Correspondance: quelques notes sur Bouctouche

Year
1890
Month
4
Day
5
Article Title
Correspondance: quelques notes sur Bouctouche
Author
Sylvain
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
Correspondance. QUELQUES NOTES SUR BOUCTOUCHE M. le Rédacteur, Joseph LeBlanc, marié à Elisabeth Landry, et frère de François et de Charlitte, avait déjà quelques enfants et se décida de suivre bientôt ses frères dans la nouvelle colonie. Il devait y passer en même temps que sa sœur Isabelle, femme de Benjamin Allain, aussitôt que les circonstances le permettraient. Nous voyons que ces pauvres gens déjà fatigués de fuir devant la tyrannie anglaise en se cachant tantôt dans un endroit tantôt dans un autre, et toujours sur le qui vive malgré la paix apparente qui avait été conclue, se montrent indécis quand il s’agit de transporter de nouveau leur famille pour trouver un lieu de repos. Quelle vie de souffrance et d’anxiété! Pour donner une juste idée de la situation des Acadiens dans ce temps-là, je prends plaisir à publier une lettre que je recevais du Révd. F. X. Cormier, curé actuel de St-Pierre de Cocagne, à qui je demandais quelques renseignements sur ses ancêtres, dont plusieurs doivent jouer un rôle important dans la fondation de Bouctouche. Voici cette lettre dans son intégrité : elle contient une page d’histoire que le Professeur Hind pourra méditer à loisir quand son orgueil national le poussera à tenter de justifier ses compatriotes de leurs injustices contre les Acadiens : Cocagne, 22 fév. 1890 Au Révd. Père Michaud, Bouctouche La famille de Pierre Cormier père de Jacques qui se fixa à Bouctouche demeurait dans les environs de Beauséjour. Lors de la déportation des Acadiens en 1755 cette famille, à part de deux membres, échappa à la déportation et se rendit en Canada et s’établit aux environs de St-Pierre, Rivière du Sud, en bas de Québec. Après la cession du Canada à l’Angleterre, en 1763, cette famille vint se fixer à Ste-Anne à 10 milles de Frédéricton où il y avait alors quelques familles acadiennes. Après la guerre de l’indépendance américaine 1783 les « United empire Loyalists » que les Acadiens appelèrent « refugées » se répandirent dans la province du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse. Plusieurs de ces « refugées » se fixèrent aux environs de Frédéricton et firent souffrir toutes sortes de cruautés aux Acadiens qui se trouvaient là. Ils tuaient leurs animaux, faisaient brûler leurs clôtures, détruisaient leurs grains, volaient leurs instruments aratoires, etc., etc., ils enlevèrent même plusieurs jeunes filles qu’ils emmenèrent avec eux et l’on n’en entendit plus parler. La situation devenant intenable, les Acadiens envoyèrent des délégués à Memramcook pour voir s’il n’y aurait pas moyen de s’y établir. Ces délégués trouvèrent quelques familles à Memramcook, les LeBlanc, les Belliveau, les Gaudet, les Bourque, etc. On leur répondit qu’on pouvait venir et qu’il y avait encore des terres pour s’y établir. En conséquence 18 familles partirent de Frédéricton et vinrent s’établir à Memramcook. Elles passèrent par le Grand Lac à travers les bois, et ce fut pendant l’hiver, vers le printemps. Une vieille femme mourut pendant le trajet, qui dura 7 jours, mais j’ignore son nom. Il y avait 4 familles Cormier, quatre frères, parmi ces 18 familles. Jacques, Amand, François et Pierre. Les autres familles étaient des Roy, des Landry, des Robichaud, des Vienneau, etc., etc. Jean-Baptiste, un frère des précédents, avec les Cyr, les Daigle, les Thibodeau, les Thériaux, les Martins, etc., etc., alla s’établir à Madawaska et deux autres frères, Etienne et Joseph qui avaient été déportés en Caroline, allèrent s’établir à la Louisiane. Les Acadiens qui vinrent s’établir à Memramcook demeuraient du côté est de la rivière St-Jean, où est aujourd’hui le Kiswick, la partie la plus riche du comté de York. Les « Refugées » maltraitèrent ces familles pour s’emparer de leurs terres. Les gens du côté ouest de la rivière ne furent pas si maltraités car les terres n’étaient pas aussi bonnes.