La Pointe-À-Major: berceau de la colonie de Clare

Newspaper
Year
1891
Month
6
Day
18
Article Title
La Pointe-À-Major: berceau de la colonie de Clare
Author
Placide P. Gaudet
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LA POINTE-À-MAJOR BERCEAU DE LA COLONIE DE CLARE Joseph Dugas, père, fondateur de la Baie Ste-Marie-Joseph Dugas, fils, premier Acadien né dans l’endroit— Anciens missionnaires—Premier champ des morts— Emplacement de la première chapelle— Concessions de terre. Première familles. Etude faisant suite aux articles qui ont paru dans L’EVANGÉLINE du 22 janvier, 29 janvier, 12 février, 5 mars, et 2 avril 1891, intitulés : QUELQUES INEXACTITUDES DE MM. RAMEAU ET SULTE. Sur les bords pittoresques de la jolie baie Ste-Marie entre les villages de l’Anse-des-Belliveau et les Grosses Coques s’élève un monticule qui forme une pointe le long de la côte. Ce coin de terre est indifféremment appelé Pointe-à-Major ou Pointe-des-Doucet. Il y a plus d’un siècle la rivière des Grosses Coques faisait le tour de cette Pointe et se déchargeait en bas de chez M. Luc à Major Doucet; mais depuis nombre d’années, cette rivière a pris un autre cours, elle ne fait plus le tour de la Pointe, mais va décharger ses eaux au quai des Grosses Coques. Il y a cinquante ans on ne comptait que deux maisons sur cette Pointe : celles du Major Anselme Doucet et de Béloni Doueet. Aujourd'hui il y en a sept savoir : celles de MM. Jovite Doucet, Antoine à Jovite Doucet, Charles à Béloni Doucet, Augustin à Béloni Doucet, Edouard à Augustin à Béloni Doucet et Luc à Béloni Doucet. Ces maisons coquettement bâties offrent un beau coup d’oeil et parlent assez hautement de l’aisance de ceux qui les habitent. Ce coin de terre, qui est compris dans la paroisse ecclésiastique de St-Bernard, est le plus historique, avec la Pointe-de-l’Eglise, de toute la baie Ste-Marie. En effet c’est sur la Pointe-à-Major que fut le berceau de la florissante et populeuse ville française de Clare, dans le comté de Digby. C’est aussi là que naquit le premier Acadien sur les côtes de la baie Ste-Marie. C’est aussi là que fut érigé le premier champ des morts et plusieurs d’entre les premiers habitants de Clare y dorment le sommeil du juste. C’est donc un lieu de vénération et de souvenirs historiques. Rappelons à grands traits les principaux événements qui se rattachant à ce coin du pays. * * * Treize ans après le drame de 1755, un jeune homme d’environ 30 ans, partit de Port-Royal à travers la forêt vierge avec sa femme et son unique enfant, âgée d’environ deux ans, et après plusieurs jours d’une marche pénible et fatiguante, surtout pour la mère, arriva le 5 septembre 1768 sur le monticule aujourd’hui connu sous le nom de la Pointe-à-Major. Cet homme se nommait Joseph Dugas, sa femme Marie Robichaud, et la jeune enfant était Isabelle Dugas qui devint plus tard l’épouse de Firmin Comeau. Il n’y avait alors sur tout le long de la baie Ste-Marie aucun habitant de race blanche mais des Micmacs en assez grand nombre. Joseph Dugas se construisit aussitôt une cabane à la manière des sauvages, et vingt jours après son arrivée, c’est-à-dire le 25 septembre 1768, sa femme accoucha d’un garçon, qui fut le premier enfant de parents acadiens né à la baie Ste-Marie. Dire les privations et les misères que dut subir et endurer le premier colon de la ville de Clare durant les premières années de son séjour à la Pointe-à-Majorest une tâche que nous n’entreprenons pas; c’est plus facile à concevoir qu’à décrire. L’endroit où Joseph Dugas vint planter sa tente est juste à mi-chemin entre Port-Royal et le Cap Fourchu (Yarmouth). Dans son lieu isolé il se trouvait avoir pour premiers voisins de race blanche les habitants de Port Royal d’un côté et ceux de Yarmouth de l’autre. Il était donc éloigné de chacun de ces établissements d’une distance de 45 milles. Sans