Correspondance

Year
1890
Month
7
Day
31
Article Title
Correspondance
Author
D'Erlanges
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
CORRESPONDANCE. (Pour le COURRIER) Quel sera, en définitive, le drapeau national de l’Acadie? Les uns sont en faveur du drapeau qui, pour le présent, flotte sur la France, c.-à.-d. le tricolore, les autres en voudraient un autre. Il serait oiseux de recommencer une discussion qui a déjà peut-être assez longtemps duré. Il s’en faut cependant que tout ait été dit sur ce sujet. La question n’a pas été creusée jusqu'au tuf, disait dernièrement l’auteur des Propos Divers. A ce propos, je ne vois pas que personne ait fait aucune observation ou pour, ou contre la proposition de M. l’auteur des Propos, par rapport à sa suggestion de prier Sa Grâce Mgr l’Archevêque de benir le drapeau adopté à la Convention de Miscouche. Quant à moi, je n’approuve, ni n’improuve cette proposition. Mes opinions sur le tricolore sont, je crois, assez connues; cependant il y a tout lieu de croire que, si cette suggestion était approuvée, et que Sa Grâce voulût bien benir le drapeau acadien, quelqu’il fût, la question serait définitivement réglée. Cette bénédiction ou consécration des drapeaux est, d’ailleurs, en usage chez tous les peuples chrétiens. Dernièrement encore, en Angleterre, la consécration des nouveaux drapeaux pour l’armée anglaise a donné lieu à de magnifiques et très imposantes cérémonies. La Reine elle-même, et toute la cour y assistaient. Cette cérémonie avait lieu à Londres dans l’ancienne Abbaye de Westminster et était présidée par le Lord Evêque. Après la consécration de ces drapeaux, Sa Majesté les distribua elle-même, de ses Royales mains, aux députations des divers corps d’armées auxquels ces drapeaux étaient destinés, leur faisant prêter, de nouveau, le serment du drapeau, c’est-à-dire le serment de lui être fidèles, de ne jamais le livrer à l’ennemi, de le défendre jusqu’à la dernière goutte de leur sang. J’en reviens toujours à la question. Je ne puis sortir de là : Les Acadiens ont-ils vraiment besoin d’un drapeau, dans le sens que les partisans du tricolore donnent à ce mot? Pourquoi d'ailleurs, aller prendre le drapeau souillé de la Révolution Française, de préférence à tant d’autres qu’on aurait pu choisir? Qu’est-ce que les Acadiens doivent à la France, après tout? Lorsqu’en 1789, les complices de la Grande Révolution prirent pour emblème leur fameux tricolore, il y avait déjà longtemps que la France avait abandonné ce peuple à ses seules ressources. Dès 1698, et même avant, on avait déjà commencé à le laisser dans l’abandon : “L’on trouvait très échoquant pour les convenances et pour la digrâte de la cour de Versailles, que les Acadiens n’attendissent pas, pour manger, qu’on voulût bien penser à eux.” (Rameau, Une colonie féodale. Tome 1er p. 156). A la paix d’Utrachte (1713), “La France, dit encore M. Rameau, cédait l’Acadie à l’Angleterre, comme un objet de peu de valeur, sans explications, sans conditions spéciales, etc., etc.” La France en s’en allant, disait naguère un de nos adversaires, Acadie, a emporté avec elle le drapeau blanc. C’est très vrai…. Mais, vous a-t-elle rapporté le tricolore? Pourquoi le prendre, alors? Les Acadiens sont avant tout, et surtout, un peuple religieux. Or, ne semble-t-il pas qu’une bannière, ou un drapeau, si vous préférez ce mot, ayant un caractère religieux, conviendrait bien mieux à l’Acadie, qu’un drapeau militaire quelconque, que le tricolore avec une étoile. Que symbolise en effet, cette étoile?… L’Acadie a choisi, pour sa fête nationale, l’Assomption de la Très Sainte Vierge, et le chant de l’Ave Maris Stella pour son air patriotique. Qu’elle se choisisse donc un drapeau qui soit d’accord avec sa fête, avec son chant. Il y a quelque temps, “Lucius” émettait l’idée d’un drapeau bleu d’azur, (le bleu-ciel, on le sait, est la couleur de la T.-S. Vierge), avec une étoile. Encore faudrait-il savoir ce que signifierait cette étoile, car, pas plus dans le bleu-ciel que dans le bleu foncé du tricolore une étoile ne veut pas dire grand-chose. Je suis en faveur du drapeau proposé par “Lucius,” avec cette simple modification : le chiffre ou monogramme de la Très Sainte Vierge en lettres blanches ou jaunes d’or sur champ d’azur, au lieu de l’étoile. J’ose croire que cette idée rencontrera l’assentiment général, d’abord parce que ce serait, s’il est adopté, un drapeau tout à fait d’accord avec la Fête, avec le chant de l’Acadie, et puis parce que ce serait un drapeau qu’on n’aurait pas été emprunter ailleurs. Cette proposition est-elle acceptable? Je le crois, je dirai même très acceptable. Figurez-vous le bel effet que ferait un drapeau bleu au chiffre de la Vierge, au haut de ces […] de pavillon […] devant presque toutes nos Eglises Acadiennes. Ce serait […] drapeau […] drapeau qui serait vraiment nôtre, un drapeau qui ne rappellerait, comme le […] tricolore, aucuns temps malheureux, un drapeau évergé enfin. Oserai-je espérer que ma proposition sera prise en bonne part, et que quelques-uns voudront bien répondre et émettre leurs idées sur ce sujet si important. D’ERLANGES. 25 juillet, 1890.