–Il y a encore aujourd’hui de ce côté ouest environ 60 familles acadiennes. Les choses allèrent assez bien à Memramcook pour trois à quatre ans, quand un nommé DesBarres a french huguenot vint à Memramcook et voulut s’emparer de toute la paroisse, alléguant qu’il avait reçu ces terres de la couronne d’Angleterre à titre de services rendus pendant la guerre. Il y eut procès sur procès et Dieu sait ce que les Acadiens eurent à souffrir de la part de cet homme enragé. Plusieurs des familles de Memramcook laissèrent à cause de cela et allèrent s’établir au Village Richibouctou, d’autres à Bouctouche, de ce nombre, Jacques Cormier, les Roy et les Robichaud. Les trois frères de Jacques restèrent à Memramcook, donnèrent naissance à tous les Cormier de Memramcook, et des descendants vinrent s’établir plus tard à Cocagne, à Bouctouche, au Cap Pelé, à la Boujagane. Ces Cormier sont tous de la même famille. Ce Jacques était marié à Osithe Poitier et il était grand-oncle de mon père. J’ai connu à Memramcook Bénoni Cormier, fils d’Amand susdit, qui est mort à un âge très avancé, il avait douze ans quand il laissa Frédéricton pour venir à Memramcook et c’est lui qui m’a souvent raconté ces faits. Je les tiens aussi de ma mère et mon père qui connaissaient toutes ces choses sur le bout de leurs doigts. La mère de Jacques était Anne-Marie Gaudet. Après son établissement à Bouctouche, je ne connais plus rien sur lui. Les vieux de Bouctouche pourront donner les renseignements nécessaires pour votre intéressant travail. Votre tout dévoué F. X. CORMIER, Ptre. « Les Equal Rights, proclamés, adoptés et suivis aujourd’hui par les Anglais des provinces en haut, ne sont que l’écho de la tactique pratiquée de tout temps contre la race française. Effacer le nom français et catholique, cela n’est qu’une question secondaire pour ces braves gens, le but de leurs invectives n’est toujours dirigé qu’à l’objet principal de leur ambition : voler aujourd’hui, comme autrefois, le faible vaincu, pour l’anéantir ou en faire un esclave, au profit du gousset. En lisant ces lignes, l’on se croit transporté au milieu du dark continent de l’Afrique, où la civilisation n’a jamais pénétré. La vérité, dit-on, n’est pas toujours bonne à dire, mais les stubborn facts sont là, consignés dans les annales de l’histoire, et la prospérité, même à un siècle de distance, fera justice de ces iniquités dont tout Français catholique, profondément et loyalement canadien, doit avoir honte pour l’honneur général de son pays. Il y a quelque chose de si répugnant à la civilisation chrétienne dans la narration véridique et indubitable des faits et gestes de ces nobles Royalistes, que l’on se sent pris, malgré soi, d’un dégoût insurmontable en transmettant au public ces abominations d’un peuple qui se targue pourtant d’être le plus policé du monde. Et dans ce cas, comme dans mille autres, nous cherchons en vain dans les annales des provinces d’en bas un mot de condamnation contre ces atroces persécutions et ces vols de grand chemin. Dans ce temps-là, pourtant, un pauvre Irlandais catholique encore en bas âge pendait à la potence, à St-Jean, en punition du crime d’avoir volé un morceau de pain pour s’empêcher de mourir de faim. Oh! justice humain! quand elle est basée sur l’intérêt personnel et sur la haine aveugle qu’engendre le fanatisme, il faut s’attendre à des monstruosités qui prennent un professeur Hind pour les justifier. Mais je m’arrête. Les Acadiens ont depuis longtemps pardonné tous ces méfaits, et ils ne désirent maintenant que de vivre en paix avec leurs persécuteurs. Au moins que ceux-ci respectent un peu les aspirations légitimes d’une nationalité qui survit encore à toutes ces épreuves et qui ne réclame que l’exercice de ses droits nouveaux acquis au prix de tant de sacrifices. La justice, si elle existe sur la terre, devrait enfin accorder, et amplement accorder, à ceux qui ont tant souffert et qui ne dépendent que de la force de leur virilité pour arriver à l’affirmation d’une existence si chèrement conservée, une liberté pleine et entière, sans entraves et sans taquineries. Hâtons-nous de le dire, la force des circonstances a beaucoup amélioré le sort des Acadiens dans les limites de la vieille Acadie. Le sentiment anglais penche favorablement à leur rendre justice, et il faut espérer que l’avenir nous fournira des preuves évidentes de l’adoption du principe proclamé par notre gouverneur-général actuel : Live and let live. Votre serviteur, SYLVAIN.