Fraternité Acadienne et Canadienne

Newspaper
Year
1891
Month
9
Day
3
Article Title
Fraternité Acadienne et Canadienne
Author
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Page Number
03
Article Type
Language
Article Contents
FRATERNITE ACADIENNE ET CANADIENNE Sous cette rubrique nous lisons ce qui suit dans un récent numéro de la Presse de Montréal : Il y a aujourd’hui, à part des déperditions, environ 400 mille Acadiens et trois millions six cent mille Canadiens (Kannocks) dans l’Amérique du Nord. C’est beaucoup, si l’on considère qu’il n’y avait que 20 mille Acadiens en 1755, et 100 mille Canadiens en 1762. Or, M. le curé de l’Epiphanie, Messire J. T. Gaudet, Acadien d’origine, invitait l’honorable M. Perry (c’est un Poirier) l’honorable sénateur Poirier et M. le Dr Légère, député aux Communes, à venir visiter, entre autre, les Acadiens du district de Juliette. Ces messieurs se rendirent gracieusement à cette fraternelle invitation. Ils furent dignement reçus d’abord à l’Epiphanie par M. le curé, puis à Ste-Marie Salomé par toute la paroisse qui leur présenta une adresse par la voix de son maire, Azarie Mireault, si connu par ses excellentes préparations médicinales, et à St-Jacques de l’Achigan, où ils furent somptueusement banquettés par le député du comté, Alside Martin, lui aussi Acadien. Plusieurs discours furent prononcés, parmi lesquels nous avons remarqué, outre les députés Acadiens, MM. Martin, M. P. P., S. Lesage, G. Mireault, N. Forest et votre serviteur. La table était magnifique et fait honneur à l’hôtelier, M. Léon Belliveau. Ce fut une fête de famille où Canadiens et Acadiens sympathisèrent pendant plusieurs heures. …………………………. Montréal, 21 août 1891. L. U. FONTAINE. Nous condensons du Moniteur, le rapport de cette belle fête. M. l’abbé Joseph T. Gaudet, ci-devant supérieur du collège de l’Assomption, et présentement curé de l'Epiphanie, invitait il y a quelques semaines, l’honorable Pascal Poirier, et MM. Stanislas Perry, et le docteur Léger représentants acadiens au Sénat et aux Communes, à venir célébrer la fête nationale des Acadiens avec leurs compatriotes du comté de Montcalm. Nos amis acceptèrent avec empressement. Nos amis arrivèrent le 15 à l’Epiphanie, où ils furent reçus princièrement par M. le curé. Comme la nouvelle s’était répandue, un bon nombre d’Acadiens des paroisses environnante, de Montréal et jusque du comté des Deux-Montagnes, se trouvaient au rendez-vous pour les recevoir. La messe fut entendue à l’Epiphanie où M. l’abbé Légaré, supérieur du collège de l’Assomption, prêcha un des plus beaux sermons qu’on puisse entendre, puis nos délégués se mirent en route pour St-Jacques l’Achigan, où devait avoir lieu la grande démonstration. La distance de l’Epiphanie à Saint-Jacques l’Achigan est de dix milles. Sur le parcours se trouve la paroisse de Ste-Marie-Salomée, un démembrement de Saint-Jacques, peuplée excessivement d’Acadiens. Là les attendait une véritable surprise. Tout le village était pavoisé, les cloches de l’église son liaient à toutes volées, et M. le curé Viger, type du prêtre et du gentilhomme français, les attendait entouré de toute sa paroisse. On descendit de voiture, et la foule se rendit à l’église pour chanter l'Ave Maris Stella. Quand M. Forest, que nos délégués ont entendu l’année dernière pendant la traversée de Digby à St-Jean, entonna de sa puissante et riche voix de baryton, l’hymne nationale, l’émotion était intense et plusieurs pleuraient. Puis nos amis, sortis du temple saint, prirent place sur une estrade, où M. Amirault, maire de Ste-Marie-Salomée, leur lut l’adresse suivante : A NOS ILLUSTRES ET HONORABLES VISITEURS. Messieurs,—Au nom de la paroisse entière de Sainte Marie Salomée, je vous dis : Soyez les bienvenus! Vous êtes nos frères par le sang et nos amis par le cœur : Le malheur a atteint vos pères comme il a frappé nos aïeux en 1755 : vous avez donc un triple titre à notre amitié. Depuis que vous avez pu reconquérir le sol de la vieille patrie, vous vous intéressez aux fils des déportés moins heureux que vous ; vous les chérissez, vous les estimez ; vous poussez même la condescendance jusqu'à les visiter. Aussi le petit noyau d’Acadiens formant, presque exclusivement, la paroisse de Sainte-Marie Salomée, est tout heureux de vous recevoir, et sans doute, en ce jour, nos ancêtres tressaillent dans leurs tombes, car pendant leur vie, lorsqu’on voulait égayer ses vénérables vieillards, on n’avait qu’à leur dire un mot de l’Acadie. Si, au contraire, on voulait les irriter, les noms exécrés de Winslow et de Lawrence étaient plus que suffisants. Par quelques-uns de nos amis qui sont allés à l’Acadie l’année dernière nous avons appris quel était l’état de progrès de notre pays. Vous fondez des nouvelles paroisses, les églises surgissent comme par enchantement, le nombre des membres de votre clergé s’augmente de jour en jour, grâce aux essaims d’ecclésiastiques qui sortent chaque année de vos maisons d’éducation, preuve que vous conservez toujours la pure religion de vos ancêtres ; et, qui la conserve, garde ses mœurs, sa langue et ses lois. Nous savons, par les journaux, que vous avez des gardiens de vos droits