Souvenir du 15 août 1890

Newspaper
Year
1891
Month
8
Day
27
Article Title
Souvenir du 15 août 1890
Author
Narcisse Forest
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
SOUVENIR DU 15 AOUT 1890. C’est aujourd’hui l’anniversaire de cette belle et imposante démonstration à la fois patriotique et religieuse qui eut lieu à la Baie Ste-Marie le 15 août 1890. Le plus agréable souvenir en restera à jamais gravé dans la mémoire des onze Acadiens de la province de Québec qui eurent l’avantage d’y assister. Ces onze délégués étaient MM. l’abbé J. T. Gaudet, autrefois directeur du collège de l’Assomption et maintenant curé de l’Epiphanie, un ami de cœur des Acadiens des provinces maritimes à qui revient l’initiative de notre voyage ; Narcisse Thibodeau—vieillard jovial qui porte gaillardement ses 76 ans ; Narcisse Gaudet ; Alphonse Christin ; Gilbert Mireault ; Roch Gaudet ; Moïse Melanson, Arthur Melanson et ses deux frères, et l’auteur de ces lignes. C’était pour nous un plaisir bien sensible de voir le pays d’Evangéline, cette terre d’Acadie aux souvenirs historiques, foyer de ces dévouements et de ces enthousiasmes qui ennoblissent les cœurs et font une race noble et vigoureuse. Quoiqu’arrivés à la onzième heure, l’accueil n’en fut que plus sympathique, la poignée de mains n’en a été que plus chaude, et comme le faisait remarquer notre vieux compagnon de voyage M. Thibodeau, dont le patriotisme est chaud et vivace, ça faisait du bien au cœur d’un patriote acadien—nous sentions que tous les cœurs battaient à l’unisson. Nous étions tout à fait à l’aise. En effet nous rencontrâmes non seulement des amis dévoués mais de véritables frères qui eurent pour nous la plus grande courtoisie et la plus aimable politesse. Un fait digne de remarque et qu’il m’a fait plaisir de constater c’est qu’à travers les quatre générations qui se sont succédées depuis la dispersion de nos ancêtres, la ressemblance la plus parfaite s’est conservée entre les types acadiens des provinces maritimes et ceux de la province de Québec, ainsi j’ai pu de prime abord reconnaître et nommer un monsieur LeBlanc, frère de M. l’abbé LeBlanc, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Narcisse LeBlanc, de St-Jacques. J'ai rencontré à la Baie Ste-Marie un vieillard du nom de François Gaudet, dont la ressemblance est frappante avec François à Tadeau Gaudet, aussi de St Jacques. Il y a aussi une grande ressemblance entre M. Moïse Melanson, de Ste-Marie-Salomée, et M. O. M. Melanson, député du comté de Westmorland. Nous étions singulièrement flattés de rencontrer réunis ensemble ces cinq ou six mille Acadiens parlant tous la même langue et se confondant dans un même sentiment de foi religieuse et nationale. Cette circonstance était solennelle et touchante. En effet, nous visitions pour la première fois le pays de nos ancêtres et nous foulions du pied ce même sol qui fut tant de fois arrosé des larmes et du sang des martyrs de notre foi et de notre nationalité. Nous pouvons dire avec un légitime sentiment d’orgueil que cette terre n’est pas restée ingrate et stérile. Car sous l’effet de cette riche et puissante rosée on a vu le jeune arbrisseau acadien quelque peu ébranlé tout d’abord, grandir, se développer et étendre au loin son ombre bienfaisante. Nous, Acadiens de la province de Québec, nous formons un des rameaux qui viennent se greffer au tronc du grand arbre généalogique de la famille acadienne. Il nous était donc infiniment agréable d’aller vous serrer la main, applaudir à vos succès et vous féliciter de l’heureuse idée que vous aviez eue d’organiser cette fête nationale afin de donner aux Acadiens l’avantage de se mieux connaître et de travailler d’un commun accord à l’avancement matériel et moral de la race acadienne. Comme le dit M. L. U. Fontaine dans son livre intitulé “ 135 ans après ” : Quel n’aurait pas été l’étonnement de nos ancêtres s’ils avaient pu secouer leur poussière mortuaire et assister à cette imposante cérémonie de la Baie Ste-Marie ? Ils n’auraient pu en croire leurs yeux si grandes sont les transformations qui se sont opérées depuis qu’ils ont quitté cette terre de misère et de combats. Ils seraient fiers de leurs nobles descendants qui ont suivi leurs traditions et qui ont su conserver intact le dépôt sacré de leur foi, de leur langue et de leur nationalité. Certes, avec des hommes tels que M. l’abbé Richard, l’hon. juge Landry, l’hon. sénateur Poirier, et tutti quanti, l’avenir de la race acadienne dans les provinces maritimes est à jamais assuré. Comme conclusion pratique de notre voyage j'aime à croire que les relations qui se sont formées ou renouvelées lors de notre visite à la Baie Ste-Marie et à Port-Royal continueront d’exister entre les Acadiens des provinces maritimes et ceux de la province de Québec. Au revoir, NARCISSE FOREST. Ste-Scholastique, P. Q., 15 août 1891.