Soyez les bienvenus

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Year
1890
Month
9
Day
25
Article Title
Soyez les bienvenus
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-------
Page Number
2
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Language
Article Contents
SOYEZ LES BIENVENUS. On peut aujourd’hui considérer assuré le projet de fonder une collège acadien à la Pointe-de-l’Eglise, Baie Ste Marie. Sa Grandeur Mgr O’Brien, archevêque de Halifax, animé du noble désir que les Acadiens habitant la partie ouest de son diocèse pussent jouir de l’avantage de donner à leurs garçons une éducation supérieure, et depuis longtemps secondé dans ce noble but par le Rev. M. Gay, a fortement encouragé M. l’abbé A. B. Parker, le zélé et actif curé de St. Bernard, de se mettre à la tête d’un mouvement dans le but de former un fonds pour la construction d’une maison d’éducation française à la Baie Ste Marie. Un brillant succès a couronné les démarches de M. le curé de St. Bernard. Notre éminent archevêque ne resta pas de son côté inactif. Voulant que le futur collège de la Pointe-de-l’Eglise fut dirigé par une communauté religieuse il s’adressa à divers ordres religieux tant au Canada qu’en France. Tous pour la plupart manquaient de sujets et ne purent en conséquence acquiescer à sa demande. C’est ainsi par exemple que les Pères de la Miséricorde, qui pour un temps avaient fait entendre à l’archevêque, qu’ils pensaient pouvoir venir prendre la direction de son collège, se sont trouvés empêchés d’accepter cette fondation. Cependant la divine Providence veillait sur l’érection du Monument Sigogne. Un ordre de saints prêtres religieux qu’on nomme eudistes, dont la maison principale est à Rennes, en Bretagne, et comptant aujourd’hui plus de trois cents prêtres, part les frères lais, s’est rendu au désir de Mgr l’archevêque O’Brien. Deux de leurs membres : les RR. PP. Blanche et Morin, viennent de traverser l’océan, et ont débarqué le 13 du courant à Halifax où ils ont été reçus à bras ouverts par notre illustre archevêque qui leur a immédiatement confié la desserte des paroisses de la Pointe-de-l’Eglise et de Saulnierville, et donné la direction du futur collège français de la Baie Ste Marie. Lundi soir ils arrivaient en cette ville et se sont faits aussitôt conduire à St. Bernard, chez M. l’abbé Parker, où par une coincidence remarquable se trouvait ce soir là le vénérable abbé J. M. Gay, qui depuis treize ans dessert la paroisse de Ste Marie avec un zèle et un dévouement sans bornes. Après avoir joui une couple de jours de la généreuse hospitalité de M. le curé do St. Bernard, et s’être longuement entretenus de la fondation du nouveau collège, ces deux Pères eudistes, qui, soit dit en passant, ne savent pas une traitre mot de la langue anglaise, se sont ensuite rendus à la Pointe-de-l’Eglise, où ils résident depuis. Dans peu de jours deux autres Pères du même ordre et un frère lai vont venir les rejoindre. Ces deux autres prêtres sont aussi des Française mais l’un d’eux connait parfaitement la langue anglaise et c’est lui qui sera chargé de l’enseigner dans le futur collège de la Pointe-de-l’Eglise. Le supérieur de l’établissement est le Rev. Père Blanche. Il va sous peu de jours ouvrir une classe dans une des salles de la maison curiale de la Pointe-de-l’Eglise pour les garçons de la localité, et jeter immédiatement les fondations du nouveau collège qui sera, nous dit-on bâti en face de l’église de Sainte Marie à quelques arpents du grand chemin. Soyez les bienvenus sur nos plages, zélés et courageux disciples d’Eudes. Votre arrivée au milieu de nous apporte la joie, la consolation et l’espérance, dans les cœurs des neuf mille Acadiens qui forment la population française de la Baie Ste Marie. Nos ancêtres, comme vous, sortaient de la Belle France, et ils furent les premiers à défricher le sol du pays d’Evangéline, colonie qui appartenait alors à la Fille ainée de l’Eglise. Dans l’espace de près d’un siècle, cinq fois la fière Albion s’en empara et cinq fois elle fut remise à la France. Enfin en 1710, l’Angleterre menace de nouveau de faire une descente sur nos plages. Envain la fille fait-elle un appel suppliant à la mère pour la secourir contre l’ennemi, la France reste sourde aux gémisements déchirants et aux prières de son enfant. Le brave et vaillant Subercasse après un siège héroïque est obligé de capituler et Port Royal, la capitale de l’Acadie, passe définitivement aux mains des Anglais qui lui enlèvent son nom et y substituent celui d’Annapolis. Trois ans plus tard Louis XIV cède toute l’Acadie à l’Angleterre, et quarante deux ans après le traité d’Utrecht, a lieu le bannissement de tous les Acadiens du sol qu’ils avaient arrosé et de leurs sueurs et de leur sang. Mais tirons