dans vos juges, vos sénateurs, vos députés, vos avocats et vos notaires. La réputation de vos médecins comme celle de vos autres fonctionnaires publics est répandue partout. Honneur donc à vous, Messieurs, qui, malgré votre prospérité, ne dédaignez pas de vous mêler à vos frères de Sainte Marie Salomée!!! Nous aussi sommes Acadiens par le cœur et le souvenir. L’énergie ne nous a jamais fait défaut ; témoin la formation de notre paroisse et l’édification de notre petite église qui, je l’espère, la Providence aidant, se transformera bientôt en un temple plus digne de Celui qui l’habite. Mais je me tais…. …. La foule ici présente est désireuse de vous entendre, Messieurs, lui parler de l’Acadie et, permettez-moi de vous le dire, votre supériorité dans l’art oratoire est parvenue à notre connaissance depuis longtemps. Veuillez donc nous faire jouir quelques instants en nous parlant de mille et une choses, surtout de la vieille patrie de nos ancêtres. AZARIE AMIREAULT, Maire de Ste-Marie Salomée. Nos trois amis, visiblement émus, répondirent successivement à ces bonnes paroles de bienvenue, à cet épanchement de cœurs fraternels. Nos trois amis furent ensuite conduits processionnellement à St-Jacques. Les visiteurs mirent pied à terre au presbytère qu’ils visitèrent, ainsi que la belle grande église en pierre de taille, le cimetière aux monuments couverts des noms acadiens, puis les hôtes se rendirent à la résidence de M. Martin, le sympathique député provincial de Montcalm, où Madame Martin les reçut avec toute la grâce qu’une jeune et jolie femme sait y mettre, et offrit des rafraîchissements. De là les visiteurs furent conduits sous la véranda de l’hôtel Belliveau, où M. Martin, en présence de toute la paroisse, leur donna lecture de l’adresse suivante : LES CITOYENS DE ST JACQUES A MM. LES ACADIENS QUI LEUR FONT L’HONNEUR DE LES VISITER. Honorables Messieurs,—Nous sommes heureux de vous offrir la plus cordiale hospitalité en échange de la visite spéciale que vous nous faites. Cette paroisse aujourd’hui démembrée a été le centre principal de la famille acadienne dans le district de Joliette. Notre premier curé a été Messire Jean Bro, un des rares Missionnaires que l’Acadie ait pu nous, envoyer pendant ses ineffables malheurs. C’était un véritable Acadien, un Saint Prêtre, un homme façonné d’après les préceptes de l’Evangile. Nous voyons avec plaisir que vous renaissez de vos cendres, si l’on peut ainsi parler, puisque vous avez des collèges, des couvents, des journaux où vous en donnez aux autres. Vous avez mérité d’entrer au Sénat, aux Communes et dans vos Législatures locales. Vous avez aussi des juges. Mais ce qui est plus beau, c’est que vous avez gardé votre langue au milieu des francophones, et votre foi parmi tant de protestants. Vous êtes un nouvel élément pour la vitalité canadienne qui voit ses forces s’accroître de jour en jour. Moins malheureux que vos pères, nous avons ici été les bienvenus dès le commencement. Aussi plusieurs Acadiens ont-ils été députés. Peu de temps après l’établissement du Gouvernement représentatif, le Comté de Leinster élisait le Major Michel Prévost et plus tard le Major Julien Poirier, puis successivement Jean Louis Martin, Firmin Dugas, Gustave Martin, J. B. Tréfflé Richard et enfin les deux députés actuels du comté de Montcalm. Notre paroisse a donné deux directeurs acadiens au Collège de l’Assomption, Alfred Dupuis, et le curé actuel de l’Epiphanie, le Rév. J. T. Gaudet. Nous aimons à mêler nos gloires aux vôtres, afin que la plus intime amitié se ranime, ou plutôt se continue entre nous. Vous êtes ici en famille, également chéris et honorés par les Acadiens et les Canadiens qui d’ailleurs sont depuis longtemps confondus ici et par une estime réciproque et par les liens encore plus vivaces du sang. Nous vous remercions d’avoir pensé à nous et de nous avoir honorés de votre présence en cet heureux jour. JOSEPH ALCIDE MARTIN, M. P. P. St-Jacques, le 16 août 1891. L’hon. M. Perry, en sa qualité d’aîné, remplissait les fonctions de chef des délégués. C’est, lui qui répondit à l’adresse, avec le tact que chacun lui connaît. Son parler dans le pur idiôme acadien, avec les vieilles tournures, les incorrections de grammaire moderne, et quelques mots anglais jetés par-ci par-là, donnaient aux Acadiens de St-Jacques non-seulement la physionomie, mais la phonographie même du langage de leurs frères de la vieille Acadie, ce qui les ravissait. Puis, comme il était huit heures, on entra à l’hôtel pour souper. Le manque d’espace nous force à omettre la description de ce somptueux banquet où il y eut force discours. Dans un prochain numéro de L’EVANGÉLINE nous reparlerons des Acadiens de St-Jacques le Majeur vulgo de l’Achigan, paroisse située à 40 milles en bas de Montréal et fondée en 1772, par des Acadiens déportés dans la Nouvelle-Angleterre, et qui parvinrent ensuite à gagner le Canada. Le premier curé de la paraisse fut M. l’abbé Jean Bro, prêtre acadien, ordonné en France, le 13 septembre 1771, et décédé à St-Jacques le 12 janvier 1824, à l’âge avancé de 80 ans et quelques mois. Nous donnerons la bibliographie de ce saint prêtre dans notre prochaine feuille.