le Recensement canadien de 1891

Newspaper
Year
1894
Month
7
Day
5
Article Title
le Recensement canadien de 1891
Author
E. Rameau
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
LE RECENSEMENT CANADIEN DE 1891 Ses Inexactitudes et ses Altérations au point de vue français Par E. Rameau de Saint-Père Président Honoraire de la Société Saint Jean-Baptiste (Canada) (Extrait de la Revue Française) NOUVELLE-ECOSSE Nous commencerons cette étude par la Nouvelle-Ecosse, province où la population française a été proportionnellement plus atteinte que dans toute autre, par les réductions et les éliminations officielles. Les Acadiens y figuraient dans le recensement de 1881 pour 40,997 âmes, or en 1891 M. Johnson n’en retrouve que 29,838! Quelles ont été les causes d’une déperdition aussi extraordinaire? Que sont devenus ces 11,000 Franco-Acadiens que M. Johnsen raye d’un trait de plume? Lorsqu’il fut inquiété à ce sujet par M. Tassé, il répondit sans s’émouvoir : que la Nouvelle-Ecosse avait été cruellement décimée en 1882 par une épidémie diphtérique;—que les rivages si redoutables de cette contrée avaient subi, en 1884, des tempêtes multipliées qui avaient englouti une foule de marins acadiens;— enfin, que l’émigration causée par ces désastres maritimes, aggravé par une rareté subite survenue parmi les poissons, avait singulièrement réduit les familles de ces marins! M. Reclus n’a pas eu de peine à lui démontrer que ces trois fléaux n’avaient point agi exceptionnellement sur les Acadiens! Les épidémies, les ouragans, la rareté du poisson ont dû affliger, sur ces côtes si rudes, les marins anglais aussi bien que les marins français.—L’émigration vers les Etats-Unis, nous le savons par une longue expérience, sévit plus encore sur les familles anglo saxonnes que parmi les Acadiens.—Si ces derniers enfin avaient perdu 11,000 âmes par de telles causes, les neo-Ecossais, qui sont dix à onze fois plus nombreux, auraient dû perdre plus de cent mille âmes! Bien loin de là cependant; ces circonstances fâcheuses pour les Français, ont été sans doute favorables pour d’autres, car, par une chance inattendue, la population de la presqu’île s’est accrue, dans son ensemble, de 10,120 âmes; rencontre de chiffres similaires, dont on fit bénéficier les Anglo-Saxons, et que l’on aime à croire fortuite. “Non, dit M. Reclus, ces raisons ne présentent que de vaines excuses, ce sont de ces arguments puérils que débitent les sophistes, quand ils ont quelque chose à cacher, ou qu’ils désirent parler pour ne rien dire. Vous avez cependant, M. Johnson, à votre disposition une meilleure raison, locale il est vrai, insuffisante peut-être, mais sérieuse, précise et déterminée dans l’importance de sa valeur : en 1881, l’avant dernier recensement, par un erreur d'attribution, portait 1,000 Acadiens de trop au comté d’Yarmouth; mes amis et moi nous nous en sommes aperçus ici même à Paris, en compulsant le recensement. Nous en avons aussitôt informé votre honorable et regretté prédécesseur, M. Taché; il nous remercia de notre avis, mais il était trop tard pour rectifier les chiffres; il en prit note sur ses registres, afin de l’utiliser ultérieurement. “Il y avait là de ce chef 1,000 à 1,200 âmes, qu’il eut été légitime, qu’il eût été nécessaire de mentionner en déduction dans vos statistiques de 1891. Pourquoi vous, le statisticien, comme vous l’écrivez avec tant de complaisance, n’en avez-vous point parlé? La raison en est simple, c’est que vous ignoriez l’incident; car si vous aviez connu cette forte raison, vous n’eussiez point masqué vos opérations suspectes avec les enfantillages déplacés que vous prétextez aujourd’hui. “Mais comment ignoriez-vous cette circonstance? Vous avec donc bien peu consulté les archives de vos statistiques