Drapeau National

Year
1889
Month
9
Day
19
Article Title
Drapeau National
Author
D'Erlanges
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
Drapeau National M. le RÉDACTEUR – Dans sa communication du 5 du courant, Acadie nous dit magistralement qu’il pensait avoir suffisamment élucidé la question du drapeau national pour ne plus avoir la peine d’y revenir. Il doit être grandement étonné que tout le monde ne pense pas comme lui. Moi pour un, je ne vois pas qu’il ait jet grande lumière sur la question; au contraire. Il s’embrouille aisement et ne s’aperçoit pas que les meilleures preuves qu’il apporte à l’appui de ses assertions font contre lui et me donnent pleinement raison. Acadie me pouvait mieux server ma cause qu’en citant Dezobry et Bachelet. Ces savants lexicographe disent : “Le drapeau du 1er bataillon d’un régiment était blanc avec écusson aux armes de France.” Très bien. C’est là où je voulais en venir. Le 1er bataillon d’un régiment est celui qui marche en tête; le drapeau est toujours porté en avant du 1er rang, les couleurs – pas les drapeaux – les couleurs régimentals se portent dans le corps du régiment distribuées ordinairement par compagnies. Le drapeau national, le drapeau de l’état est celui qui est porté en tête du régiment, celui pour lequel les soldats se feront tuer jusqu’au dernier. Or, d’après Acadie, depuis Louis XIV jusqu’à Louis XVI le drapeau blanc avec écusson aux armes de France était le seul drapeau national. Or quelles étaient les armes ou armoiries de la France en ce temps-là? Les fleurs de lis. Le drapeau fleurdelisé était donc le drapeau de notre ancienne mère patrie. Rappelez-vous, Acadie, que Louis XIV mourut en 1715 après un glorieux regne de 72 ans. Mais longtemps avant cette époque le drapeau blanc était le drapeau de la France. Pour le prouver je vous citerai Goschler, Dictionnaire Encyclopédique de la Théologie Catholique, vol. 14, page 419, article oriflamme : “Oriflamme aurea flamma, l’antique étendard du royaume de France conservé au couvent de St. Denis. Elle avait la forme d’une lumière d’église et fut, dans l’origine, dit-on, le drap mortuaire de St. Denis ou le linge dans lequel étaient conservées ses reliques. A dater de Charles VII (1415) elle fut remplacée par le drapeau blanc.” Mais tout cela ne veut pas dire que le tricolore n’est pas le drapeau de la révolution. Acadie tient mordicus à ce que ce drapeau ait été le drapeau de la France avant le drapeau aux trois fleurs-de-lis, et même en dépit de Dezobry et Bachelet, qu’il cite pourtant. Et il se plaint qu’on le traite d’ignorant, et veut même qu’on lui fasse réparation. Ou vous êtes ignorant, Acadie – ignorant sur les faits dont il s’agit – ou pas de bonne foi. Je vous laisse l’embarras du choix. Je l’ai dit et je le maintiens, le drapeau tricolore n’a été inventé qu’en 1789 et n’avait jamais été ni connu ni arboré auparavant. Je crois l’avoir suffisamment prouvé dans ma dernière correspondance. Acadie nous dit que le tricolore a existé quarante ans auparavant sous Louis XVI [.] O Dii [!] Ce n’est sûrement pas Dezobry et Bachelet qui lui ont dit cela. Louis XVI naquit en 1754 et fut guillotiné par ses propres sujets, à l’ombre du tricolore, en 1793. Il n’avait; par conséquent, que 39 ans accomplis quand il mourut, sur lesquels il en avait regne 19. Comment le fameux tricolore a t-il pu flotter pendant quarante ans sous Louis XVI. Apprenez l’histoire, mon cher Acadie, apprenez l’histoire de notre ancienne mère-patrie. Acadie sait que la majorité de ceux qui le lisent n’en savent pas plus long que lui sur cette question, et comme c’est la majorité qui gouverne il se fait sûr de la victoire. Mais j’en appelle aux gens vraiment savants, à ceux qui connaissent l’histoire, surtout celle de France, si je n’ai pas raison quand je dis que le tricolore est le drapeau de la révolution, que ce drapeau n’avait jamais existé avant 1789. Acadie lui-même nous le dit quand il s’évertue à prouver que Mirabeau (Pouah!) fit décréter l’adoption de ce drapeau par l’assemblée constituante en 1790, de sorte que réellement mon drapeau tricolore serait d’un an plus ancien que le sien. Si vous avez raison quand vous dites que ce ne fut qu’en 1790 que le tricolore devint le drapeau national de la France, vous ne pouvez avoir raison quand vous