l'Abbé Sigogne

Newspaper
Year
1891
Month
1
Day
15
Article Title
l'Abbé Sigogne
Author
Benjamen Sulte
Page Number
1, 3
Article Type
Language
Article Contents
L’ABBE SIGOGNE [Du Courrier du Canada] A la dernière célébration de la fête nationale des Acadiens il a été parlé beaucoup du monument que l’on va ériger à la mémoire de l’abbé Sigogne à la baie Ste-Marie, sur les lieux mêmes où ce missionnaire distingué a exercé le saint ministère durant plus de quarante ans. Une curiosité bien légitime me porte à rechercher, à travers les livres de ma bibliothèque, ce qui peut avoir été imprimé concernant cet homme de mérite; j’y trouve amplement de quoi intéresser les lecteurs. I. La dispersion des Acadiens avait eu lieu en 1755 et ceux qui s’étaient réfugiés au Nouveau-Brunswick conservaient le désir de retourner dans leur pays, si bien que vers 1765, ils commencèrent à se mouvoir dans cette direction, au nombre de deux cents familles. A la suite du traité de paix de 1763, l’Angleterre avait donné ordre de laisser retourner en Acadie les exilés qui prêteraient le serment d’allégeance. Au printemps de 1766 la longue caravane des malheureux Acadiens était en marche, à travers forêts et rivières pour se rendre à Shédiac. M. Rameau dans sa Colonie Féodale nous fait une peinture attendrissante de leur état misérable : “A pied, et presque sans approvisionnements, les pèlerins affrontèrent les périls et la fatigue d’un retour par terre, en remontant les côtes de la baie de Fundy jusqu’à l’isthme de Shédiak, à travers cent quatre-vingts lieues de forêts... jamais on ne saura exactement ce que souffrirent ces malheureux, abandonnés et oubliés de tous, en se frayant une route dans le désert... C’est à peine si quelques traditions affaiblies de ce sublime et douloureux exode se trouvent encore éparses dans les récits des vieillards de la baie Sainte-Marie... Lorsque la colonne des proscrits, éclaircie par les fatigues de voyage, atteignit les bords du Pecoudiak, il y avait quatre mois qu’ils étaient en route... En cet endroit ils purent enfin se reposer... mais ils eurent à éprouver un grand serrement de cœur. On leur apprit que, dans le pays des Mines et de Port-Royal, toutes les habitations avaient été brûlées, les terres confisquées et distribuées à leurs persécuteurs... Cent vingt familles environ s’installèrent donc au milieu des Acadiens du Pecoudiak... Cinquante ou soixante familles reprirent de nouveau leur route... Ils visitèrent successivement Beaubassin, Piziguid, les Mines,... et les malheureux se traînaient de village en village, harassés par la fatigue et par un désespoir qui s’accroissaient à chaque étape; la dernière fut à Port-Royal... Les officiers anglais prirent le parti de les diriger un peu plus au sud, sur la baie Sainte-Marie, dont les rives inoccupées étaient alors bordées de vastes forêts. Les pauvres Acadiens épuisés et désespérés par tant de malheurs, ne sachant plus où porter leurs pas, se laissèrent conduire et finirent ainsi par s’échouer sur cette rive déserte, où des terres leur furent concédées le 23 décembre 1767; l’année suivante, en juillet 1768, on vit encore plusieurs Acadiens, tant dans le comté d’Annapolis que plus au nord, à Windsor, (Piziguid) demander des terres et offrir le serment d’allégeance; les solitudes de la baie Sainte-Marie commencèrent à se peupler... Sous la pression de la nécessité, les proscrits élevèrent des huttes; on se mit à pêcher, à chasser, les défrichements commencèrent et, bientôt avec les bois abattus on vit se montrer quelques grossières maisons... “Dans les premiers temps, on vécut surtout des produits de la pêche, et la recherche des baies les plus poissonneuses conduisit quelques-unes des familles acadiennes au delà du cap Fourchu (Yarmouth). Là ils