les Acadiens

Newspaper
Year
1892
Month
1
Day
14
Article Title
les Acadiens
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LES ACADIENS Sous cette rubrique notre confrère Le Meschacébé, journal officiel de la paroisse St-Jean Baptiste, publié à Bonnet Carré, Louisiane, contient, dans son édition du 2 courant, un excellent article dû à la plume si finement taillée de M, J. Gentil, écrivain et poëte de renom. Nous avons déjà parlé d'Une Idylle Acadienne, intéressant roman de mœurs acadiennes, que va publier très prochainement, en feuilleton, M. Louis Tesson. C’est ce nouveau roman qui a inspiré le vaillant rédacteur du Machacébé à écrire la belle page qu’on va lire. M. Louis Tesson, écrivain d’incontestable mérite et de talent, qui appartient à la famille des auteurs qui observent et qui pensent, a habité la Louisiane pendant quelques années, la région du Lafourche et du Terre-bonne, croyons-nous, et il connaît aussi bien les Acadiens de la vieille Acadie que leurs descendants louisianais. Il a vécu avec eux et parmi eux. Leur histoire, leurs mœurs, leur langue, leur poésie et leurs légendes lui sont familières. Et c’est avec une espèce d’amour, un cœur bon et une affection toute française qu’il parle d’eux et qu’il dit leur passé. Ces Acadiens, après tout, ne sont-ils pas Français? Persécutés, frappés, proscrits, admirables dans leur simplicité et dans leur héroïsme, martyrs pour leur religion et leur patrie, chassés sans pitié de leurs maisons en flammes et dispersés sur l’immensité d’un continent alors aussi impitoyable que leurs ennemis eux-mêmes, mais ne perdant ni la foi ni le courage, mais ayant la résignation et la force des âmes vraiment braves, ces Acadiens trop ignorés et trop peu connus sont peut-être plus intéressants que les Pèlerins du Mayflower, et ils en ont au moins la grandeur. Car l’Amérique, qui fut le lieu d’asile et de triomphe pour les Puritans du Mayflower, fut tout d'abord pour les Acadiens la terre de la persécution et de l’épreuve. Ils y furent dépouillés et dispersés. Ils y connurent un nouvel exil et de nouveaux malheurs. Ils durent plusieurs fois, dans différents lieux, après la dispersion et la séparation douloureuses, y reconstruire leurs demeures et y placer la pierre d’un nouveau foyer. Mais partout où ils se sont arrêtés et établis, partout où ils ont pu retrouver ou relever l’église de leur foi et le drapeau de leur patrie, ils ont courageusement défriché le sol, bâti la maison, travaillé, colonisé, civilisé, se créant, à vrai dire, un troisième foyer, une troisième patrie, toujours celle de leur Dieu, du vieux pays d’au delà des mers et d’une langue inoubliable et sacrée comme les aïeux. Oui, en vérité, ils sont Français et des meilleurs, ces Acadiens. Ne sont-ce point les fils des paysans et les descendants de Jacques Bonhomme? Leur race, à la foi, vaillante et généreuse, n’a t-elle pas la triple fidélité du sang, du cœur et du devoir; et voudriez-vous dire que, dans cette grande œuvre qu’on appelle la civilisation humaine, soit ici soit là, soit par ceux-ci soit par d’autres, avec ses penseurs, ses auteurs, ses artistes, ses écrivains ses voyageurs, ses travailleurs, ses colons, ses Louisianais, ses Canadiens, ses Acadiens, en un mot, tous ceux de sa foi et de son esprit, petits comme grands, humbles comme glorieux, inconnus comme illustres, cette race si admirablement douée n’a rien mis de sa bravoure, de sa fierté, de sa gaieté, de sa bonté, de sa tendresse, de son âme et de son génie? Mais il est des choses qui ne se disent pas sans faire sourire. La race, voyez-vous, c’est la race, et rien n’est vivant, persistant— nous allions dire éternel—comme la race. Des générations peuvent passer, des siècles disparaître, des révolutions se faire, des conquêtes s’opérer, des nationalités changer, des langues s’oublier ou se corrompre, des mélanges et de nombreux croissements s’effectuer entre les unes et les autres par l’amour ou par la violence; mais si vous modifiez, diminuant ou complétant, améliorant peut-être, vous ne détruisez pas et vous ne supprimez point. Et si vous croyez que les Acadiens, qui n’ont conservé ce nom que dans certains districts ou certain coins de la Louisiane et de la Nouvelle-Ecosse, n’existent pas aujourd’hui par milliers, bien que ne parlant peut-être plus leur vieille langue, et bien qu’Anglais ou Américains par la nationalité vous vous trompez assurément. La race s’est non seulement perpétuée avec une énergie et une virtualité qui défient le temps, par la loi des races fortes et saines, mais encore s’est multipliée d’une merveilleuse façon. Apparemment conquise peut-être, elle n’a pas été vaincue. Elle persiste, elle subsiste, elle fait son œuvre. Elle est toujours vivante, agissant, produisant, créant, sonnant, précieux facteur d’une civilisation dans laquelle son esprit et son cœur se transfusent pour le plus grand bien et pour la plus grande justice de cette civilisation. Etre Anglo-Saxon, c’est peut-être fort; mais