dites que ce drapeau flottait depuis quarante ans sous Louis XVI. En 1815, disent les auteurs cités par Acadie, les drapeaux redevinnent blancs. Il l’avait donc déjà été! . . . . Je ne puis vraiment croire que Acadie soit sérieux quand il avance que le tricolore a été le drapeau de la France monarchique. Allons donc! Je vous défie, Acadie, vous et Dezobry et Bachelet de me nommer un seul roi de France, legitime s’entend, sous le regne duquel le tricolore ait été, ne fut ce que pour une journée, le drapeau de la France. Je ne vois pas, mon cher Acadie, pourquoi vous faites intervenir le Saint Père dans cette affaire. Ni le Pape, ni l’Eglise ne sont intéressées dans la question et je pense que l’une et l’autre existeraient quelque fut le drapeau national de la France ou de n’importe quelle autre nation. Parceque notre Saint Père le Pape “prétend” que l’Eglise peut s’entendre avec tous les systèmes de gouvernement, vous concluez qu’il n’est ni raisonnable ni honorable de vouloir faire paraître que le tricolore représente les principes révolutionnaires. En vérité en voilà une belle. Parceque le Saint Père prétend cette chose, il n’est ni raisonnable ni honorable de vouloir faire paraître que la vérité soit la vérité. . . . Risum tenentis ami ci. Le drapeau tricolore est le drapeau de la République française, dites vous Acadie! . . Hélas! nous ne le savons que trop, et vous auriez dû ajouter qu’il fut celui de Robespierre, de Danton, de Carrier et d’une foule d’autres ejusdem farinae; le drapeau blanc est le drapeau de la France chrétienne, et j’ajoute, celui de St. Louis, et de Charles VII et de Louis XVI et de combien d’autres encore. Le tricolore flotte, dit encore Acadie, depuis un demi siècle sur le Vatican, Oh! oh! . . . . Mais le drapeau de la libre Angleterre, ceux de la Catholique Espagne, et de la fière Allemagne; les aigles de la Russie, celles de la Prusse, ont flotté, non pas sur le Vatican, mais sur les résidences des ambassadeurs des diverses nations représentées auprès du Saint Père, non seulement depuis un demi siècle, mais depuis des siècles; et les fleurs-de-lis, les lilia nobilia de la France y ont flotté bien avant les trois couleurs de la révolution française. Il a flotté et il flotte encore, dites-vous, sur les palais cardinalices et autres institutions catholiques de la France et du monde entier. Oh! pas du monde entier, Acadie. Je ne sache pas que les cardinaux Anglais, non plus que les cardinaux américains ou italiens, aient arboré sur leurs palais respectifs le drapeau de votre predilection. Oh! quels crimes exécrables n’est il-pas été commis à l’ombre du drapeau que vous préconisez, Acadie, et que vous voudriez imposer à vos compatriotes, à un peuple qui se dit si fier de son origine, et qui est reconnu éminemment catholique. Le drapeau tricolore est bien réellement le drapeau de la révolution, non seulement en France, mais dans les autres pays révolutionnaires; en Italie par exemple. Avant le 15 juillet 1789, jour ou le renversement du trône et de l’autel fut résolu, ce drapeau n’avait jamais été connu. Il fut choisi d’emblée par une bande de dévergondés qui en se défaisant de la Monarchie voulurent détruire tout ce qui aurait pu rappeler cette. Monarchie au souvenir et à l’amour du peuple revenu à des idées plus saines, à de meilleurs sentiments. Ce drapeau a été choisi par les révolutionnaires, pour la révolution, et il est bien et dûment le symbôle de la révolution, cette fille du philosophisme français du XVIIIe siècle qui a été inaugurée en France en 1789. La révolution a été très bien définie par un profound penseur. “L’homme de la fin du dix-huitième siècle,” a écrit le baron Eckstein, “s’est posé Dieu, car Dieu seul est absolu. Comme Individu, il a proclamé les droits de l’homme, il s’est déclaré souverain de soi, irresponsable et ne relevant que de lui-même. Comme Peuple, il a proclamé la souveraineté absolue du peuple, il s’est déclaré infaillible dans la réunion de la foule, il s’est reconnu impeccable sous la forme du nombre. Comme Pouvoir, il s’est déclaré l’Etat, substitué à la société.” Suivant la pensée du vicomte de Bonald, “Commencée par la déclaration des droits de l’homme, la révolution française devenue cosmopolite, ne peut finir que par la reconnaissance des droits de Dieu.” D’ERLANGES.