s’établirent sur la plage de Tousquet, à l’embouchure d’une rivière qui contenait une quantité si considérable d’anguilles qu’elle en a conservé le nom; ils s’y rencontrèrent avec quelques anciennes familles de Port Royal; ces dernières, réfugiées dans les bois lors de la proscription (1755) s’y étaient constamment maintenues comme des outlaws ainsi que quelques tenanciers de la seigneurie de Pobomcoup. Pauvres gens, qui commençaient à reparaître sur la côte depuis la fin de la guerre ! Ils s'installèrent tous ensemble sur la rivière aux Anguilles, où l’abondance de la pêche subvenait facilement à leurs premiers besoins. Enfin, après quelques années, ils furent rejoints par plusieurs familles acadiennes, de celles qui étaient restées dans la Nouvelle-Angleterre et qui vinrent à Tousquet par mer. On comptait parmi ces derniers quelques membres de la famille d’Entremont, des anciens seigneurs de Pobomcoup; ces derniers étaient fort considérés par les officiers anglais, et on leur restitua une partie des terres qui constituaient jadis le patrimoine de leurs aïeux sur le havre de Pobomcoup que les Anglais appelèrent Punico. Non-seulement ils s’y établirent, mais ayant retrouvé des anciens tenanciers de leur seigneurie, tels que les Amiraut, les Duon, les Belliveaux, etc., ils se les adjoignirent et réinstallèrent ainsi en quelque sorte le vieux manoir et le vieux fief de Pobomcoup. Les Acadiens de ces quartiers participèrent également aux concessions de terres faites en octobre 1767 et au 1er juillet 1768, montant à 9,092 acres, puis ils obtinrent, par des actes spéciaux diverses autres concessions, en juin 1771 et janvier 1772, ensemble 2,200 acres. Dans ces circonstances, le nombre des Acadiens s’accrut tellement à Tousquet et sur la baie Sainte-Marie que, huit ans après leur établissement, un acte officiel du 8 mai 1775 constate les noms de quarante chefs de famille qui avaient pris des terres, rien qu’à Sainte-Marie (Clara). Si l’on y joint maintenant ceux qui ne figurent pas dans cet acte et ceux qui étaient établis à Tousquet, on peut facilement se convaincre que tout ce groupe du sud comptait quatre-vingts ou quatre-vingt cinq familles, c’est-à-dire environ quatre cent cinquante individus. Cette évaluation s’accorde d’ailleurs assez bien avec les chiffres fournis en 1803 par l’abbé Lartigues. Cependant, ils ne parvenaient guère qu’à pourvoir aux absolues nécessités de la vie, et dans les premiers temps, la pêche plus encore que la culture subvenait à leurs besoins. Ils s’organisaient péniblement et vivaient dans un isolement complet; on ne pouvait communiquer avec eux que par mer (Halliburton) et de 1772 à 1799, après l’abbé Bailly et l’abbé Ledru qui ne firent que passer, ils n’eurent d’autres secours religieux que la visite périodique d’un missionnaire qui venait une fois par au demeurer quelques jours parmi eux (l’abbé Bourg.) Cet état de choses dura jusqu’en 1799, époque où vint s’établir parmi eux l’abbé Sigogne.” Au printemps de 1766, vingt jours après l’arrivée des premiers Acadiens à la baie Ste-Marie, à l’endroit nommé Grosses Coques, naquit Joseph, fils de Paul Dugas, lequel vécut jusqu’en 1858 entouré de la considération de toute le Ville-Française comme on appelait la baie Sainte- Marie. II. Avant que de nous rendre à l’époque de l’abbé Sigogne il n’est pas sans intérêt de faire connaître les missionnaires catholiques qui l’avaient précédé dans les provinces maritimes. L’abbé Antoine-Simon Maillard, venu de France le 7 août 1741, fit les missions des sauvages de la Nouvelle-Ecosse et du cap Breton, Vicaire-général à Louisbourg, il s’en retira à la prise de cette place, et en 1754 fut capturé par les Anglais, mais il devint l’ami de ces derniers par sa science et par son amabilité, et en 