n’être qu’Anglo-Saxon pourrait bien n’être que dur. Et si la France, qui est la mère de l’Acadie et des Acadiens, mourait ou s’éteignait sur notre globe désormais sans chaleur, nous nous figurons qu’un lourd et sombre voile d’égoïsme et de matérialisme pèserait sur le monde et le couvrirait. Rirait-on encore, chanterait-on toujours, pourrait-on dorénavant aimer, et la poésie, avec les deux lumineuses ailes de la foi et de l’espérance, aurait-elle des envolées sublimes dans le ciel splendide de l’idéal? C’est que la France est toute une grande poésie du cœur et de l’esprit; et que vous soyez Longfellow, Rameau ou Tesson, le poëte historien ou le romancier, ce n’est pas sans un mystérieux amour, une douce tendresse, un sentiment profondément affectueux, pieux osons nous dire, que vous touchez aux choses de l’Acadie et aux mots que vous éveillez. Demandez plutôt à Mme S. de la Houssaye. Les professeurs eux-mêmes, ceux qui s’occupent de vieux dialectes et de linguistique, s’attendrissent presque—autant qu’un maître d’école peut s’attendrir—aux pensées, aux sentiments et aux-souvenirs de l’Acadie. Mais savez-vous combien la Louisiane, à cette heure, après ses diverses transformations, peut posséder d’Acadiens et descendants d’Acadiens; et si nous disions que plus de la moitié de la population louisianaise a du sang acadien dans ses veines, seriez-vous grandement étonnés? Etonnés ou non, il ne faudrait pas en rougir. Ce sang est bon. Si les fils ne valent pas les pères, les aïeux ont été excellents. L’histoire, le journal, le roman, la prose et la poésie n’ont encore presque rien dit de ce qui pourrait être dit sur eux. Il y a là pourtant toute une mine d’une véritable richesse, des diamants à pleines mains. On peut y puiser largement. Les noms, les œuvres et les souvenirs manquent-ils? Pouvons-nous faire un pas sans trouver une trace, un reste et souvent une gloire? Et si les restes ne manquent pas au domaine de l’histoire, dans le champ d’hier, dans la forêt, sur le bayou, sur le lac, sur le grand fleuve, au village, dans la ville, sur les rives du Vermilion et du Tèche, par les vastes prairies des Attakapas et des Opelousas qui ondulent aux brises d’un golfe autant louisianais que mexicain, dans beaucoup de vieilles églises où les mères se sont pieusement agenouillées, dans presque tous les cimetières où les pères dorment éternellement du tranquil sommeil de l’honnêteté, de l’honneur rempli et du juste, est-ce qu’il n’y a pas encore des vivants et des vivantes, des fils, et des filles, des descendants très nombreux, fort honorables et qui, répétons-nous, peuvent être fiers de ceux qui sont venus avant eux? La race n’est point morte. La langue elle-même, sans être, précisément celle de l’Académie ou de l’Athenée, n’est pas morte elle non plus. Madame S. de la Houssaye a eu raison de publier son livre touchant et charmant, et M. Louis Tesson, en l’imitant, en nous donnant son Idylle Acadienne, fait deux fois bien. Merci à eux. C’est la bonne œuvre et bonne littérature, qu’il convient d’accueillir avec reconnaissance. Et cela nous coûte si peu, quelques misérables sous que nous gaspillons parfois si misérablement ! Et que lisons-nous d’ordinaire, par ici, quand nous lisons? Nous ne voudrions pas dire du mal des journaux, et il paraît que le journal est un mal nécessaire; mais les journaux, le plus communément, sont des écorcheurs de langues. Ils massacrent la grammaire autant que la raison. Ils crient, ils injurient, ils calomnient, ils vitupèrent, ils flattent, ils mentent, ils font cet horrible et abominable métier qu’on nomme Politique. Adulateurs des forts et dédaigneux des faibles, ils sont quelquefois plus serviles devant le peuple qu’ils trompent que jamais courtisan ne le fut devant un roi. Et quelle est leur croyance, de quoi est faite leur conviction, où vont leur morale et leur patriotisme de roulette et de Monaco? Quant aux romans du jour, que nous lisons habituellement avec une avidité malsaine, que sont-ils, que valent-ils et que méritent-ils? La langue en est aussi misérable que possible, point soignée, point châtiée, point correcte, fausse, de mauvais goût, de mauvaise odeur et corrompue. Est-ce encore une langue? Et ces romans contiennent-ils des pensées élevées et des sentiments nobles? Relèvent-ils les fronts et les cœurs? Grandissent-ils et éclairent ils les intelligences et les consciences? C’est assez ordinairement du matérialisme et de la boue. L’idéal leur manque, la lumière en est absente, et l’on s’y enfonce jusqu’au menton, avec l’adultère aux lèvres. Car presque tous nos romans du jour—pour ne pas dire tous—reposent sur ce crime monstrueux qui porte le nom d’adultère,—crime qui salit l’amour, détruit l’honneur et fait de la famille une atroce hypocrisie et un abominable mensonge auxquels, volontiers, on serait tenté de préférer les amours libres. Non contents de justifier l’adultère, ils le glorifient. Mais nous lirons l’Idylle Acadienne, un bon livre et une bonne œuvre.