provisions de bouche, il lui fallut recourir pendant plusieurs mois aux produits de la chasse et de la pêche pour se maintenir lui et sa famille. A cette époque les canards sauvages et la truite abondaient dans la rivière des Grosses Coques. Les succulentes bivalves qui ont valu à la rivière et au canton avoisinants l’appellation des Grosses Coques furent aussi une vraie manne providentielle. Durant l’hiver il abattit une clairière et au printemps il se rendit au Port Royal où il acheta un demi boisseau de patates qu’il apporta sur son dos et les planta dans l’endroit qu’il avait défriché. Quelques semaines après son retour de Port Royal, Dugas eut la consolation de voir arriver auprès de lui quelques uns de ses compatriotes, dont quelques uns revenus de l’exil depuis plusieurs années avaient depuis lors séjourné au Port Royal. Mentionnons entr’autres les familles suivantes : Prudent Robichaud, Jean Belliveau, Réné Saulnier, Yves Thibeau, Pierre Melanson, Joseph Comeau, et Joseph Gaudet. * * * Dans l’automne de la même année (septembre 1769), les pionniers de la baie Ste-Marie eurent la grande consolation de recevoir la visite d’un prêtre dans leur établissement. Ce missionnaire était M l’abbé Bailly. Les actes de baptême et de réhabilitation de mariage que l’abbé Bailly fit a cette date à Annapolis, à la baie Ste-Marie et au cap de Sable sont consignés dans un vieux registre qui est déposé dans les archives de la paroisse de Caraquet, à la baie des Chaleurs. Voici la première partie d’un acte extrait du dit registre : “Le huit septembre 1769 nous avons supplié les cérémonies du saint baptême, eu la baye Ste-Marie aux cy dessous nommés, tous issus de légitimes mariages, nés pour la plupart en la Nouvelle-Angleterre et endoyés au jour de leur naissance : JOSEPH, âgé d’un an, né le 25 septembre 1768, né à la baye Ste-Marie, fils de Joseph Dugas et de Marie Robichaud. Parrain, Frédéric Belliveau, marraine, Félice Dugas. RÉNÉ, né le 31 avril 1769, en la baye Ste-Marie, fils de Réné Saulnier et de Madeleine Maillet. Parrain, Joseph Comeau, marraine Marie Saulnier. YVES, né le 10 janvier, âgé de huit ans, né à Boston [1761] fils d’Yves Thibeau et de Françoise Melanson. Parrain, Réné Gaudet, marraine, Anne Melanson. JEAN-BAPTISTE, né le 19 septembre 1767 au Port Royal, fils de Prudent Robichaud et de Cécile Dugas. Parrain, Yves Thibeau, marraine Anne Melanson. ARMAND, âgé de cinq ans, né le 16 mars [1764] au Port Royal, fils de Prudent Robichaud et de Cécile Dugas. Parrain, Pierre Melanson, marraine, Françoise Aucoin.” Les dates entre crochets [ ] sont de nous. * * * La partie de l’acte que nous venons de citer donne la date exacte de l’arrivée du premier colon à la baie Ste-Marie; car, c’est un fait admis par les anciens habitants de Clare que Joseph Dugas fut le premier enfant blanc né dans la ville française, et qu’il naquit vingt jours après l’arrivée de ses parents. Or, on vient de voir qu’il est né le 25 septembre 1768, et par conséquent, ses père et mère sont donc arrivés à la Pointe-à-Major le 5 septembre 1768, et non en 1766, comme on l’avait cru jusqu’aujourd’hui. Pendant plusieurs années nous avons cité dans divers écrits l’année 1766 comme était celle de la fondation de l’établissement acadien de la baie Ste-Marie, nous appuyant premièrement sur la note suivante qu’on trouve au bas de la page 103 d’un ouvrage écrit par un Acadien, M. Louis A. Surette, natif de la paroisse de Ste-Anne du Ruisseau-de-l’Anguille, et ancien élève de M. l’abbé Sigogne avec qui il demeura à Ste-Marie de 1825 à 1837. M. Surette qui est dans sa 73ème année demeure dans le Massachusetts depuis 1841, et a depuis nombre d’années sa résidence à Concord. Il publia son livre en 1859. Voici ce qu’il dit à propos de Clare : ‘ “Clare fut fondé par les Acadiens en 1766. Lorsque nous sommes allé dans Clare en septembre 