1759 on le laissa libre de ses mouvements. Ce fut le seul prêtre toléré en Acadie. Il employa son influence sur les sauvages pour leur faire déposer les armes et se rapprocher du christianisme, aussi le vit-on à Halifax, respecté des protestants comme des catholiques. Cette ville devint sa résidence jusqu’en octobre 1768 où il mourut. Le gouvernement anglais lui avait construit une église; de plus, à titre de conciliateur des Micmacs, il recevait une pension de deux cents louis par année. Ses funérailles eurent lieu en grande pompe. Il a dû connaître l’arrivée des Acadiens à la baie Sainte-Marie, mais comme c’était dans les deux dernières années de sa carrière, il ne paraît pas qu’il s’en soit occupé. Charles-François Bailly de Messein, né à Varennes en 1740, ordonné prêtre en 1767, fut le successeur de l’abbé Maillard. On montre encore à l’anse aux Grosses Coques, au milieu d’un verger, l’emplacement de la première chapelle érigée pour les colons à l’arrivée de l’abbé Bailly. Nous avons, de la plume de Benjamin Franklin, un bel éloge de ce jeune prêtre, dont la juridiction s’étendait le long de la baie Sainte-Marie jusqu’au cap de Sable, sans compter Memramcook et Peticoudiac sur l’isthme; il visitait aussi les groupes acadiens formés au Cap-Breton et sur les rivages du golfe Saint-Laurent. En 1771 M. Bailly retourna au Canada et, onze ans plus tard fut fait evêque, coadjuteur de Mgr Hubert. Le légendaire, Père de la Brosse lui succéda en Acadie, durant quelques mois. Joseph Mathurin Bourg, né en Acadie en 1744 ordonné prêtre en 1772, revenait de France en 1773 lorsqu’il fut chargé de desservir ses compatriotes dans les différentes localités où ils commençaient à s’établir. Durant de longues années, il visita ponctuellement, et au prix des plus grandes fatigues, tous les établissements acadiens. Un prêtre français du diocèse de Tours, l’abbé Le Roux exerça aussi le ministère dans ces vastes contrées, de 1773 à 1788, avec un succès remarquable. Un dominicain, l’abbé Ledru, arriva en Acadie vers 1773 et en quitta la baie Sainte-Marie qu’en 1782; ensuite, jusqu’à 1788 il demeura à Memramcook. M. Bourg constate, en 1785, à la baie Sainte-Marie et au cap Sable, cent cinquante familles. En 1790 les divers groupes formés au sud de la presqu’île comptaient plus de sept cents âmes, chaque familles vivant sur la petite habitation bien cultivée; trois, églises étaient déjà bâties, avec un missionnaire français pour les desservir. III. Jean Maudet Sigogne, prêtre du diocèse de Tours, et dont le père avait été maire de Lyon, disent les vieux Acadiens, arriva d’Angleterre au mois de juin 1799 muni des meilleures recommandations pour les autorités à Halifax. Il s’attacha aux colons de la baie Sainte-Marie et, durant plus de quarante ans fut tout pour eux, aussi sa mémoire est-elle en vénération dans toutes les paroisses de la presqu’île. Voici en quels termes, M. Rameau parle de lui : “L’abbé Sigogne, se passionnant pour son œuvre, il ne voulut plus quitter les Acadiens même après la pacification de la France (1801) et il finit ses jours parmi eux à quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-six ans, en 1844. Non seulement il fut le restaurateur de la religion, mais aussi le promoteur de tous leurs progrès : ingénieur, architecte, créateur des entreprises, maître d’école et imprimeur tour à tour, il s’appropriait tous les rôles utiles à un peuple naissant. “Arrivé à Halifax avec la recommandation de plusieurs gentils hommes anglais qui avaient apprécié ses mérites en Angleterre, il y jouit, malgré sa qualité de Français, d’une grande considération et d’un grand crédit. A diverses reprises, il procura aux humbles communautés dont il était tacitement le chef, des avantages très importants, notamment quand il