canadiennes? Or si vous n’avez pas consulté ces dossiers, où donc avez-vous appris la science, où vous prétendez prendre aujourd'hui vos degrés? Il vaudrait mieux, peut- être, faire quelque supplément d’études qui vous manquent, et ne plus mettre sur votre bonnet: je suis le statisticien breveté du Gouvernement. Sinon les économistes pourraient vous répudier en vous repoussant dans la cohue ridicule de ces faux savants que Molière a placés derrière le Malade imaginaire.” C’est ainsi que notre ami a désarçonné ce recenseur improvisé. Voilà donc ces explications tombées par terre, et nous sommes ramenés à notre première question : “Qu’a-t-on fait des 11,000 Acadiens qui ont “disparu du recensement de la Nouvelle-Ecosse?" Dans cette situation, et devant les altérations nombreuses que les hommes les plus compétents signalent dans le recensement, il est donc nécessaire d’énumérer et de rectifier avec détail, autant que possible, les erreurs qui peuvent s’y trouver; nous parcourrons à cet effet tous les comtés de la province; seulement, avant de commencer ce parcours, il convient de rappeler que, par suite des instructions nouvelles, qui ont donné pour base d’appréciation, la connaissance de la langue anglaise par le recensé, au lieu de la déclaration d’origine, l’accroissement apparent des Acadiens entre 1881 et 1891 a été presque partout plus ou moins affaibli. Comtés de Digby et d’Yarmouth— Ces deux comtés, qui sont contigus, paraissent assujettis à la même fortune et aux mêmes observations. La création du collège Sainte-Anne, dans Digby, 1889, peut même y déterminer la création d’un centre pour tous les Acadiens, qui sont si dispersés dans la presqu’île. Voici le tableau de leur statistique pour trois recensements : Recensements 1871 1881 1891 Comté de Digby Total des habitants..17,937 19,881 19,987 Catholiques……… 7,442 8,821 9,362 Acadiens……… 6,460 7,889 8,065 Comté d’Yarmouth Total des habitants.. 18,550 21,284 22,218 Catholiques……… 5,301 6,975 8,058 Acadiens……… 4,852 7,491 7,169 Ces deux extraits des recensements ne portent en apparence, aucune trace de fraude, et leurs résultats se présentent dans des conditions généralement acceptables; cependant ou ne peut méconnaître qu’il y n des traces de désordres dans la confection de ces statistiques. C’est dans le comté d’Yarmouth qu’a eu lieu, en 1881, l’erreur de 1,031 Acadiens portés en trop en un lieu appelé Cheboque. Cette erreur aurait dû entraîner quelque embarras dans le raccord des comptes, et on n’en voit pas trace; d’un autre côté, il se montre une tendance générale à forcer la multiplication des Irlandais, ce qui est absolument en contradiction avec les recensements précédents et avec tous les rapports d’émigration et d’immigration de ces provinces entre 1881 et 1891, par lesquels ils paraissent plutôt diminuer que s’accroître. Nous pensons donc que, vu les circonstances dans lesquelles ce recensement de 1891 s’est opéré, et vu la progression normale des Acadiens, il y aurait lieu de remonter de 5 % en moyenne le nombre des Français, de manière à inscrire 8,385 Acadiens dans le comté d’Yarmouth, en diminuant d’autant le chiffre des Irlandais catholiques, qui sont évalués à 1,237 en Digby et à 889 en Yarmouth, évaluation qui est contradictoire avec la diminution des Irlandais dans toutes ces provinces depuis 10 à 15 ans. Dans ces deux comtés, il ne se trouvait en 1871 que 1,230 catholiques anglais; ils ne sont pas aujourd’hui plus de 1,500, ce qui constitue encore un accroissement de 10 % tous les dix ans, c’est à-dire bien supérieur à la moyenne ordinaire de leur progression. Comté de Cumberland—Ce comté renfermait en 1861 : 750 Français et 1,457 catholiques;—en 1871; Français 822 et catholiques 1855; en 1881 : Français 1,043 et catholiques 