La compagnie de colonisation des provinces maritimes.

Year
1890
Month
4
Day
29
Article Title
La compagnie de colonisation des provinces maritimes.
Author
------
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
La compagnie de colonisation des provinces maritimes. Nous avons déjà annoncé dans notre avant-dernière feuille, que vendredi dernier, on a eu un bout de séance en français à la chambre d’assemblée provinciale, sur le bill incorporant la compagnie de colonisation des provinces maritimes. Aujourd’hui nous offrons à nos lecteurs un bien pâle résumé, il est vrai, des magnifiques et patriotiques discours que prononcèrent en cette circonstance l’hon. M. LeBlanc et M. O. M. Melanson, et nous espérons pouvoir publier prochainement celui de M. LeBillois. Nos confrères de la presse acadienne se feront, nous en sommes convaincu, un plaisir de les reproduire. ----- L’HON. M. LEBLANC–J’hésite un peu en présentant ce bill devant ce comité, vû que c’est le premier projet de loi de cette nature qui ait encore été présenté dans la législature de cette province. Cependant je ne peux pas reculer devant le devoir que m’impose ma position dans cette chambre, et j’aime à croire qu’avec le concours de tous les honorables députés qui composent ce comité et qui s’intéressent à la colonisation et à la classe agricole en général, il me sera possible de faire accepter le bill qui en ce moment se trouve entièrement entre les mains du comité. Le but principal de ce bill est de donner avantage à une certaine personne de placer certains fonds entre les mains d’une corporation reconnue par la loi, afin de s’assurer que le tout sera employé pour l’avancement de cette œuvre de prédilection, la colonisation. Il est un fait qui existe et que le comité ne peut méconnaître, que notre beau pays a commencé par la colonisation et le défrichement des terres. Dans ce pays comme dans tous les autres de l’univers, il a fallu que quelques hommes courageux se soient lancés dans la forêt vierge, afin d’y implanter la belle œuvre de la colonisation. Or, je crois que je peux, sans blesser la susceptibilité des différentes nationalités qui font partie de ce comité, me permettre de réclamer l’honneur dû à mes compatriotes, les Acadiens-français, pour avoir largement contribué à coloniser et à ouvrir notre pays, non-seulement en cette province, mais aussi à la Nouvelle-Ecosse, sur l’Ile du Prince-Edouard, et dans plusieurs paroisses de la belle et populeuse province de Québec. Oui, je suis content et convaincu même que cette chambre est elle-même réjouie d’avoir l’occasion de reconnaître, et d’apprécier d’une manière publique le courage, le dévouement et la persévérance qu’ont montrés nos ancêtres de n’importe quelle nationalité en ce pays depuis les premiers défricheurs du sol jusqu’à nos jours, en s’enfonçant dans la forêt vierge et la transformant en de riantes et florissantes colonies. Il peut bien arriver, et cela soit dit sans vouloir en faire un crime à personne, que quelques honorables députés qui composent ce comité n’attachent qu’une importance mineure à ces nouvelles colonies parcequ’ayant été élevés dans les villes ou dans nos grands centres, ils ne sont pas au courant des misères et des anxiétés qu’ont à subir et à rencontrer les défricheurs du sol, en même temps que des jouissances et de l’indépendance qui découlent presque toujours de ces nouvelles colonies quand elles sont convenablement organisées et protégées par nos gouvernements. Mais laissez-moi vous dire qu’il faut un courage extraordinaire et presque surhumain au père de famille qui a déjà un certain nombre d’enfants et au jeune homme pour s’enfoncer dans la forêt afin de s’y créer un moyen d’existence, et ce courage mérite bien tout l’encouragement possible de la part de nos gouvernements. Pour ne parler que du Nouveau-Brunswick je demanderai si on peut trop louer et admirer le courage, le dévouement et le patriotisme des infortunés déportés et proscrits acadiens de 1755 qui, après avoir été dépouillés et chassés du sol qu’ils avaient arrosé de leurs