les français du Cap Breton

Newspaper
Year
1892
Month
11
Day
24
Article Title
les français du Cap Breton
Author
-------
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
LES FRANÇAIS DU CAP BRETON (De la Minerve) Les fortifications de Louisbourg furent rasées par les autorités impériales anglaises elles-mêmes durant l’été de 1760. C’était la disparition en Amérique de l’un des monuments de la puissance française que le traité de Paris devant anéantir en 1763. Rien de bien important à signaler dans l’Ile du Cap Breton sous le régime anglais. Après avoir été annexée à la Nouvelle-Ecosse, elle en fut détachée en 1783, et son premier lieutenant gouverneur fut le major Frederick Wallet DesBarres, qui s’était distingué au second siège de 1758. C’est alors que fut fondée la nouvelle capitale de Sidney, située à l’entrée du port de ce nom, substitué à celui de Port des Espagnols, en souvenir de Lord Sydney qui administrait les affaires coloniales, lorsque le Nouveau-Brunswick, l’Ile de Saint-Jean, et l’Ile du Cap Breton furent constitué en provinces distinctes. Le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse conservait cependant une autorité supérieure, avec le titre de gouverneur en chef, et il avait le droit de prononcer en dernier ressort sur les questions de justice soulevées devant les tribunaux des divers gouvernements coloniaux. Cette confusion des pouvoirs suscita des jalousies, des rivalités, des querelles incessantes et honteuses. La situation aggravée encore par l’impossibilité légale de prélever des impôts, devenant intolérable, l’Angleterre décida de réannexer l’Ile à la Nouvelle-Ecosse, comme l’un de ses comtés, en 1820. On sait le reste. * * * En 1765, la population de l’Ile du Cap Breton ne dépassait apparemment pas mille âmes, dit M. Bourinot, la plupart d’origine française. A la fin du siècle dernier, les Ecossais commencèrent à y émigrer en grand nombre et leurs descendants représentent, aujourd’hui, de cinquante à soixante pour cent sur un chiffre de près de 90,000 âmes. La guerre et ses misères, remarque l’écrivain, l’animosité du gouvernement anglais, les épreuves de la vie du défricheur, les rigueurs du climat, tout contribua pendant des années à éloigner les Acadiens-Français du Cap Breton. Mais, en dépit des temps mauvais, ils n’ont pas cessé de s’accroître en nombre, et de prospérer dans une mesure enviable. A l’époque où régnait la paix qui permettait aux habitants de se livrer à l’industrie et au commerce avec quelque vigueur, la population totale de l’Ile Royale était estimée à trois ou quatre mille âmes, dont la plupart vivaient à Louisbourg. Lorsque tomba la forteresse et que la garnison, de même que les Français enfermés dans l’enceinte, ainsi que la majorité des autres personnes qui habitaient l’Ile, eurent été transportée en France il en resta, cependant, un certain nombre sur l’Ile Madame, sur le Bras d’Or, sur la côte nord occidentale, et a quelques points isolés où ils furent probablement oubliés, sinon, jugés du moins inoffensifs. Il est impossible de fournir des données précises, mais des autorités compétentes portent à 700 au moins le nombre de ceux qui furent ainsi laissés sur l’Ile, sans être dérangés, lors de la déportation des Français de Louisbourg. Là, ils vécurent des années dans la tranquillité, “oubliant le monde” et “oubliés au monde.” Il ne semble pas que les Acadiens français de la Nouvelle-Ecosse aient jamais émigré en grand nombre dans l’Ile, soit avant ou après leur cruelle déportation en 1755. Le gouvernement français ne pouvait les y engager, comme le prouvent les plaintes faites de temps à autre à ce sujet par les officiers de l’Ile. La population de Louisbourg se composait presque entièrement de Français venus de France, et le petit nombre d’Acadiens français qui se trouvaient dans la place remplissaient en grande partie les fonctions de domestiques dans les familles. Les Acadiens français étaient en général établis sur la côte nord occidentale, et dans le voisinage du Bras d’Or. * * * Les renseignements ne sont pas très clairs sur ce pont, mais le Dr Bourinot en conclut que les Acadiens représentaient une forte proportion du groupe français resté au Cap Breton, après 1758. En 1766, à peu près 300 Acadiens, revenus des Iles Saint-Pierre et Miquelon, se fixèrent sur l’Ile Madame et dans les environs du petit Bras d’Or. Plus tard, en 1775, une quinzaine de familles de la Nouvelle-Ecosse allèrent s’établir à Chiticamp [Chéticamp], sur la rude côte occidentale du nord de l’Ile; il se trouvait déjà quelques familles françaises