2,425; mais en 1891 avec le nouveau mode de recensement on ne trouve plus que 69 Français sur 3,873 catholiques. Cette quasi-radiation est d’autant plus difficile à justifier que nous savons personnellement comment les Acadiens du Nouveau-Brunswick, ont expédié dans ce comté de nombreuses familles depuis 1880, lesquelles ont dû augmenter la population français de plus de 50 0l0. Notre opinion a été en outre confirmée par les registres de l’immigration qui constatent en dix ans un accroissement de 1,500 immigrants venus du Nouveau-Brunswick dans le comté de Cumberland. Ces Acadiens du Cumberland se sont presque tous agglomérés autour d’un petit village autrefois nommé Menoudy ou Rivière Hébert; ce village avait été formé, il y a plus de cent ans, par quelques familles, restées dans la presqu’île au moment de la proscription et que les Acadiens du continent sont venus constamment rejoindre. Le caractère de cette stabilité laborieuse et progressive n’a pas besoin d’être dé montré, et au lieu du chiffre dérisoire de 69 personnes, nous tenons pour démontrer que cette population dépassait 1,600 âmes en 1891. Comté de Guysborough—1,358 Acadiens en 1881; réduits à 151 en 1891. Comté du Cap-Breton—1,338 Acadiens en 1881; réduits à 207 en 1891. Rien ne justifie, rien n’explique ces énormes réductions; les mêmes familles, les mêmes villages y restent toujours dans la même situation. J’ai eu l’honneur de me rencontrer avec M. le curé de Sydney (Cap Breton) lui-même; ce digne prêtre a été aussi étonné que moi-même de se changement à vue; les Acadiens de Sydney très éloignés de tous les autres ont pu contracter quelques façons et quelques habitudes anglaises, mais leurs relations constantes avec nos Français de Saint Pierre Miquelon qui vont s’approvisionner de charbon de terre à Sydney, les maintiennent sans peine dans leur langue et dans leurs traditions. Leur nombre doit donc être rectifié avec un léger accroissement sur le pied de 1,500 Acadiens dans le comté de Guysborough et plusieurs hameaux vers le cap Canseau; et 1,300 Acadiens dans le comté du Cap Breton. Comté de Richmond—Voici la comparaison des 3 recensements : 1871 1881 1891 Population totale …14,268 15,121 14,405 do catholique. . 10,243 10,722 10,288 do acadienne.. 6,955 7,348 6,138 Ce tableau nous présente la population acadienne comme ayant perdu, en 1891, 1,210 âmes, mais comme les Acadiens sont tous catholiques, cette même diminution devrait se retrouver dans le nombre des catholiques, mais les catholiques n’ont diminué que de 434! il faudrait donc qu’il fût venu du reeors 776 immigrants catholiques. Or si nous consultons les listes d’immigration, nous trouvons que dans toute la Nouvelle-Escosse et particulièrement dans le comté de Richmond, l’immigration étrangère diminue considérablement d’année en année. en 1871, il y avait dans ce comté 827 natifs d’Angleterre; en 1881 seulement 653; en 1891 moins de 500; il n’est donc point venu d’immigration extraordinaire de catholiques anglais, au contraire; cette contradiction entre le recensement des catholiques et le recensement des Acadiens, nous fait saisir en flagrant délit, la manière d’opérer des agents de M. Johnson : on reporte, sur les catholiques anglais, les Acadiens que l’on supprime. Le moins que l’on puisse faire dans cette circonstance, c’est donc de rétablir le chiffre de 1881 en reportant de nouveau 7,348 Acadiens. Comté d'Antigonish.—Voici l’état comparatif des trois recensements : 1871 1889 1891 Population totale.. 16,562 18,860 16,112 do catholique. 13,999 15,346 13,859 do acadienne. 2,671 2,882 2,948 Nous remarquerons ici que toutes les populations d’Antigonish sont en diminution; la médiocrité de la progression des Acadiens n’a donc rein qui doive nous surprendre; elle est en concordance avec l’état général du comté; le reste de la population a même diminué entre 1871 et 1891. Nous acceptons donc ici le recensement actuel. Comté d’Invemess.