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Year
1890
Month
16
Article Title
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Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LE MONITEUR ACADIEN SHÉDIAC, 16 SPETEMBRE 1890 GRAND PRÉ On a beaucoup parlé de Grand Pré. Un grand nombre de touristes du Canada et de la République voisine visitent, en effet, avec intérêt, cette vieille place historique. J’avais hier, l’occasion, pour la première fois, de parcourir cet ancien district des Mines et c’est sous l’impression qui m’a été faite que j’ai cru en écrire un mot au MONITEUR sachant que nos compatriotes ne se fatiguent pas d’entendre parler du mémorable « Grand Pré. » Arrivé par les chars du matin à la station du chemin de fer, j’appris qu’un vieux capitaine Graham était le meilleur cicérone que je pourrais avoir pour me conduire sur les lieux à visiter. Ce respectable vieillard qui a une belle résidence et une magnifique propriété, justement en face du marais, est né à Grand Pré. Ses ancêtres appartenaient au bannissement de 1755 et très probablement, le désiraient comme les autres. Il m’accueillit avec cette politesse véritable mais réservée, qui caractérise, au reste, les Saxons. Après lui avoir demandé ses services, il eut vite attelé son cheval et on se mit en route. Il me propose d’aller en haut de la vallée du Gaspereau. « Il y en a très peu, dit-il, qui se rendent de ce côté, mais je crois que pour vous, vous n’aurez pas sujet à regretter le voyage. C’est là, en effet, à trois milles et demi de la station actuelle du chemin de fer, que l’on retrouve, en plus grand nombre, des traces encore frappantes des établissements d’autrefois. » – Je n’ai pas le loisir, étant en voyage, de vous communiquer les notes que j’y ai prises. Elles pourraient être ennuyeuses, au reste, pour beaucoup de lecteurs. Disons, en passant, toutefois, que la petite rivière Gaspereau y est remplie de gaspereaux et de saumons. Cet été, il y en avait plus qu’on ne pouvait suffire à pêcher et à préparer pour le marché. A trois ou quatre milles de son embouchure, cette rivière ressemble un peu à la rivière de Memramcook, telle qu’on l’aperçoit entre Meadow Brook et Dungiven. L’eau salée et le jaune alluvion n’y montant qu’aux grandes marées de chaque mois. L’après-midi, nous visitons le bas de la rivière. De riches lopins de terre sur lesquels grandissent de beaux vergers témoignent de la fertilité du sol. Les patates ont encore magnifique apparence et ne sont pas frappées par la rouille comme dans les comtés de Digby et Yarmouth. Nous passons tout près de la résidence d’été du juge Wetherbe, drôle de maison dont les bardeaux plongés les uns dans l’huile bouillie les autres dans l’huile crue, sont conséquemment de différentes couleurs. Cet assortiment de bardeaux blancs et rouges sont d’une apparence aussi singulière qu’originale. D’après ce qu’on dit le Professeur H. Y. Hind dans le Herald d’avant-hier, ce serait là qu’était autrefois situé le vieux village des Melanson. « These are the seven hills of Rome, » me dit tout à coup le capitaine, en me montrant, de fait, une rangée de collines qui se dessinent au sud du Gaspereau. « Yes, lui dis-je, en lui tapant amicalement sur l’épaule, and your ancestors deprived us of these even before the Italians ever thought of taking the Seven Hills from the Pope. » Le brave capitaine eut un franc éclat de rire, puis il ajouta que, dans quelques instants, nous serions au quai même d’où descendirent les acadiens pour être transportés sur les navires anglais qui étaient dans une rade voisine qu’il m’indiqua du doigt. Le quai actuel qui a une longueur de 160 pieds sur 75 de largeur est exactement au même endroit et sur le même emplacement que le quai au temps de la dispersion. Là, le Gaspereau a environ un quart de mille de largeur. Une dune de sable et de gravois recouverts d’une légère couche de rase fait bifurquer le chenal de la rivière en face du quai. Sur tous les poteaux de ce quai on y voit une foule de noms découpés dans le bois ou écrits au crayon en couleur rouge ou bleu. Un