à Port Hood, jadis appelé Juste-au-Corps. De minces filets d’émigration continueront à y couler d’année en année—ajoute le Dr Bourinot—de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick où le gouvernement anglais a toujours paru favoriser l’expatriation des Français. Mais le développement fut si lent, qu’en 1801, la population totale de l’Ile Madame et de la côte nord-ouest—exclusivement française alors—n’atteignait pas 1700 âmes. Ce calcul ne comprenant probablement pas tous les petits établissements éparpillés sur le Bras d’Or et la rivière Marguerite, où la fertilité du sol et la pêche du saumon attiraient les colons. Il n’y a aucun doute qu’il ne soit venu un certain nombre de familles à l’Ile Madame et dans la partie nord-ouest du Cap-Breton durant la première décade du présent siècle; mais de 1758 à 1810, il n’y eut pas d’émigration notable dans l’Ile, sauf ce que j’ai déjà mentionné. On peut donc affirmer avec confiance que les quatorze mille Acadiens français ou plus qui habitent actuellement l’Ile du Cap Breton, descendent des 700 vieilles familles françaises et acadiennes qui y restèrent en 1758, ainsi que d’une centaine de familles, pas plus, qui y émigrèrent de 1758 à 1810. Race prolifique, comme les Canadiens-français, leur nombre s’est grossi considérablement, et serait plus fort encore, n’eût été le départ des jeunes garçons et des jeunes filles qui vont chercher de l’emploi dans la Nouvelle-Angleterre, celles-ci dans les familles ou dans les fabriques, ceux-là comme navigateurs. Malgré cet exode, qui est moindre cependant que parmi l’élément écossais ou anglais, la population acadienne française augmente un peu à chaque décade dans les deux comtés de Richmond et Inverness, où elle à toujours été la plus nombreuse depuis les jours de l’occupation française. * * * Dans le comté du Cap Breton, où se trouve Louisbourg, les Acadiens déclineraient en nombre, et l’on n’en verrait plus qu’à French Vale, ainsi que dans la région qui avoisine le petit Bras d’Or. La langue française parlée dans leurs familles est nécessairement fort altérée par le contact habituel des éléments étrangers qui l’entourent. Le comté d’Inverness, à l’ouest, compte une population acadienne française de quatre à cinq mille âmes, établie dans les riches plaines qu’arrose la rivière Marguerite (Margaree), de même qu’entre cette délicieuse contrée et Chéticamp. A l’encontre de ce qui existe dans le comté du Cap Breton, la langue française est parlée beaucoup plus correctement, et, comme l’écrivait un observateur sérieux : “S’il y a trente ans, pas un seul d’entre eux n’était engagé dans le commerce, nous les voyons se lancer aujourd’hui dans toutes les entreprises de l’activité humaine, avec énergie et intelligence; ce ne sont plus les esprits timides et subjugués qu'ils paraissaient être durant de nombreuses années, après la prise de possession, par l’Angleterre, du Cap Breton et de la Nouvelle-Ecosse.” Le comté de Richmond, au sud, renferme, entre autres, cinq paroisses acadiennes importantes : celles d’Arichat, d’Arichat-Ouest, ou Acadiaville et de Descousse, sur l’Ile Madame, célèbre par ses antiques établissements de pêches, ainsi que les paroisses de l’Ardoise et de la rivière Bourgeois sur la terre ferme. On évalue à environ huit mille âmes le chiffre de la population française dans ce comté où le français est aussi la langue du foyer. D’habitudes simples, frugales, ces Acadiens ont des habitations bien tenues, bien propres, aux murs blanchis à la chaux à l’extérieur, ce qui donne tout à fait bon air à leurs villages. Ils se livrent généralement à la pêche ou au commerce côtier, mais la plupart possèdent, en outre, une ferme ou un lopin de terre que la famille exploite. Encore peu ou point de luxe dans le vêtement qui est d’ordinaire fabriqué à la maison par la mère industrieuse. En somme, ces braves gens vivent heureux dans leur humble condition, et sont contents de leur sort. Il n’existe dans le comté de Victoria, que quelques familles acadiennes, noyées dans l’élément écossais. * * * Quelle est la position des Acadiens au point de vue de l’éducation? Le Dr Bourinot reproduit à ce sujet l’opinion d’un membre du clergé qu'il avait prié de le renseigner sur la situation dans le comté de Richmond. Nous allons citer à notre tour : La législature de la Nouvelle-Ecosse ne s’est que peu ou point préoccupée de l’existence de cet important élément de la population, de sorte que les enfants acadiens sont forcés de s’instruire dans les écoles publiques, au moyen d’une langue étrangère. Il leur faut