sueurs, revinrent au pays, s’enfoncèrent dans la forêt et y fondèrent les belles vieilles paroisses de Memramcook, Saint-Anselme de Petitcoudiac, Scoudouc, Shédiac, Barachois, l’Aboujagane, Cap Pelé, Chimougoui, dans le comté de Westmorland; Grand’Digue, Cocagne, Bouctouche, Ste-Anne de Chokpish, Village de Richibouctou, L’Ardouane, St-Louis, Pointe Sapin, dans le comté de Kent; Baie des Winds, Nigaouec, Tracadie, Pokemouche, Shippagan, Caraquet, Grand’Anse, Bathurst, Village de Bathurst, Petit Rocher, dans le comté de Gloucester, et les vieilles paroisses acadiennes des comtés de Ristigouche et Madawaska. Plus tard ces vieilles paroisses ont fourni des colons à des nouveaux établissements, c’est ainsi par exemple, que Ste-Marie, ma paroisse, a été colonisée par des habitants sortant pour la plupart du vieux Bouctouche. Plus récemment a eu lieu la fondation de la belle et florissante colonie acadienne de St-Paul, aujourd’hui érigée en paroisse civile, dans le comté de Kent. Je me rappelle très bien l’intérêt tout particulier que prit Sa Grandeur Mgr Sweeny, évêque de ce diocèse, dans la fondation de ce nouvel établissement, après avoir obtenu du gouvernement d’alors le privilège, pour un certain nombre d’années de présider, en conformité à la loi du pays, à la colonisation de cette paroisse. Plus récemment encore pour ne parler que de Gloucester et de Northumberland le Petit Rocher et Bathurst ont colonisé Ste-Thérèse et les concessions avoisinantes; la Grand’Anse a colonisé les missions de St-Joseph et de St-Paul; Caraquet, Paquetville; Poquemouche, Ste-Rose; Shippagan, Lamêque, et Tracadie a colonisé St-Isidore; Nigaouec St-Joseph; St-Louis et autres paroisses ont colonisé Acadieville, et enfin Rogersville réclame sa population de presque chaque ancien centre français des provinces maritimes. Il me sera permis, j’aime à le croire, de faire ici la remarque que toutes les nouvelles colonies que je viens d’énumérer doivent leur fondation et leurs succès au zèle et dévouement du clergé catholique qui n’a reculé devant aucuns obstacles quels que grands et formidables qu’ils fussent. Le nombre de ces saints prêtres, qui ont pris une part si active dans la grande et bienfaisante œuvre de la colonisation en ce pays, serait trop long à énumérer, car chaque membre du clergé catholique, dans les provinces maritimes, avec l’épiscopat en tête, a aidé plus ou moins à la fondation de ces nouvelles colonies. Cependant il en est quelques-uns qui méritent une mention spéciale, tels que Sa Grandeur Mgr Sweeny, feu l’abbé Ant. Belcourt, le Très Rév. Père Lefebvre, M. l’abbé Jos. Ouellet pour la nouvelle paroisse civile de St-Paul, dans le comté de Kent; les regrettés abbés Pâquet et Robert, pour les établissements de Paquetville, Ste-Thérèse et Ste-Louise, M. l’abbé Jos. R. Doucet pour les missions de St-Joseph et de St-Paul, M. l’abbé Ls. Gagnon, pour la fondation de St-Isodore, aujourd’hui paroisse civile, dans le comté de Gloucester, et M. l’abbé M. F. Richard, l’apôtre de la colonisation en cette province, au zèle infatigable duquel nous devons les belles et florissantes colonies d’Acadieville, et Adamsville dans Kent, et Rogersville dans Northumberland. A l’appui du bill qui est devant cette chambre, je dirai pour l’information du comité que des secours gratuits d’outre-mer ont été généreusement envoyés pour venir en aide aux nouveaux colons, et faute d’une société incorporée, tel que demande le bill devant cette chambre, on s’est servi de votre humble serviteur pour distribuer ces derniers envoyés pour l’encouragement de ces hardis défricheurs du sol. Vous pourrez peut-être me demander comment il se fait qu’au nombre des actionnaires dans ce bill, il se trouve des noms de personnes qui habitent des autres provinces, à cela je répondrai que nos colonies de Kent et Northumberland, et de tous les autres comtés en autant que je sache, sont peuplées non-seulement d’habitants nés en cette province, mais aussi de colons venant de toutes nos provinces environnantes. C’est pour cela que les noms de