—Le comté d’Inverness est presque exclusivement peuplé d’Ecossais : 20,000 sur 25,000. Toutefois, il existe au nord un district cantonné dans les montagnes, et peuplé en grande partie d’Acadiens. Le principal établissement s’appelle Cheticamp; l’autre est à Magré. Ces Acadiens qui sont aujourd’hui 4,153, ont plus que doublé depuis 1860. C’est un peuple très prospère, à demi marin, à demi cultivateur, et sa condensation isolée l’a mis à l’abri de toute falsification dans le recensement de 1891; tout ce canton, y compris quelques Ecossais catholiques, forme trois paroisses contiguës, en plein progrès; elles comprennent en tout près de 5,000 âmes. Nous acceptons donc ici les chiffres du recensement comme dans le comté précédent. Halifax (ville)—La ville d’Halifax est située dans le comté d’Halifax, que nous examinerons séparément, car il forme un article spéciale du recensement. Avant 1871 il y avait extrêmement peu de Français dans Halifax; en 1871 on en constatait 471; en 1881 ils s’élevèrent à 936; mais en 1891 on n’en marque plus que 104. Il est évident qu’il s’agit ici d’une émigration rurale vers la ville, comme il s’en manifeste partout. Celle-ci est venue des divers groupes acadiens, disséminés dans la province, comme ce genre d’émigration procède toujours en augmentant, à moins de quelque évènement extraordinaire, il est à peu près certain qu’en 1891 il devait y avoir à Halifax 1,300 à 1,400 Acadiens; le chiffre de 104 Acadiens, que l’on a consigné dans le recensement, n’est donc qu’un chiffîre de fantaisie, qui nous montre une fois de plus que l’ouvrage des recenseurs, sinon leur règle, a été de n’inscrire les Acadiens, en tant que Français, que lorsque cette inscription s’imposait par quelque forte raison. Nous inscrirons donc pour la ville d’Halifax un minimum de 1,000 Acadiens, les uns employés, les autres artisans, quelques-uns gens de service. Comté d’Halifax.—Ce comté se divise en deux sections : l’une située au nord-est de la ville, jusqu’au comté de Guysborough, renfermait 1,667 Acadiens en 1871 la plupart étaient établis sur le bord de la mer, dans les hameaux de Muscodoboit, de Chezetcook et aux alentours. Les premiers habitants furent des Acadiens échappés à la proscriptions, capturés ensuite et retenus dans les prisons d’Halifax jusqu’à la fin de la guerre. Lorsqu’ils furent relâchés, ils se réfugièrent à quelques lieues d’Halifax dans les rochers de Chezetcook où ils s’établirent, vivant d’abord de la pêche, puis ensuite de culture. Ils y furent rejoints de temps en temps par quelques-uns de leurs compatriotes dispersés. Les premières années furent dures, en 1831 ils n’étaient pas 500; mais ils s’y développèrent si bien qu’en 1871 on en comptait sur cette côte 1,667; en 1881 leur nombre s’élevait à 1,966, dont 1,600 dans les deux principaux villages. Cette colonie ainsi que celle de Cheticamp, dans le comté d’Inverness, compte parmi les paroisses acadiennes les mieux conservées; elle s’accroît de jour en jour et devait certes dépasser 2,500 habitants en 1891. Cependant quelle que fut la bonne tenue et la bonne union qui régna parmi ces familles au sein de leur isolement, les agents de M. Johnson sont parvenus, sons divers prétextes, à n’en enregistrer que 652 comme Acadiens, pour nous, nous croyons rester beaucoup au-dessous de la vérité en ne les portant que pour 2,000 sur toute la côte qui court au nord-est, depuis Dartmouth jusqu’au comté de Guysborough. Le sud-ouest du comté d’Halifax offre un groupe acadien d’un genre tout particulier, sur lequel il est nécessaire d’arrêter un instant notre attention : cette partie du