons-nous, autant de considérations qui méritent réflexion. Aussi est-ce avec confiance que nous les offrons à la méditation des promoteurs de l’institution projetée à la Baie Sainte-Marie, qui pourraient, avec l’assentiment de leurs supérieurs ecclésiastiques, se mettre en rapport avec quelque communauté enseignante. Il y a, par exemple, la congrégation de Sainte-Croix, dont l’établissement à Memramcook a déjà fait tant de bien au milieu de nous, qui a fourni, en peu d’années, au clergé un grand nombre de prêtres, aux professions des avocats, des médecins, au commerce des marchands et des commis, etc. Cette communauté compte un grand nombre de collèges et d’académies tout au Canada qu’aux Etats-Unis, où sa principale maison est l’Université de Notre-Dame, Indiana, qui occupe une des premières places parmi les hautes institutions de l’Union Américaine. Ses religieux sont rompus à l’enseignement qui n’a pas de secrets pour eux, et nous sommes convaincu que l’institution projetée à la Baie Ste Marie ne saurait être mise en meilleures mains. En tout cas, nous sommes persuadé que les directeurs du Collège St. Joseph de Memramcook se feront un plaisir de donner tous les renseignements, tous les conseils qu’on pourrait leur demander, même s’ils ne pouvaient se rendre au désir qu’on pourrait leur exprimer de les voir à la tête du collège de la Baie Sainte Marie, car on voudra bien se rappeler que nous faisons ces suggestions à leur insu.