ces hommes dévoués se trouvent inclus comme actionnaires, car eux aussi désirent figurer comme les bienfaiteurs de cette œuvre d’importance majeure, la colonisation. Je reprends mon siège après ces quelques remarques, laissant la parole à des hommes plus habiles que moi pour traiter cette question à sa juste valeur, avec la douce confiance que ce comité se réunira comme un seul homme à l’appui du bill qui en ce moment attire l’attention de cette chambre et du pays. (Applaudissements prolongés.) M. MELANSON–Je suis fier ce soir d’entendre mon honorable ami, M. LeBlanc, parler devant cette chambre dans la belle langue française. Pour chacun de nous qui est fier de sa langue maternelle cela réjouit le cœur de l’entendre parler aussi souvent que nous le pouvons. Je constante avec un plaisir sensible et un vif orgueil le grand changement opéré parmi mes compatriotes, les Acadiens-français de cette province, depuis 44 ans. A cette date toute la province était représentée en cette chambre par des députés parlant la langue anglaise, sauf un seul, le regretté feu M. Amand Landry, le premier Acadien qui ait siégé en cette chambre, et le père de son honneur M. le juge Landry, récemment élevé au banc judiciaire. Depuis lors nous n’avons eu autant de députés acadiens-français en cette chambre que nous en comptons aujourd’hui; nous y sommes cinq. Ce nombre est fort encourageant pour nous, car il montre que notre peuple marche dans la voie du progrès et veut avoir sa voix délibérante dans les conseils de la nation. De plus la permission qu’on a bien voulu nous accorder d’expliquer ce bill de colonisation en langue française montre les bonnes dispositions des députés de cette chambre envers les représentants acadiens-français. Malgré qu’un grand nombre des députés ici présents ne soient pas en mesure de comprendre nos explications en français, cependant ils sont convaincus que nous travaillons pour un but louable et pour une bonne cause. C’est pourquoi je serais réjoui de voir les honorables députés adopter ce bill sans trop de discussion, car c’est un projet bien important puisqu’il a pour grand but l’encouragement de la colonisation non seulement en faveur de colons acadiens, mais aussi de ceux de toutes autres nationalités. On peut se convaincre de ce fait en examinant les noms des actionnaires que renferme le bill qui sont des messieurs d’origine anglaise, irlandaise et acadienne. Quoique le nom du Rév. M. F. Richard, le principal promoteur de ce projet de loi, soit un prêtre, catholique acadien, cependant nous désirons qu’il soit bien compris, que nous ne sommes pas animés de motifs égoïstes. M. l’abbé Richard est un champion de la colonisation et il donnerait jusqu’à son dernier sou pour encourager les nouveaux colons. Je sais qu’il est sincère dans son but, qu’il travaille pour une bonne cause, et le connaissant si bien j’espère que cette chambre fera tout ce qui sera possible pour lui aider. Car pour nous, Acadiens-français, c’est l’établissement de nos jeunes gens dans de nouvelles colonies en cette province que nous voulons, et non pas l’émigration aux Etats-Unis. Nous voulons que les Acadiens restent au pays, fondent de nouvelles paroisses et augmentent la population de la province. Nous l’avons prouvé par les nouvelles colonies que nous avons fondées dans Ristigouche, Madawaska, Gloucester, Northumberland et Kent, où le gouvernement a accordé des concessions de terre gratuites. Notre population a augmenté en conséquence, et aujourd’hui le pays ne souffre pas de ce surcroit de population, et nos relations avec les autres nationalités ne sont pas moins amicales pour cela, si on en juge surtout par ce qui se passe en cette chambre. En effet, je constate avec un sensible plaisir que la plus grande amitié règne entre les députés de différentes nationalités. Et pourquoi cela? Parce qu’on apprend à mieux se connaître les uns les autres en vivant ensemble et chacun de nous est convaincu que l’intérêt national de l’un, est l’intérêt de l’autre dans les affaires publiques. (vifs applaudissements.)