comté d’Halifax à laquelle il faut joindre les comtés de Lunembourg, de Queen’s et de Shelburne qui se suivent jusqu’au cap Sable, renferment le pays que, du temps des Français, on appelait le quartier de la Hève : il y était toujours resté, même après l’établissement définitif de Port-Royal en 1640, un certain nombre de familles françaises. Plusieurs des proscrits de 1755 se réfugièrent parmi elles, et tout ensemble vécurent à l’abri dans les forêts de l’intérieur avec les sauvages, comme avait fait le fils de Poutrincourt avec ses compagnons, en 1615, après l’invasion et le pillage d’Argall. Comme eux, ils y véçurent de longues années à force de persévérance et d’énergie; ce serait une histoire très curieuse à étudier et à raconter. Quoi qu’il en soit, ils demeurèrent dans ces retraites sauvages dans un tel état d’isolement, jusque dans les premières années de ce siècle, que les autres Acadiens eux-mêmes le perdirent de vue; ils devinrent ignorés du reste du monde. L’abbé Maillard fut peut-être le dernier missionnaire qui ait pu entretenir quelque relation de religion avec eux. M. l’abbé Lartigue, envoyé par l'évêque de Québec pour parcourir les paroisses acadiennes, en 1803, fait mention dans son rapport de quelques familles acadiennes qui vivaient au sud-ouest d’Halifax, du côté de Prospect. Depuis lors on n’entendit plus parler de ces réfugiés, jusqu’aux premiers recensements de la Nouvelle-Ecosse de 1827 à 1837; ils avaient alors pour la plupart perdu les traces de la foi catholique, et probablement de leur langue maternelle, mais ils avaient conservé la tradition et l’amour de leur origine. Ils se réclamaient de leur qualité de Français, et se firent inscrire comme tels sur les registres du recensement en 1871. Ils en agirent ainsi par leur propre spontanéité, car personne dans cette contrée ne s’intéressait à leurs vieilles traditions, et dans tout le reste de la Nouvelle-Ecosse, personne, même les autres Acadiens, ne soupçonnait leur histoire ni même leur existence. En 1871, ils étaient 3,000; en 1881 leur déclaration s’élève à 3,664, ce qui nous montre combien ces déclarations étaient tout à fait spontanées; à chaque recensement, en effet, l’accroissement de leur nombre est supérieur à celui de l’accroissement naturel. Pourquoi? parce qu’à chaque recensement, de nouvelles familles viennent se joindre aux autres, après s’être tenues à l’écart au premier abord. Peut-être en 1891 en aurait-on trouvé plus de 4,000, si Johnson le statisticien n’y eût mis bon ordre : dans son recensement, les trois comtés de Shelburne, Queens et Lunembourg, ne contiennent que 45 Acadiens, et dans le sud-ouest du comté d’Halifax il en désigne 5. Voici donc que 4 districts : Halifax-ouest, Lunembourg, Queen’s et Shelburne, qui comptaient ensemble, en 1881, un total de 4,000 Acadiens environ, n’en contiennent plus aujourd’hui que 50, du moins sur le papier. On a donc supprimé dans ce seul coin de la Nouvelle-Ecosse 4,000 Acadiens, c’est-à-dire près de la moitié du déficit que présente le Census de 1891 sur celui de 1881.Certes ce groupe acadien qui existe dans le sud-est de la province, présente une situation tellement singulière que l’agent du recensement peut y trouver une excuse, une explication très légitime; cependant pour avoir perdu, par la fatalité des circonstances, leurs croyances religieuses et leur langue originelle, ces réfugiés de la côte de l’Est n’en sont pas moins d’origine acadienne et française; c’est un fait historique qu'ils reconnaissent et dont eux-mêmes ont réclamé la constatation. Le moins que l’on eut dû faire, eût été de consacrer ce fait historique, en insérant à la suite des deux comtés d’Halifax et de Lunembourg, une note de quelques lignes, mentionnant leur existence, leur progression, et