Correspondance: quelques notes sur Bouctouche

Year
1890
Month
4
Day
11
Article Title
Correspondance: quelques notes sur Bouctouche
Author
Sylvain
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
Correspondance. QUELQUES NOTES SUR BOUCTOUCHE M. le Rédacteur, Je reviens à François LeBlanc et à Joseph Bastarache qui avant leur retour à Bouctouche, allèrent à Petitcodiac pour y solliciter de nouvelles recrues pour la colonie naissante. Ces braves colons comprenaient, en effet, l’importance d’augmenter le nombre des habitants dans Bouctouche, afin d’y bâtir, aussitôt possible, une chapelle, et s’assurer les services d’un missionnaire. De plus, un surcroît de population assurait leur existence dans cette localité, car ils étaient toujours en proie à la crainte bien motivée de se voir à tout moment submerger par l’élément anglais qui débordait partout où il y avait quelques intérêts pécuniaires à dérober aux Français qui se trouvaient sans protection aucune de par la loi. Nous le constatons par les nouvelles qui arrivaient de Frédéricton et d’autres endroits du pays. Ils étaient les esclaves de la rapacité des Anglais, et comment réclamer, quand l’administration de la justice était entièrement entre les mains de leurs persécuteurs? Les délégués dont parle le Rév. Père F. X. Cormier, s’étaient déjà en effet rendus à Memramcook en passant par Petitcoudiac, et le récit de leurs malheurs remplissait partout les gens d’épouvante. Ce qui se passait là-bas pouvait aussi se renouveler ici, comment se soustraire à cette tyrannie qui paraissait n’avoir plus de terme, et qui n’avait aucun remède? La côte du Nord n’était pas encore empestée par ces Royalistes qui avaient même âme et même conscience que les bourreaux de 1755 et des années suivantes, et les Acadiens fugitifs, poursuivis, harassés, méprisés, complètement ruinés n’avait plus qu’à cacher leur existence dans des lieux apparemment inconnus pour attendre un secours qu’ils demandaient fervemment à la Divine Providence. Comment se peindre les angoisses, les craintes et les tourments de ces pauvres gens qui avaient déjà tant souffert et qui peuvent encore à chaque moment entrer dans une nouvelle phase de persécutions peut-être plus cruelles? Sans doute à l’époque dont nous parlons, ils pouvaient s’exagérer les choses, mais quelle garantie avaient-ils alors pour espérer une paix plusieurs fois promise et toujours violée sans aucun motif. Toutes ces choses se discutaient au foyer du vieux Sylvain Babineau de Petitcodiac qui avait donné une cordiale et fraternelle hospitalité à François LeBlanc et Joseph Bastarache, premiers habitants de Bouctouche, qui vinrent rencontrer tous les habitants du Village. Les enfants de Sylvain étaient nombreux et déjà en âge de voir à leurs affaires. La plus grande part se décidèrent d’aller se fixer sur la côte du Nord suivant en cela les conseils des deux Bouctouches qui leur prouvèrent les avantages de la pêche, de la chasse, de la culture, et des chantiers de bois qui devaient nécessairement être exploités un peu plus tard. Ces Babineau iront dans quelques années s’établir au Village de Richibouctou et à l’Ardouanne, et plusieurs filles de cette famille patriarcale devenues épouses et mères orneront par leurs vertus le foyer de plusieurs habitants de Bouctouche. Il y avait encore à Petitcoudiac Gervais Girouard et Julien Collet, mariés respectivement aux deux sœurs, Madeleine et Julienne Thériau, avec lesquelles vivait leur père Alexis Thériau. Sans balancer ces deux familles se décident d’aller se fixer à Bouctouche aussitôt que les circonstances le permettraient, car il fallait un peu arranger les affaires avant de changer de pays. Dans la suite nous parlerons au long de ces familles quand elles arriveront ici avec leurs nombreux enfants qui étaient déjà grands. Les deux Bouctouches qui se félicitaient du succès de leur mission à Petitcoudiac, d’autant plus qu’ils savaient que, le branle une fois donné, un courant se formerait du côté de leur village, retournaient vers Memramcook, en route pour leurs foyers. Ici les Richard le Plate, et les Richard Jani qui résidaient à Memramcook, vinrent s’informer minutieusement de la côte nord et nous verrons bientôt ces familles venir grossir la population de nos rivages. Et le rouet que les femmes de Bouctouche avaient bien renchargé d’emporter de chez les Babineau de Poupoudiac? François LeBlanc qui avait eu bien d’autres choses tout aussi importantes à penser pendant son voyage, demeura stupéfait quand, rendu à Memramcook, les vieux parents de sa femme : Joseph Breau marié à Marie Boudreau, lui demandèrent si Hélène avait bien réussi dans la cueillette de son lin à Bouctouche? François fut assez honnête et généreux pour confesser son oubli qu’il accompagna d’un véritable regret. Alors la vieille Marie, un peu à l’encontre de ses filles Marie et Adelaïde, qui pourtant devaient elles-mêmes aller plus tard à Bouctouche, et qui ont dû profiter de l’aventure, envoya son propre rouet en présent à sa fille. Ce rouet qui vit le premier les rives de Bouctouche et qui causa la joie et la consolation des femmes industrieuses du Village, est encore très bien conservé, et devrait, ainsi que la scie de long du vieux Charles LeBlanc, prendre place dans le musée du collège St-Joseph. C’est une tradition qui n’admet aucun doute parmi les descendants, que Marie Boudreau avait reçu ce rouet en héritage de sa mère quand elle maria Joseph Breau. Il aurait donc à peu près 140 ans d’existence. L’on console aujourd’hui le vénérable centenaire en lui faisant faire des tremmes. François et Joseph reçurent de leurs parents beaucoup de petits présents de cette nature, et tous ces objets, comme l’on peut le supposer, étaient d’une très grande valeur pour les nouveaux colons. De plus, ils emportèrent une bonne qualité de butins (hardes, couvertures, etc.), et des provisions pour la colonie. Avant leur départ pour Memramcook, le vieux Pierre Bastarache, qui était bien malcadaque, (en mauvaise santé) manifesta le désir d’aller mourir à Bouctouche avec ses chers enfants (Joseph et Isodore). Il fit donc le voyage avec eux, et nous trouvons l’acte de sa sépulture daté à Bouctouche le 21 mars 1796, et signé par J. Castanet, Ptre. Miss. Il était âgé de 76 ans. On dit que le bon vieux Pierre, pendant les quelques années qu’il passa à Bouctouche avant sa mort, employait tout son temps à dire son chapelet et à chanter des cantiques. Il eut le bonheur de recevoir les derniers sacrements de la Sainte Eglise avant sa mort ; mais le voyage du missionnaire de Miramichi pour assister cette âme à ses derniers moments mérite une mention toute spéciale, et j’en parlerai plus tard pour l’édification et des pasteurs et de leurs troupeaux en général. Nos deux voyageurs retournèrent très tard à l’automne à Bouctouche. L’on dit qu’ils eurent beaucoup de difficultés à traverses les baies que le froid commençait à couvrir de glace. Même à Cocagne l’on fut obligé de faire côte et on y passa quelques jours chez les vieux amis. On craignait même être obligé de se rendre par terre, ce qui eut été chose très difficile, surtout pour le vieux Pierre qui se trouvait dans un état de grande faiblesse. Mais heureusement qu’un grand doux temps survint tout à coup et nos gens se rendirent à Bouctouche sans trop d’inconvénient. Votre serviteur, SYLVAIN.