Discours du juge Landry prononcé à Memramcook le 15 août

Newspaper
Year
1892
Month
9
Day
15
Article Title
Discours du juge Landry prononcé à Memramcook le 15 août
Author
Juge Landry
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
DISCOURS DU JUGE LANDRY PRONONCÉ À MEMRAMCOOK, LE 15 AOUT. Messieurs,—Ceux qui veulent bien me faire l’honneur de m’écouter auront la bonté, j’espère, de s’approcher de manière à ce que je puisse me faire entendre. Pour ma part, dans une circonstance comme la présente, j’aime non seulement les sentiments qui m’animent soient ceux de mon auditoire, mais aussi que notre rapprochement soit aussi intime que possible. Vous parler m’est agréable, un contacte plus intime, celui de vous serrer la main, le serait davantage. Vous me flattez en m’invitant à vous adresser la parole: je souhaite pouvoir me montrer reconnaissant en vous fournissant au moins quelques réflexions qui puissent vous intéresser. Vous avez entendu et écouté avec un vif intérêt le discours éloquent et patriotique du jeune docteur Landry. Je le félicite de son succès comme je vous félicite de l’avantage de l’avoir entendu. Ces discours patriotiques, inspirés et prononcés dans un esprit charitable et chrétien, ne manquent jamais de faire grand bien. La belle et florissante paroisse de Memramcook peut croire peut-être qu’elle n’a guère besoin de fête nationale pour préserver, nourrir et faire fructifier son esprit de patriotisme, de français et d’union fraternelle. Elle peut se sentir dans une sécurité absolue quant à la préservation à la foi de ses ancêtres et de son dévouement à la cause acadienne. Elle voit au milieu de ses citoyens notre première institution d’éducation, un clergé éclairé, dévoué, patriotique et grandissant. Elle ressent sans doute l’influence bienfaisante de l’enseignement donné dans nos écoles communes par nos institutrices et instituteurs acadiens. Elle voit avec joie et bonheur le nombre croissant de ses fils qui ne distinguent dans les professions libérales. Elle ne manque pas d’apprécier avec un vif plaisir le progrès que toutes ces influences ont opéré dans la voie de nous faire mieux connaître notre belle langue, de nous la faire parler plus correctement et de nous donner un caractère plus prononcé encore de vrais et loyaux Acadiens. Eprise de toutes ces idées, la belle paroisse de Memramcook peut croire, dis-je, qu’elle n’a pas besoin de célébration nationale d’un jour quelconque, pas besoin de discours qui nous rappellent notre passé, discutent notre présent et théorisent sur les probabilités de notre avenir. Pour elle ces choses sont autant de superfluités. Si quelqu’un a voulu croire cela, qu’il se détrompe, qu’il assiste à une célébration où les Acadiens se sont réunis pour se compter, se serrer la main se mieux connaitre, renouveler les liens les rattachant les uns aux autres, s’amuser ensemble, faire et écouter des discours patriotiques, manger et boire ensemble, en un mot pour chômer leur fête nationale; et s’il ne s’en retourne pas meilleur Acadien, rempli de plus de courage, imbu d’un désir plus ardent de voir ses frères heureux et prospères, plus profondément impressionné de la grande importance qu’il y a pour nous de nous réunir de temps à autre, et aimant mieux son prochain, vous pouvez le compter au nombre des enfants dénaturés. Qui d’entre nous ne s’en retournera pas ce soir content de sa journée, heureux de l’idée qui a présidé à la fête, et fortifié de raisons nouvelles d’être fier d’être Acadien? Pas un? Des soupçonneux, des curieux, des jaloux de notre progrès pourront peut-être se demander à quoi bon tout cela; où tendent ces innovations chez ce petit peuple acadien; que veulent dires ces démonstrations, ces détails répétés des malheurs de 1755; ces références aux injustices du passé; ces discutions des situations présentes, et l’expression chaleureuse de ces espoirs pour l'avenir; enfin, que veut dire chômer une fête pour les Acadiens. Le nombre des Acadiens qui se demanderont cela est bien petit et bien peu patriote. Et ceux des autres nationalités qui veulent des explications, oublient qu’en cela notre action est des plus flatteuses envers eux. C’est la flatterie de l’imitation. Nous voulons les imiter, suivre leur exemple. Les Irlandais se plaisent à fêter la St-Patrice; nous les approuvons, nous voyons un bon côté à cet exemple et nous nous permettons de le suivre. Les Anglais et les Ecossais ont leur jour respectif, nous applaudissons. Dans leurs réunions ils se réjouissent, ils parlent de leur passé, se flattent du présent et saluent l’avenir avec joie. Nous voulons en faire autant. Et si nous avons des malheurs, des injustices faites à nos ancêtres à raconter, nous ne le faisons non pas pour exciter chez nous du ressentiment, non pas pour nous rendre plus mécontents de notre sort, non pas comme reproche aux descendants des auteurs de ces injustices; mais bien plutôt pour nous faire connaître notre histoire, nous démontrer que nous devons subir les adversités, les revers, les malheurs, et les vicissitudes de cette vie avec patience et un courage égal à l’héroïsme montré par nos ancêtres dans des malheurs encore plus grandes. C’est pour rendre manifeste que s’il a été possible à nos pères, au milieu des