fit assurer à titre de réserves la propriété des immenses forêts qui s’étendaient en arrière de leurs villages. Nous devons avouer que nous avons vainement cherché la trace de cette concession dans les archives de la Nouvelle-Ecosse; le seul document contemporain de la Nouvelle-Ecosse que nous ayons rencontré relate une concession faite le 8 juin 1801 à vingt-six Acadiens de Tousquet pour quatre mille huit cent soixante-quatorze acres; mais il nous a été affirmé, tant à Sainte-Anne de Tousquet qu’a Sainte-Marie, que ce fut grâce à l’influence de M. Sigogne et par suite de ses démarches que l’on attribua aux Acadiens les grands bois qui s’étendent entre Suinte-Anne et les Forkes, ainsi que ceux qui sont entre Sainte-Anne et Corbery; et ces témoignages émanaient de gens si respectables et si autorisés que nous les croyons vrais. Le regard de M. Sigogne s’étendait au delà du présent et envisageait l’avenir; ses paroissiens, malgré ses exhortations, se sentaient alors peu d'attrait pour la culture, ils aimaient mieux la mer et attachaient une médiocre importance à un agrandissement territorial; c’est alors que, prévoyant une invasion d'émigrants anglais qui pourraient s’emparer peu à peu des terres vacantes, et voulant empêcher nos pauvres Français d’être cernés sans espoir d’extension pour leurs nombreuses familles, il leur assura par sou crédit ces magnifiques réserves sur lesquelles ils ont pu, dans ces derniers temps, faire essaimer leur population grandissante. Il s’y est ainsi formé des établissements contigus aux anciennes paroisses; groupes à peu près compacts où la langue et les traditions françaises se conservent avec soin.” Au mois d’août de cette année, M. Rameau, répondant à mes questions, écrivait les lignes suivantes, toutes empreintes du respect que ses études lui ont inspiré pour l’apôtre des Acadiens de Ste-Marie. Il m’invite à développer ses idées, mais hélas ! je n’ai pas acquis comme lui-même et l’abbé Casgrain cette connaissance personnelle des lieux et des hommes de l’Acadie, et j’aime mieux me taire en les écoutant parler de ce sujet toujours palpitant d’intérêt. Suivons M. Rameau : “J’ai appris que l’abbé Sigogne était de Touraine, par plusieurs Acadiens qui l’avaient connu. Dans les dernières années de sa vie entre 1832, et 1844, il fit venir de Touraine un de ses cousins nommé Belenfant ou Bonenfant, lequel s’établit sur la baie Sainte-Marie; les descendants de celui-ci doivent y exister encore: j’ai même rencontré, en 1861, l’un d’entre eux qui était tanneur à Digby sur le bassin de Port-Royal. “Vers 1815, l'abbé fut invité à revenir, en France, et on lui fit même de fort belles offres à ce sujet, mais il s’était tellement passionné pour l’œuvre qu’il avait entreprise, qu’il ne voulut jamais consentir à l’abandonner et qu’il resta jusqu’ à la fin de ses jours sur ces plages désertes, privé de tout confort et de toutes les consolations ordinaires de la vie morale et matérielle n’ayant d’autre plaisir et d'autre satisfaction que de voir se développer dans la religion et la civilisation les petites tribus qu’il avait assemblées et organisées. “L’abbé Sigogne est un des plus nobles caractères que l’on puisse trouver dans l’histoire; c’est lui qui a restauré la religion catholique en la nationalité française dans la Nouvelle-Ecosse et lorsque l’on considère l’état déplorable et dispersé dans lequel languissaient les Acadiens à la fin du dernier siècle, on reconnait qu’il a obtenu des résultats merveilleux comme prêtre et comme colonisateur. Son œuvre rappelle la civilisation antique. Il me fait penser aux chefs illustres qui ont présidé à la formatiou des sociétés primitives: Abraham,Moïse, Cadmus, Solon, Minos, Lycurgue, &c, prêtres ou patriarches; il y a autant de poésie dans la vie