Un écrit mal inspiré

Newspaper
Year
1891
Month
8
Day
6
Article Title
Un écrit mal inspiré
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
UN ÉCRIT MAL INSPIRÉ Il y a une certaine classe de gens que tout ce qui est écrit en faveur des Acadiens leur agace tellement les nerfs que pour les calmer et les ramener à leur état normal il faut leur appliquer des douches. C’est le service que nous allons rendre à un certain M. J. O. Vellanos, qui a récemment publié dans le Herald de Halifax un écrit des plus mal inspirés sur le compte des habitants français de Clare. Les éloges et les louanges qu’une plume amie du nom de guerre d'Alpha décerne aux Acadiens de nos jours qui habitent la baie Ste-Marie ont eu pour effet de surexciter le cerveau malade de M. Vellanos a tel point qu'il a commis l’étourderie, pour tâcher de mieux déprécier ceux que sa plume entiellée veut rabaisser leur mérite, d’établir des comparaisons entre les Anglais et les Acadiens-français du comté de Digby. C’est, ma foi, faire preuve de fanatisme et de bigoterie de la part de cet écrivain, qui a soin de se couvrir de l’anonyme pour mieux décocher ses traits perfides contre un peuple qui vit paisiblement sans chercher noise à ses voisins d’une nationalité étrangère et amie, que de se lancer sur un terrain aussi glissant. S’il nous prenait fantaisie d’établir à notre tour des comparaisons, nous aurions devant nous un champ bien vaste pour y cueillir maintes preuves pour montrer que sous plus d’un rapport les Acadiens de Clare sont aussi avancés sinon plus dans la voie du progrès que leurs amis de langue anglaise, qui cependant ont été beaucoup plus favorisés qu’eux et sous le rapport de la fertilité des terres et sous celui des avantages que les colons de langue anglaise ont eu à leur disposition tandis qu’on tenait nos pères dans un état pour ainsi dire de servitude. Si nous ouvrions les pages de l’histoire on y lirait, hélas! que la cupidité des conquérants de l’Acadie leur fit convoiter les terres fertiles et défrichées et les riches marais des fils des colonisateurs du pays, et qu’un drame inqualifiable fut accompli pour pouvoir s’emparer de ces biens. Nous verrions de plus quand après dix ou douze ans d’exil sur une terre étrangère et ennemie, quelques-uns des déportés revinrent sur le sol qu’ils avaient arrosé et de leurs sueurs et de leur sang, ils rencontrèrent des débris du petit peuple acadien qui avaient échappé à la déportation en se sauvant et se cachant au fond des forêts où après six années de misères et de souffrances inénarrables et menacés de périr par la famine ils firent leur soumission au gouvernement britannique qui les fit jeter ensuite dans les geôles de Windsor et de Halifax où ils furent détenus captifs jusqu’en 1764. Nous verrions encore que les autorités civiles de Halifax et du Massachusetts qui avaient été la cause de tant de malheurs et de chagrins, se voyant forcées par la nécessité des circonstances d’accorder des terres à ceux qu’ils n’avaient pu réussir à faire entièrement disparaître du pays qui les avait vu naître, se décidèrent alors d’assigner à ces proscrits et ces bannis la côte aride et rocheuse qui borde la baie Ste-Marie. Ces pauvres infortunés étaient dans un état d’une extrême pauvreté et c’est dans des circonstances aussi désavantageuses qu’ils entreprirent le défrichement de la forêt qui aujourd’hui s’est transformée en les riants et florissants villages dont la prospérité et le progrès agacent tant aujourd'hui les nerfs de M. Vellanos. En 1783, un très grand nombre des enfants de ceux qui vingt-huit ans auparavant étaient venus de la Nouvelle-Angleterre chasser impitoyablement les Acadiens de leurs paisibles foyers, où ils vivaient dans l’abondance et l’aisance, furent à leur tour obligés de prendre le chemin de l’exil. A la Nouvelle-Ecosse, qui comprenait encore en ce moment, le Nouveau-Brunswick et le Cap-Breton, il en vient environ 20,000. Mais, va-t-on croire que les autorités de Halifax les traitèrent dans la distribution des terres de la même manière qu’elles avaient agi envers les Acadiens? Non certes, on accorda aux United Empire Loyalists les coins de terres les plus fertiles et les plus avantageux à cultiver. Ceux qui vinrent dans ce comté obtinrent de grandes concessions de terrain à Digby et à Weymouth et eurent les meilleures terres du comté. Le Parlement passa un Acte autorisant la Couronne à établir le montant des pertes qu’ils avaient faites, par la confiscation de leurs propriétés, et à les indemniser, ce qui fut fait de 1784 à 1788. Dans la Province de Québec et de la Nouvelle-Ecosse on donna aux réfugiés des terres d’une étendue variant de 200 à 1,200 acres par famille, des instruments d’agriculture et des secours en aliments et vêtements pendant deux ans. Est-il étonnant maintenant que les Acadiens n’aient pu pendant nombre d’années rivaliser sous le rapport du progrès avec leurs voisins plus fortunés de langue anglaise. Nous n’aurions pas rappelé ces faits sombres du passé, si M. Vellanos n’eût établi des comparaisons pour montrer que les Acadiens de Clare sont beaucoup en arrière des autres habitants du comté de Digby en fait de progrès matériel et intellectuel. Nous laissons à notre ami, “Alpha” qui, quoiqu’en dise “Vella-nos”, n’est pas un Acadien, le soin de réfuter les allégations erronées de l’écrivain qui, d’après le Moniteur, doit avoir la jaunisse!