persécutions les plus cruelles et d’épreuves dont l’histoire offre peu d’exemples, entourés de populations hostiles et guerrières, de se maintenir, conserver leur foi, préserver leur nationalité, ne pas perdre leur langue et transmettre à leurs descendants tout ce qu’il avait de plus beau et de plus précieux dans leur caractère, il doit nous être facile de préserver ce qu’ils nous ont transmis et nous affirmer comme race au milieu de populations amicales, régis par des lois les plus justes et les plus équitables, et jouissant dans sa plus grande plénitude de tous les avantages de l’exercice le plus libre de notre religion. Nous nous rappelons ces malheurs, nous les récitons, pour mieux admirer l’héroïsme, la fortitude et la persévérance de nos ancêtres, pour les proclamer des héros dans l’adversité et les aïeux dont les descendants sont fiers, et pour nous exciter à nous montrer dignes d’eux. Nous voulons parler de notre présent pour nous louer de ce qui nous est avantageux, nous plaindre de ce qui nous nuit, et nous munir contre ce qui nous menace. Nous osons faire des vœux pour notre avenir, fonder des espérances souriantes et tâcher de prendre notre place d’hommes parmi les hommes. Nous partageons la responsabilité de citoyens, nous voulons en retirer tous les bénéfices légitimes. Nous signalons les difficultés de notre condition : c’est pour les franchir plus facilement; nous étudions les causes qui nous ont retenus en arrière : c’est pour mieux viser à les faire disparaître; nous disons quelquefois que les autres nationalités qui nous entourent ne nous portent pas l’intérêt que le fort doit au faible : c’est pour leur rappeler leur devoir et étudier le nôtre. Nous osons dire que nous sommes souvent oubliés dans l’exercice des influences que nous aidons à créer : c’est pour réprimander l’ingratitude, tâcher de la faire disparaître, et nous mieux préparer à lui faire la guerre si l’on veut toujours nous traiter en inférieurs. Nous rappelons à ceux qui ne se servent de nos faveurs que pour leur propre agrandissement sans se souvenir de nous au jour de leur prospérité : c’est pour enseigner la leçon que ceux qui sont traités en ennemis ont droit de répondre en adversaires. Que ceux qui veulent nous faire un crime de notre conduite sous ce rapport, me démontrent que nous avons tort et je serai le premier à demander excuse. Mais tant que nos convictions resteront les mêmes à l’endroit de notre condition, des influences qui nous entourent, des difficultés à combattre, des moyens à prendre pour triompher, des ingratitudes dont souvent se rendent coupables plusieurs de ceux qui reçoivent nos plus grandes faveurs, aussi longtemps je n’hésiterai pas à signaler les choses que je signale. Les motifs qui nous portent à vouloir demeurer acadiens, à désirer que notre petit peuple marche de pair avec les autres nationalités, sont des plus nobles et des plus louables. Que ceux qui veulent nous critiquer examinent nos actions avec un esprit chrétien et charitable, et ils n’y verront rien de répréhensible. Mais que l’on nous écoute avec des oreilles soupçonneuses, que l’on veille nos actions avec un esprit de haine, de méfiance et de jalousie, que l’on se dispose d’avance à interpréter d’un esprit hostile tout ce que nous faisons, et notre fête d’aujourd’hui pourra peut-être chez un petit nombre fournir d’excuse pour formenter de l’irritation chez ceux qui devraient être nos meilleurs amis à raison des lieus de la même religion qui nous unissent et parce que nous avons été leurs amis. Que les différentes races qui composent notre population se comprennent bien et elles seront amies. Qu’elles se traitent les uns et les autres avec charité et elles verront mille bonnes raisons pour s’aimer et s’entr’aider. Nous voulons nous joindre au mouvement qui assurera un état de choses aussi heureux, mais nous insistons, nous le petit peuple acadien, à être comptés. Assez longtemps par le passé avons-nous été oubliés, ignorés. Assez longtemps avons-nous été exploités au bénéfice des autres. Mais en affirmant cela, nous ne voulons pas être mal compris. C’est la vérité, mais nous ne désirons pas en faire de reproche à qui que ce soit. Des circonstances malheureuses et incontrôlables ont enlevé à nos ancêtres leur patrimoine; une persécution imméritée et désastreuse les a dispersés et presque anéantis; les animosités de race et les préjugés de religion les ont assujettis à toutes espèces de malheurs. Conquis par les Anglais, abandonnés par la France, dépouillés par leurs conquérante, victimes des haines des guerres dont ils ne portaient aucune responsabilité mais dont ils subissaient les plus funestes désastres, nos aïeux se sont trouvés disséminés, dispersés, spoliés, affaiblis et expatriés. Doit-on s’étonner que la condition du petit nombre qui ont pu se soustraire à l’exportation et de ceux qui ont pu en revenir ait été la plus désolante, la plus décourageante et la plus désespérée possible? Doit-on s’étonner s’il a fallu plus d’un siècle pour ramener notre petit peuple en état de songer à prendre sa place au milieu des autres nationalités non frappées des mêmes malheurs? Et non! La chose la plus étonnante, c’est qu’il s’en soit échappé pour rapporter l’histoire. (A suivre.)