Correspondance: oui, honteux esclavage!

Year
1890
Month
6
Day
24
Article Title
Correspondance: oui, honteux esclavage!
Author
Acadien de Kent
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
Correspondance. OUI, HONTEUX ESCLAVAGE! M. le Rédacteur, « Acadien de Victoria », qui n’est Acadien ni de race ni de cœur, n’a pas été heureux dans son interprétation du « honteux esclavage » dont il parle dans sa communication du 7 juin. Nul Acadien n’a trouvé dans la lettre de M. Girouard une condamnation de l’hon. M. Costigan. Personne, si l’on excepte « Acadien de Victoria », n’y a lu que M. Costigan ne se soit montré un digne représentant et un député dévoué à notre avancement politique. Il n’y a que des Acadiens de la trempe de celui de Victoria qui se permettent, sans scrupule aucun, de tourner ce qu’a écrit M. Girouard à l’avantage de la minorité irlandaise de Kent. Si le comté de Victoria compte plus d’officiers et d’employés du gouvernement appartenant à notre nationalité qu’aucun [illisible] de la Province, cela n’efface pas l’esclavage que nous déplorons. L’auteur de la correspondance en question s’aventure à faire connaître que l’hon. M. Costigan a fait plus pour les Acadiens qu’aucun autre représentant fédéral. Si nous n’étions dans l’esclavage nous n’aurions pas à remercier un Irlandais pour tant de bienfaits. C’est bien là une admission qui démontre notre esclavage plus qu’elle publie les mérites de l’hon. M. Costigan. Disons donc une fois pour toutes. Nous avons chez la nationalité Irlandaise de braves, de généreux, de loyaux, de charmants hommes ; hommes qui font de dignes représentants, de dignes citoyens, &c., &c. Personne ne leur dispute cela. Mais pour nous Acadiens n’oublions donc pas nos compatriotes, qui sont aussi dignes, aussi braves, aussi généreux, aussi charmants que leurs voisins d’autres origines. N’oublions donc pas les difficultés qui les ont entourés, qui les entourent encore, et nous rappelant cela faisons notre devoir les uns envers les autres. Serrons nos rangs et ne laissons pas les autres nationalités nous enlever les positions et les honneurs qui nous appartiennent. Les Acadiens n’accusent pas le digne et honorable député de Victoria de s’être montré leur ennemi. Au contraire, ils lui sont redevables d’une infinité de faveurs. Mais cela nous doit-il empêcher de reconnaître que dans Victoria, Gloucester et Kent, où les Acadiens sont cinquante fois plus nombreux que les Irlandais, ces derniers ont recours à tous les moyens pour empêcher qu’un Acadien soit élu député à la Chambre du peuple? Et n’est-ce pas de l’esclavage que de se voir si nombreux et en même temps impuissants à élire un de nos compatriotes? Le mot esclavage veut dire dépendance, assujettissement. Si Kent élit un Irlandais, les Acadiens du Nouveau-Brunswick qui sont plus nombreux que les Irlandais catholiques ne seront-ils pas entièrement sous la dépendance politique de ces derniers? Ne seront-ils pas, politiquement parlant, absolument soumis, assujettis au gré de leurs désirs? Cela ne veut pas dire que cet esclavage serait absolument malheureux ; mais pour une race fière et imbue du plus pur patriotisme un tel esclavage serait sans contredis honteux, impardonnable. Nous aurions peut-être la consolation de savoir que c’est un esclavage volontaire, au moins pour ceux qui refusent de supporter leurs compatriotes. Un joli spectacle, n’est-ce pas? Une province comptant plus d’Acadiens que d’Irlandais fournissant trois députés Irlandais à la chambre du peuple, et pas un seul Acadien! Et ces trois Irlandais élus par des Acadiens principalement! En voilà de la générosité et du désintéressement! Et avec un tel spectacle devant les yeux il se trouve dans Victoria un « Français » qui se signe « Acadien » et nous dit que c’est l’Irlandais qui a fait plus pour nous, etc. Il ne nous dit pas que nous Acadiens avons fait plus pour les Irlandais qu’ils ont fait pour nous. Il est vrai que quand un sénateur nous a été donné, un juge nous a été accordé, l’Irlandais était ministre, et s’il eût opposé ces nominations peut-être ne les aurions-nous pas obtenues. Si par hasard un Acadien eut été ministre–mais cela ferait trop de peine à l’ « Acadien de Victoria »–prétend-il ce brave « Acadien de Victoria » que nous n’aurions pas un sénateur et un juge? N’aurions-nous pas pareillement un sénateur, un juge et de plus un ministre? Le crédit de toutes ces belles choses retomberait sur un des nôtres, et par conséquent sur notre petite race. Aujourd’hui « Acadien de Victoria » ne veut pas même que l’influence acadienne partage avec M. Costigan les honneurs d’avoir fait quelque chose pour nous, mais il veut que l’Irlandais ait le mérité, l’honneur, les louanges, &c., &c. Comme toujours avec ces gens-là, les honneurs aux autres, l’autorité, le prestige aux autres!! Pour les Acadiens, la reconnaissance soumise, la gratitude servile, l’expression polie de leur bonheur d’avoir des maîtres en autorités qui rendent leur esclavage si plaisant, si agréables et si doux! Les Acadiens de Kent se sont montrés trop patriotes, trop intelligents, trop généreux par le passé, pour permettre de croire qu’ils vont dans la présente crise suivre l’avis pernicieux de « Acadien de Victoria, » ACADIEN DE KENT Bouctouche, 18 juin 1890.