le chiffre présent de leur population. La rédaction de cette note aurait été d'autant plus juste et d’autant plus intéressante quelle présentait à la fois une utilité économique et un caractère historique tels que l’attitude même des habitants semblait le désirer. A chaque décade, en effet, leur nombre s’accroissait, non pas seulement de 10 à 12 %, résultat ordinaire de l’excédent des naissances; mais de 20 % et plus. Il est même probable qu'en 1891, le chiffre des Acadiens de cette catégorie eût dépassé 4,000 si M. Johnson n’avait pas fait rayer d’office tous ceux qui ne présentaient pas une réclamation d’inscription nouvelle et spécifiée. Le comté et la ville d’Halifax fussent donc comporté l’inscription de 3,000 Acadiens : savoir, 2,000 dans le quartier de Chezetcock, et 1,000 dans la ville d’Halifax; de plus il eût été convenable, de mentionner dans une note, comme nous venons de l’indiquer, un groupe spécial de 4,000 Acadiens protestants, dans les 4 comtés de: Halifax, Lunembourg, Queen’s et Shelburne. Total de tons les Acadiens, dans ces 4 comtés 4,000 au lieu de trois. Il ne nous reste plus à examiner maintenant dans la Nouvelle-Ecosse, que six comtés : Annapolis, Kings, Hants, Colchester, Pictou et Victoria du Cap Breton. L’ensemble de ces six comtés comprenait, 1,032 Acadiens en 1871; et 2,027 en 1881. Ils ne formaient encore aucune agglomération notable; les plus forts groupes étaient 160 à Annapolis (ancien Port Royal) et 155 à la Rivière-Canard (au pays des Mines); mais il y vivaient, laborieux, patients et stables, au milieu des souvenirs de leurs aïeux; leur nombre grandissait d’année en année; depuis 30 ans, ils étaient devenus 2,027; tout a coup, en 1891, on n’en trouve plus que 164! Les autres n’ont été considérés que comme des Heymathlosen (gens qui out perdu leur chez soi). Il est inutile, sur ces chiffres minimes, dispersés en six districts, de faire des recherches longues et pénibles; 164 au lieu de 2,027! cela suffit pour montrer l’inexactitude de ces évaluations. Si l’honorable M. Taché avait pu continuer à diriger ces travaux, avec son expérience, sa rectitude d’esprit et sa profond équité, ces Acadiens seraient maintenant plus de 3,000, consignés sur les registres publics; pour nous, nous nous contenterons de réinscrire dans ces six comtés, le nombre de 2,027, qui avait été constaté il y a 12 ans. Nous pouvons maintenant nous rendre compte de ce que sont devenus les 10,000 Acadiens dont la destinée nous inquiétait. Ils étaient 41,219 en 1881 dans cette province, on devrait en trouver aujourd’hui 46,000; mais le recensement ne nous en présente que 29,838 pour 1891; c’est même avec beaucoup de peine que nous parvenons, à travers le désarroi des documents bouleversés, à relever ce recensement défiguré, jusqu’à une rectification de 43,824 Acadiens dans la Nouvelle-Ecosse. Seulement nous avons mis en lumière les procédés qu’emploient M. Johnson et ses agents; nous savons comment on escamote les populations dont la fécondité devient gênante, afin d’opérer des virements de population, très propres à combler les vides qui menacent de se faire chez les voisins. Cette leçon ne sera point perdue sans doute, et ce sera désormais avec une juste méfiance que nous allons poursuivre l’analyse critique de ce recensement. Il ne nous reste plus, pour terminer cette section, qu’à résumer les rectifications que nous venons d’opérer. Le lecteur trouvera dans le petit tableau qui suit, la liste de tous les comtés de la Nouvelle- Ecosse, et en regard de chaque comté : la population acadienne de 1881, le chiffre officiel de 1891,—et le chiffre ici rectifié, par nous-même aujourd’hui—lequel nous proposons de substituer aux évaluations trop arbitraires du recensement que M. Johnson vient de publier.