commencer leur éducation élémentaire par l’une des choses les plus difficiles, l’étude d’une langue étrangère, puis, avec une connaissance imparfaite de cette langue, se mettre en frais de passer par toutes les phases de l’enseignement... En admettant donc que les élèves acadiens occuperaient un rang inférieur dans nos écoles publiques, c’est absolument la position dons laquelle seraient placés les enfants parlant l’anglais, si les rôles étaient renversés. Supposons, par exemple, qu’il n’existât pas d’écoles séparées dans la province de Québec, que le français fût la seule langue reconnue dans ses écoles et que les enfants de la minorité anglaise ne pourraient poursuivre leurs études qu’à l’aide de ce langage. Quelle serait alors la position de ces enfants, vis-à-vis des Canadiens-Français? Précisément la même que celle dans laquelle se trouvent les Acadiens du Cap Breton. Mais cela ne signifierait pas, selon moi, que les enfants parlant l’anglais fussent réellement inférieurs au point de vue intellectuel. Non, cela ne ferait que démontrer les effets d’un injuste système qui placerait les deux nationalités sur un pied d’inégalité dans les écoles publiques. Si donc les Acadiens ne sont pas toujours ce qu’ils devraient être dans les écoles publiques, la faute n’en doit pas être attribuée à eux seuls, mais dans une grande mesure à notre système d’éducation. Et j’ose dire que s’ils pouvaient poursuivre leurs études dans leur langue maternelle, ils nous donneraient bientôt une bien meilleure idée de leur valeur intellectuelle. Il est certain que les enfants des Acadiens ne seront jamais mis en demeure de se distinguer par le procédé que signale le correspondant du Dr Bourino, et qu’ils devront continuer à tirer le meilleur parti d’une situation que leur impose la loi. N’importe, nous devons leur tenir compte au moins des conséquences du régime auquel on les soumet. N’oublions pas de noter, en passant, que les Dames de la Congrégation ont fondé deux couvents, l’un à Arichat, il y a trente-cinq ans, et l’autre à Acadieville, neuf ans plus tard. Les jeunes filles qui reçoivent dans ces maisons une éducation soignée peuvent ensuite enseigner dans différentes parties du pays, et opérer ainsi beaucoup de bien parmi la population. Il va sans dire que les Acadiens sont restés profondément dévoués à la religion catholique dans l’Ile du Cap Breton. Les farouches puritains de la Nouvelle-Angleterre ont pu abattre les crucifix, en 1745, profaner les temples, en enlever même une croix qui surmonte aujourd’hui l’une des portes de la bibliothèque de l’Université de Cambridge, Mass. Mais leur fanatisme devait être impuissant devant un culte et des croyances que rien n’entame, ni ne subjugue. * * * Dans son précieux ouvrage, écrit d’un style élégant, nerveux et sobre tout à la fois, le Dr Bourinot n’a rien oublié. Origines, découvertes, voyages primitifs, régimes politique et constitutionnels, guerres, commerce, éducation, pêcheries, voilà ce qui défile successivement et avec ordre devant le lecteur. On comprend que nous n’ayons pu le suivre dans tous ses développements. Mais son histoire n’est pas seulement celle d’un coin de terre qui a joué un rôle considérable en Amérique. L’auteur a su y résumer événements les plus importants ceux qui ont exercé une influence sérieuse ou décisive sur les destinées de notre continent, sans oublier de relier les effets aux causes, sans omettre les appréciations qui fixent le sens et la portée des faits. Il a lu tout ce qui s’est écrit sur l’Ile du Cap Breton, et il cite une foule d’autorités, surtout dans l’appendice qui constitue à lui seul un recueil de notes de plus variées et du plus haut intérêt. D’une impartialité qui donne à sa plume une grande force, le Dr Bourinot ne permet pas à ses sympathies personnelles d’égarer son esprit et son jugement. Il n’hésite donc pas à rendre hommage à la valeur des hommes qui illustrèrent le non français en Amérique, à la hardiesse comme au cachet du génie qui révèlent leurs conceptions, à l’héroïsme qui les avait tenus si longtemps debout, lorsque là-bas, en France, la cour ricanait ou applaudissait aux imbéciles paroles d’une femme perdue. * * * Le Dr Bourinot a dédié son livre à la mémoire de son père, le sénateur Bourinot, qui vécut à l’Ile du Cap Breton pendant cinquante ans. Dans la maison qu’il habitait, tout près du port de Sydney, et qui sera elle-même vieille bientôt d’un siècle, le défunt, qui fut longtemps vice-consul de France, avait donné une cordiale hospitalité aux hommes les plus éminents de la marine française.