du vieil abbé que dans l’histoire d’aucun d’entre eux—seulement il y a moins de cinquante ans qu’il est mort. S’il y avait seulement deux mille ans entre lui et nous, on écrirait sur son compte une légende merveilleuse et héroique. “En tête des chroniques de la Nouvelle-France, il y a toute une partie héroïque et légendaire où les gens des siècles à venir trouveront matière à une poésie aussi féconde en curiosité qu’en enseignements utiles: Giffard de Beauport, D’Aulnay, les Sulpiciens de Montréal, l’abbé Sigogne &c. Ceux là sont de véritables organiseurs de peuples, des colonisateurs par excellence. “Les Anglais n’ont rien de pareil dans l’histoire de l’Amérique; c’est à peine si l’on peut comparer avec les nôtres le loyalist Georges, le pilgrim Winthrop et quelques antres puritains. Ceux-ci ont eu, certes! d’éminentes qualités, mais ils n’avaient ni cet esprit d’ensemble, ni ce désintéressement d’eux-mêmes qui fait les vrais organisateurs; aussi ont-ils été dans les colonies anglaises des sujets de discorde, plutôt que les foyers d’organisation. Chez ces Anglais, tout le monde marche à peu près du même pied, chacun faisant son petit milieu cela est vrai. Nos Français font peut-être moins bien, quand ils sont abandonnés à eux-mêmes, mais quand il se trouve un homme assez fort pour les grouper et les organiser “moralement et matériellement” en les entraînant d’ensemble ils sont capables de choses extraordinaires, pleines de grandeur, de poésie et de solidité. Voilà pourquoi le gouvernement naturel des Français est la monarchie et non pas la démocratie. Avec la première de ces formes ils peuvent échouer quelque fois, mais ils peuvent devenir grands et glorieux; avec la démocratie ils seront toujours à la queue des autres peuples. IV M. Colin Campbell, du département de la milice, est natif de Digby et, au cours de l’une de ses visites dans sa famille, en juillet dernier, il a relevé deux inscriptions concernant l’abbé Sigogne. Voici la première. Elle est placée sur un bloc de pierre massif que offre les apparences d’un cube grossièrement taillé. III non JUN MDCCC III DOM P. DENAUT Quebec. Has in oras Prim appulit Episcop et tribus Dieubus L’abbé Sigogne, auteur de cette inscription y dit : “Le 3 juin 1803 monseigneur P. Denaut débarqua pour la première fois sur cette côte en qualité d’évêque et, durant trois jours, officia comme évêque.” Au travers cette inscription latine un mot grec est employé pour éviter apparemment la répétition du mot “épiscop”, car ils signifient tous deux “ en qualité d’évêque.” La ligne d’écriture qui est sur le flanc du bloc rappelle que l’autel était en ce lieu. La pierre qui porte cette inscription repose en effet sur l’endroit même où était l’autel de l’église de l’abbé Sigogne (incendiée en 1820) à Church Point, ou Saulnierville, ou Port Acadie, tout près du phare. La grande route coupe à présent le site de l’église en question. Il y a quelques années une baleine d’une soixantaine de pieds de long s’échoua au rivage devant l’église. M. Gay fit monter la carcasse du monstre sur le mur du terrain de l’ancienne église et l’arrangea de manière à former une arche avec la machoire. L'été dernier on décora de verdure cette arcade d’un nouveau genre et on en fit un reposoir pour la “grande procession,” laquelle partit de l’église, traversa le tapis vert, qui s’étend jusqu’au monument de 1803, puis se rendit au reposoir en question. Près du bloc qui porte l’inscription de 1803 on voit encore la cave à moitié remplie, de la maison de l’abbé Sigogne; le talus recouvert de verdure qui regarde la mer est l’emplacement du jardin de ce digne homme. M. Campbell est revenu de Church Point très impressionné des souvenirs historiques dont le vénérable curé actuel, M. Gay lui a donné