Chez les Acadiens

Newspaper
Year
1894
Month
3
Day
15
Article Title
Chez les Acadiens
Author
Prof. J. Lanos
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
CHEZ LES ACADIENS Traduit de l'anglais du Rev. A. B. Parker [Donahoe’s Magazine, Mardi 1894.] A quelques heures de traversée de Boston—traversée, soit dit en passant, qui ne laisse à désirer aucune des aises de nos modernes voyages en bateau—s’étend une terre aussi intéressante au point de vue historique qu’à l’imagination du romancier. Là, un homme oisif, un chercheur littéraire, un artiste, un poète, un sportsman, un convalescent, peut se faire un chez soi délicieux, une villégiature idéale. La péninsule de la Nouvelle-Ecosse est tellement connue du touriste des beaux jours d’été qu’il serait oiseux de s’arrêter longtemps à détailler ses qualités multiples, ses agréments comme lieu de repos et de paresse, devant ceux de mes lecteurs qui seraient à la recherche d’une résidence d’été. De préférence exposerais-je quelques esquisses de la vie et des coutumes des compatriotes d’Evangéline, des descendants de ces hommes et de ces femmes intrépides qui furent exilés pour leur Dieu et pour la patrie qu’ils aimaient. Ils habitent encore l’Acadie ; sur les plages de l’Atlantique morne et brumeux où ils ont bâti leurs maisons, non plus la hutte grossière du pêcheur qui vivait du produit incertain de la pêche, mais la coquette et commode habitation du fermier aussi bien que du pêcheur, où l’abondance ne discontinue pas d’un bout de l’année à l’autre, où, dans chaque foyer, vit la flamme de la Foi, si brûlante, si intense, si victorieuse qu’elle force le doute des critiques et surprend les visiteurs d’aventure. Deux comtés de la partie Ouest de la N. E. (Yarmouth et Digby) contiennent le noyau principal de la population Franco Acadienne de l’archidiocèse de Halifax. Surtout dans le comté de Digby, grâce au nombre autant qu’aux rangs occupés par quelques acadiens de la jeune génération, ils ont politiquement et socialement une valeur dans la vie publique, pendant que la rapide extension et la facilité de s’instruire a apporté un changement en bien notable dans les us et coutumes et les tendances populaires, depuis moins d’un siècle. Toutefois, c’est au point de vue religieux que je voudrais amener à considérer les acadiens. Qu’on ne perd point de vue que je ne parle que des acadiens des deux comtés cités et je prierais le lecteur de me dire ce qu’il pense de la foi, du zèle, de la générosité, du désintéressement qui les a portés, eux, une poignée de fidèles, comparativement parlant, de 17000 ou 18000 âmes, à élever, dans l’intervalle de dix ans neuf ou dix églises, dont quelques unes seraient dignes des villes grâce à leur magnificence, à en réparer et embellir trois ou quatre autres d’un autre âge, à bâtir et meubler quatre ou cinq nouveaux presbytères, à fonder, comme couronnement à tous ces travaux, le magnifique collège Ste-Anne où, à travers les âges, le flambeau de la science, sera constamment tenu allumé, phare glorieux destiné à diriger la marche de leur race. Tout ceci et l’achat des terres dévouées aux cimetières et à d'autres fins en rapport avec les besoins de l’église, la libéralité avec laquelle ils soutiennent leurs prêtres et que leurs frères dans la foi, les Irlandais, ont seuls égalés si les acadiens les ont dépassés, constitue le côté matériel du travail religieux et du progrès de nos acadiens, les dix dernières années. Naturellement, il y a eu au gouvernail une main qui dirigeait, quelqu’un a réglé tous ces mouvements, quelqu’un dont l’esprit s’est communiqué aux pasteurs agissant sous sa houlette. C’est le premier pasteur de ce diocèse, l’illustre archevêque de Halifax. Les monuments de son zèle sont partout et n’ont pas besoin de hérault qui les proclame. Peut être ne serait-ce pas trop dire, si nous affirmions, après l’expérience des années que nous comptons ici, que la foi ne se retrouve nulle part plus vive et plus pure que chez les Acadiens-Français, ne confondez pas les noms ; nous ne parlons pas des Franco-Canadiens; ces derniers peuvent être et sans doute sont d’excellents enfants de notre mère la Ste-Eglise, mais leur docilité, mais leur générosité, leur croyance intelligente, leur viril accomplissement de leurs devoirs religieux sont grandement différents de ceux des Acadien. Qu’on les prenne chez eux ou aux Etats-Unis, cette différence saute aux yeux d’un observateur impartial, n’importe la raison première et le secret de ces divergences. Il y a un peu plus de 100 ans, les ancêtres de nos acadiens fuyaient les rives inhospitalières de la Nouvelle-Angleterre et d’ailleurs, de fait, ils n’étaient qu’une poignée de pauvres paysans. Aujourd’hui ils sont, une fois de plus, possesseurs pacifiques de la terre de leurs aïeux. Un impérissable attachement au siège de Pierre et à ceux qui ont charge, de par lui, de paître les agneaux, les caractérise toujours. En nombre de cas, ils feraient, des médecins de leur âme, les médecins de leurs corps si ces derniers voulaient accepter la position. Comme au temps jadis, les malades étaient couchés là où l’ombre de l’apôtre en passant tomberait sur eux, ainsi l’acadien malade se lèvera de sa couche de souffrance pour demander, non pas comme une faveur mais comme un droit, que le prêtre guérisse son mal. Aucun sentiment de sectarisme, aucun chauvinisme national ne prévaut dans leurs cœurs de catholiques lorsqu’il est question de recevoir un nouveau pasteur. Des Irlandais, des Américo-Irlandais, des prêtres de sang écossais et quelques prêtres français ont pourvu à leurs besoins spirituels pendant des générations, et, c’est merveilleux, les noms et les souvenirs de ces premiers auxquels ils sont restes attachés, si la mort les a enlevés, et la confiance, le dévouement, comme paroissiens, qu’ils professent à l’égard de leurs successeurs, de même langue et de même race. Le langage de la Belle France est encore celui dans lequel ils parlent à Dieu et prient, aussi bien qu’il est la parole gracieuse et mélodieuse dans laquelle s’expriment leurs pensées et leurs espérances sur les bancs des écoles et dans le gouvernement de la famille. Beaucoup de mots anglais se sont faufilés dans leur phraséologie et leurs expressions. Cependant, quoique surannés et bizarres, beaucoup de leurs mots sont encore le français classique et correct d’une époque qui n’est plus, c’est vrai, et les plus petits enfants suivent et comprennent sans une erreur tout ce qu’ils entendront parlé ou écrit dans le plus pur et le plus moderne français. Ici, donc, aux portes mêmes de l’Athènes de notre temps, vit un peuple plus ignoré, peut-être, des habitants de nos grandes villes qu’aucune autre race du continent. Le roman et l’histoire sont mêlés à leur exil et à leur retour ; toute pointe de terre, tout cap, le long de leurs plages rocailleuses parle poésie, injustice et douleur. Longfellow a beaucoup fait, mais il reste encore beaucoup à faire et lorsque l’histoire, dans ses détails mouvementés et grandioses, sera donnée au monde, elle captivera ceux qui la liront, pendant que le récit des joies et des peines, des espérances et des craintes d’un peuple, seront d’un intérêt que rien ne surpassera ni n’approchera. PROF. J. LANOS