1858, nous avons visité monsieur Joseph Dugas, qui est le premier né dans Clare—en octobre 1766— environ vingt jours après l'arrivée de ses parents. M. Dugas mourut quelques semaines après avoir reçu la visite de M. Surette et il est aujourd’hui évident qu’il se disait deux ans de plus vieux qu’il était, et c’est ce qui a aussi induit ses enfants à se tromper sur son âge en gravant sur sa pierre tumulaire l’inscription suivante : ICI REPOSE LE CORPS DE JOSEPH DUGAS, DÉCÉDÉ LE 29 OCTOBRE 1858, AGÉ DE 92 ANS. IL ETAIT LE PREMIER ACADIEN NÉ À CLARE. REQUIESCAT IN PACE.” C’est 90 ans qu’on aurait du mettre et non 92 comme le prouve son baptistère que M. l’abbé M. P. Babineau, vicaire à Caraquet a eu l’obligeance de nous envoyer un extrait en avril dernier. La troisième raison qui nous portait à croire que la fondation de l’établissement de Clare datait de 1766, c’est que le 10 septembre 1866, les habitants de la baie Ste-Marie ont fêté par un grand pique nique de famille sur la Pointe-à-Major le centième anniversaire de l’arrivée des premiers colons dans Clare. On a tout simplement fêté cet anniversaire deux ans trop tôt. * * * Comme nous l’avons dit dans le cours de cet article c’est aussi sur la Pointe à-Major que se trouve le premier cimetière acadien de toute la baie Ste-Marie. Le terrain de ce champ des morts fut béni, rapporte la tradition, par M. l’abbé Joseph Mathurin Bourg, prêtre acadien, qui fit plusieurs missions en ces parages. Sa première visite dans Clare fut en octobre 1774, sa seconde en juillet 1780 et sa dernière en mars 1786. C’est à cette dernière date qu’il ordonna qu’une église fut bâtie sur la Pointe-à-Chicabenne, aujourd’hui Pointe-de-l’Eglise sur le terrain laissé à ce dessein par le gouvernement. On avait cependant construit auparavant une petite chapelle aux Grosses Coques qui fut commencée peu de temps après la première visite de M. Bourg en 1774. II faut remarquer que depuis la date de la mission de M. Bailly en 1768, jusqu’à la tournée de M. Bourg, (ce nom s’orthographie aujourd’hui Bourque) en 1774, aucun missionnaire ne visita la baie Ste-Marie dans cet intervalle de cinq ans. Cette chapelle se trouvait sur le lot de terre portant le numéro 33 sur le plan de la concession dite Bastaraçhe. Ce lot de terre appartient aujourd’hui à M. Etienne Comeau. Quoiqu’on ne trouve aucun document à ce sujet nous sommes d’opinion que le terrain où se trouve l’ancien cimetière sur la Pointe-à-Major fut choisi et béni par l’abbé Bourg lors de sa première visite à la baie Ste Marie, en octobre 1774, et qu’il ordonna en même temps aux habitants de bâtir une chapelle aux Grosses Coques. Il y avait déjà à cette date une population assez considérable dans Clare. En effet, d’après une énumération des familles acadiennes résidant à la Nouvelle-Écosse, transmise à la secretairie en 1771, nous voyons qu’à cette date il y avait 29 familles formant 98 âmes à la baie Ste Marie. Ces familles étaient échelonnées le long de la côte depuis l’Anse-des-LeBlanc, à St-Bernard, jusqu’à la Pointe-de-l’Eglise. * * * En 1768 le gouvernement accorda la permission aux Acadiens réfugiés au Port Royal d’aller occuper des terres à la baie Ste Marie et Joseph Dugas fut le premier à se prévaloir de cette autorisation pour aller s’y établir. Le 6 août 1771 le gouvernement accorda une concession de terre de 1,360 arpents à quatre Acadiens, et une autre en mai 1772 de 1,250 arpents à cinq autres Acadiens, une autre le 8 mai 1775 de 8,772 acres sous le nom de Concession Bastarache s’étendant de St-Bernard jusqu’à la Pointe-de-l’Eglise, et une autre le 18 février 1785 à 42 Acadiens contenant 6,743 acres, et s’étendant depuis la Pointe-de-l’Eglise jusqu’à Mavilette. Cette dernière concession est connue sous le nom de Concession des Jeunes. Nous continuerons cette étude dans le prochain numéro. PLACIDE P. GAUDET.