l’explication. Ce dernier est originaire de la Savoie, a été élève de Mgr Dupanloup et, depuis trente-cinq ans, il habite notre pays, ou il continue l’œuvre de l'abbé Sigogne. La tombe de l’abbé Sigogne se trouve à quelques pieds de la sacristie. Elle est couverte de cailloux empruntés au rivage voisin, et quatre pilliers bas supportent au dessus, une table d’un marbre assez commun. L’inscription tend à s’éffacer. Elle est conçue comme ceci : D.O. M. Hic Jacent Reliquae Rev. P. D. Johannis Sigogne, Sacerdotis Galli, Ex Agro Turonensis, Qui propter temporum angustias Exule Patria Per XLVII Annos in Nova Scotia Missionarius, Pius, atque Fidelis, Religionem propagavit Catholicam Et Tandem Plenus dierum ac meritorem Bonis omnibus flebilis occidit Et in Christi Pace Quievit Die IX Nov.Ann.MDCCCXLIV Annos Natus LXXXV. Pie Jesu Domine Dona Ei Requiem Amen Après avoir transcrit cette épitaphe M. Campbell dit : Je crois qu’il y a trois erreurs ou incorrections dans ces lignes. Premièrement le sculpteur a omis la lettre ‘O’ dans le terme propter, non pas faute d’espace, car il est au commencement de la ligne et cette ligne n’est pas la plus longue de l’inscription. En second lieu, M. Gay dit que le nom d’après la tradition locale, est Jean Mandé Sigogne. “Enfin, l’abbé ajoute que la durée des missions de M. Sigogne: “XLVII année” doit se lire “quarante-cinq” ou au plus “quarante-six” ans. Traduisons en français: A Dieu très Bon, très Grand. Ici reposent les restes du révérend P. D. Jean Sigogne, prêtre français de la province de Touraine, qui à la suite des troubles de son temps fut exilé de sa patrie et demeura quarante-sept ans à la Nouvelle-Ecosse comme missionnaire pieux et fidèle propagateur de la religion catholique, et enfin, plein de jours et de mérites, regretté par tous les gens de bien, mourant dans la paix du Christ, où il repose, le 9 novembre de l’année 1844, âgé de 85 ans. O doux Seigneur Jésus, donnez-lui la paix.—Ainsi soit-il. V On prépare en ce moment une grande croix de marbre qui remplacera la pierre tombale au lieu où est inhumé l’abbé Sigogne. Déjà une somme de six mille piastres a été réunie dans ce but. L’ancienne pierre sera transportée pans l’église. M. l’abbé Tanguay, dans son Répertoire du Clergé, écrit “ Jean-Maudet Sigogne ” M. Gay pense que c’est Jean-Mandé Sigogne. Il serait bon de vérifier ce point, ainsi que le nombre d’années que ce missionnaire a desservi les provinces maritimes afin d’écrire avec précision ce que l’on mettra sur le nouveau monument. M. Tanguay dit que M. Sigogne arriva de France en juillet 1798 par conséquent à sa mort il comptait quarante-six ans, trois mois et quelques jours de résidence dans notre pays. Cependant M. l’abbé Casgrain dit “ juillet 1799 ” et non pas 1798. J’ai un renseignement plus certain qui nous est fourni par M. Placide Gaudet, un érudit en ces matières. L’abbé Sigogne fit voile de Londres le 16 avril 1799, à bord du Stag, et débarqua à Halifax, le mercredi, 12 juin, à 8 heures du matin, Après avoir passé quelques jours à Halifax, il se rendit à Saint-Anne du Ruisseau de l’Anguille, le 4 juillet, et le 20 du même mois il arrivait à la Pointe-de-l’Eglise. Apropos, M. Campbell me dit que plusieurs Acadiens de Clare portent pour nom de baptême ou petit nom ou surnom, celui de Mondé, plus ordinairement prononcé Monday—sans doute à cause de l’accent anglais qui influence ici et là le langage des habitants français. Voilà un souvenir délicatement conservé, il est à espérer que l’on perpétue avec cette coutume la connaissance de la belle vie de Maudet Sigogne. On a imposé récemment le nom de Sigogne à une localité située à la sortie de la baie Sainte-Marie, côté-Est près du cap Sainte-Marie, comté de Digby, à dix milles ouest de Meteghan. BENJAMIN SULTE