le voile sur cette page lugubre de notre histoire, car le cœur se gonfle chaque fois qu’on y jette ses regards. Après onze années de misères, de privations et de souffrances inénarrables endurées dans les forêts, le long des côtes et en exil, quelques familles de ces infortunés proscrits vinrent fonder la Baie Ste Marie. C’était le 9 du courant le cent vingt-quatrième anniversaire de leur arrivée sur cette plage. Mais si la France est restée sourde à la prière de ses enfants dans un temps de grande détresse, elle s’est cependant, nombre d’années plus tard, rappelée qu’il existait au delà des mers des descendants de ceux qui dans un moment d’oubli elle avait abandonnés. Pour racheter sa faute elle nous envoya de pieux missionnaires, et c’est grâce à leur zèle et leur dévouement, ainsi qu’au généreux concours de nos frères les Canadiens, que nous avons conservé intacte le noble héritage que nous ont légué nos pères : Notre religion et notre langue. Au nombre de ces intrépides missionnaires celui qui prime par dessus tous est sans contredit l’apôtre de la Baie Ste Marie et du Cap de Sable, M. l’abbé J. M. Sigogne, et il est fort regrettable qu’un nom tant vénéré à juste titre ait été entièrement oublié dans les discours patriotiques de nos compatriotes du Nouveau-Brunswick, à la convention de la Pointe-de-l’Eglise. Pendant quarante-cinq ans il a combattu les bons combats pour ses ouailles : les Acadiens de la Baie Ste Marie et du Cap de Sable. Nombre d’années plus tard un autre illustre fils de la Belle France, M. E. Rameau de St-Père, a fait connaître au monde entier par des ouvrages aussi érudits que patriotiques que les Acadiens n’avaient pas été anéantis par la tragédie de 1755. Le Canada n’a pas non plus oublié ses frères les Acadiens. Il a envoyé au Nouveau-Brunswick un Lafrance et un Lefebvre pour répandre le flambeau de l’éducation parmi les populations acadiennes de cette province sœur. Un Landry, un Lussier et un Robidoux ont aussi quitté leur cher pays pour venir fonder en Acadie la presse acadienne. L’abbé Casgrain, cet autre illustre et sympathique Canadien, a flétri par sa vaillante plume les auteurs de l’ignoble expulsion et révendiqué l’honneur de nos ancêtres. Les fils de la Verte Erin ne nous ont pas non plus entièrement oubliés et nous sommes réjoui de pouvoir aujourd’hui leur en exprimer notre reconnaissance. Ce fut en effet le regretté et sympathique ami des Acadiens, feu Mgr Walsh, archevêque de Halifax, qui, en 1855, par une lettre—circulaire aux membres de son clergé qui desservaient les paroisses acadiennes de son diocèse, leur ordonna de célébrer le 10 septembre 1855, une messe solonnelle en réjouissance de la renaissance du peuple acadien, à l’occasion du centième anniversaire du premier embarquement des Acadiens de Grand Pré sur les navires qui devaient quelques semaines plus tard emmener tout un peuple en exil. Il nous amena aussi en la même année plusieurs prêtres de la France. Un d’entre eux est encore au milieu de nous : c’est le Rev. M. J. M. Gay, le bien-aimé curé de la Pointe-de-l’Eglise, qui pendant nombre d’années à fait des démarches incessantes auprès de ses supérieurs ecclésiastiques pour avoir un collège français à la Baie Ste Marie. Aujourd’hui que ses vœux sont réalisés il abandonne avec plaisir la cure qu’il desservait depuis treize ans pour la donner aux Pères Eudistes. Il peut avoir arrivé que parmi ceux qui ont siégé sur le trône épiscopal de Halifax il s’en soit trouvé quelques uns qui n’étaient pas aussi favorables à nation acadienne que feu l’archevêque Walsh. Mais aujourd’hui nous avons la consolation de trouver dans le prélat actuel, l’illustre Mgr C. O’Brien un ami sincère et dévoué des Acadiens. Il a à plusieurs reprises défendu de sa vaillante et élégante plume, dans les journaux d’Halifax, la mémoire des confesseurs de la foi de 1755 et de leurs missionnaires et flétri leurs oppresseurs. On l’a même attaqué dons une certaine presse sous le prétexte qu’il voulait comme quelques uns de ses prédécesseurs anglifier les Acadiens de son diocèse. Il a gardé un silence d’or sur ce sujet, et pour toute réponse à ses accusateurs, il vous fait venir, de la Belle France, vous disciples d'Eudes, pour fonder au milieu de nous un collège français. Honneur donc à l’illustre archevêque d’Halifax. Honneur donc à M. l’abbé Parker qui l’a si noblement secondé. Honneur donc, à vous, courageux et intrépides Bretons, qui venez au milieu de nous pour y répandre le flambeau de l’éducation. Vous avez devant vous un vaste champ à cultiver. Puissiez-vous être généreusement secondés dans votre noble et patriotique enterprise par les Acadiens de ces parages dont les enfants ont tant soif d’une bonne, saine et haute éducation. Encore une fois soyez les bienvenus.