orme gigantesque qui est près de là est tout entaillé à la base. Mon conducteur me dit que les visiteurs emportent ces morceaux pour les vendre au musée et les représentent comme des morceaux d’un vieil orme dont parle Longfellow et qui était à l’endroit de l’embarcation de 1755. Sans ouvrage historique avec moi et n’ayant que mon porte-manteau de voyage, je ne puis vérifier ce fait à la faveur des lumières de l’histoire. Quoiqu’il en soit, je me fais conduire à travers le marais qui a deux milles de largeur vers le Bassin des Mines. Une magnifique plaine contenant dans son étendue deux milles acres de pré sans compter ce qu’il y a en face de Wolfville. Ça et là paissaient des chevaux et quelques bêtes à cornes. Combien d’animaux à peu près voit-on paître ici, l’automne, dans ce marais de Grand Pré? demandai-je au conducteur. – Huit cents et pas plus, me répondit le capitaine avec un ton de voix tel que doivent prendre les oracles. – Oh! oh! qui est-ce qui les compte, repartis-je. – Il faut vous dire, d’abord, continua le capitaine que notre municipalité de Grand Pré est très sévère pour le pâturage dans le marais, et ses lois sont strictement observées. Or volet la loi. Vous pouvez envoyer des animaux au marais au pro ratâ de l’étendue de marais que vous possédez : on alloue un animal de pleine croissance, a full grown creature pour deux arpents et demi de pré. Vous en voyez très peu maintenant, poursuivit-il, car ce n’est que depuis lundi le 8 courant que le marais est ouvert à ce pâturage. Voilà comment on procède à l’envoi du bétail. Chaque année, une assemblée est convoquée pour fixer le jour où le marais sera prêt c.-a-d. où tous les grains seront enlevés. Cette date arrivée, chaque habitant ou fermier va choisir parmi ses herbivores le nombre des ayants-droits qu’il veut conduire au marais. Il les fait passer par la pound. Là, il y a une liste sur laquelle sont inscrits les noms de tous les fermiers qui ont une ou plusieurs parts dans le marais, ce qui fait que justice est donnée à chacun et qu’en définitive, on ne peut voir plus que huit cents animaux sur cette plaine. Car le gardien de la pound [illisible] sur chaque animal une marque sans laquelle ils ne sont pas autorisés à manger l’herbe tendre………. C’est une très bonne loi, à mon avis et qu’il serait sage de suivre ailleurs dans tous les districts où il y a des marais attenants. Aussitôt que l’herbe [deux paragraphes illisibles]. En revenant, j’allai voir le vieux cimetière qui est situé en face de la station [illisible]. Là où est l’emplacement de la vieille église de Grand Pré, on aperçoit dix vieux [illisible] qui ont poussé et grandi, après que ces lieux sont venus déserts. Deux caves et un vieux palla creusé par les anciens acadiens et où on y pêche encore de la bonne eau, voilà tout ce qu’on aperçoit sur cette colline sis au pied de la terre haute et enclavée même dans la plaine surface du marais. Après avoir renvoyé mon guide, je fais le trajet à pied du cimetière au quai de l’embarcation que je retournai voir avant l’arrivée des chars des cinq heures p.m. J’étais au 10 septembre 1890, à 135 ans de distance jour pour jour de la date où fut complètement terminée la tâche ardue de l’embarquement pour l’exil. Triste épisode dans les [illisible] de notre histoire! Aussi, je puis affirmer qu’après avoir visité Louisbourg, Port Royal, Beauséjour, etc., nulle place ne m’a plus impressionné que Grand Pré. Ce site historique vous saisit et vous étreint le cœur malgré vous. Ce qu’est accompli des Lawrence, des Green, Cotterell et Belcher, ces conseillers aidés de Phips, de Winslow et de Murray ne sera jamais oublié et le souvenir des pauvres malheureux qui par stratagème ou par force ont été conduits, il y a un siècle et tiers, de leurs riches occasions, [reste de phrase illisible]. Enfin, je laisse en me rappelant ces paroles citées par Murdock : However rugged to be the strand, I love, I prise my native land. On no compulsion would I change For fairer clime or wider range Here where my infant joys were found To me is ever holy ground. PH. F. B