La Question du Drapeau Acadien.

Year
1890
Month
6
Day
5
Article Title
La Question du Drapeau Acadien.
Author
Lucius
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
La Question du Drapeau Acadien. SUITE. Venons maintenant “aux contradictions dégoûtantes, révoltantes et indignes d'aucune personne qui veut écrire,” que Cosmopolite croit découvrir “en comparant les lettres de Lucius et ses avancés.” Avec la perspicacité et l’honnêteté qu’il a montrées, dans les autres parties de sa critique, il peut trouver toutes sortes de choses dans mes lettres. Je disais à la fin de ma lettre du 27 mars que “c’est précisément parceque le drapeau adopté à la convention de Miscouche n’est qu’une modification du drapeau de la France révolutionnaire qu’il ne peut être acceptable, honorable, il ne doit y avoir rien dans notre drapeau qui rappelle la Révolution française.” Dans ma dernière lettre (17 avril) j’ai dit : “Si jamais la France gouvernementale vient à abandonner les principes de 89, et que le drapeau tricolore continue à être son drapeau, alors, mais alors seulement, le drapeau tricolore sera un emblème respectable et honoré.” Notons en passant que dans la citation de ce dernier passage, Cosmopolite a omis les mots : “mais alors seulement,”—mis cette fois-ci en italiques. Entre les deux passages, il trouve une contradiction dégoûtante, révoltante, etc. Mettez à la suite de la première citation la clause : à moins que ce ne soit quelque chose qui ait été rendu honorable et acceptable par des actes particuliers de la France elle-même, et vous avez implicitement les sens des deux passages, Où est, la contradiction? Qu’est-ce qu’il peut y avoir de contradictoire entre deux propositions dont l’une est comme une clause conditionnelle, ou un cas d’exception par rapport à l’autre? D'ailleurs, il faut prendre en considération que ce que j’affirme dans la deuxième citation repose sur deux conditions bien définies, bien déterminées, lesquelles ne se réaliseront peut-être jamais. Au moins, la réalisation de la seconde est bien improbable. Si jamais la France revient de ses égarements et s’affirme de nouveau comme Fille aimée de l’Eglise – ce que nous pouvons espérer, car Dieu, dit la Sagesse, a fait des nations guérissables – elle brûlera ce qu’elle a adoré depuis 1789. Quand la France retrouvera son cri de gloire: DIEU ET PATRIE, quand elle se repentira de ses iniquités, qu’elle regrettera le sang innocent qu’elle a fait couler par torrents et qu’elle cessera d’insulter à la mémoire de ces nobles victimes, comme elle le fait encore aujourd’hui en continuant de chanter son horrible refrain, Qu’un sang impur abreuve nos sillons, elle aura honte du drapeau qu’elle a accepté des mains de la révolution, et elle le regrettera comme un odieux souvenir. Examinons l’autre “contradiction dégoûtante, révoltante, etc.” que Cosmopolite croit découvrir en comparant mes avancés. “Le 6 mars, Lucius dit : ‘Le drapeau tricolore n’est que modifié par l’apposition d’une étoile, au fond c’est encore le drapeau tricolore.’ Dans sa dernière lettre il dit : ‘La seule chose qui distingue le drapeau à la convention de Miscouche du drapeau actuel de la France, c’est l’étoile,’ etc. Si ce drapeau est distingué de celui de la France, que ce soit par une seule étoile ou par trois ou quatre constellations, comment peut-il être tout simplement le drapeau de la France?” Et qui lui dit que ce drapeau – le drapeau tricolore avec l’étoile qu’on y a apposée – est tout simplement celui de la France? Je dis bien que ce drapeau n’est qu’une modification de celui de la France, et que, au fond, c’est le drapeau tricolore, mais cela n’est pas l’équivalent de l’assertion qu’il me prête. Il est vrai que l’étoile établit un point de distinction entre le drapeau acadien et celui de la république française, mais il n’est pas moins vrai que c’est au drapeau de la république française qu’on a attaché une étoile pour faire de ce drapeau le drapeau acadien. Il n’y a de nouveau dans ce drapeau que l’étoile. L’étoile représente, symbolise l’Acadie; tout le rest du drapeau symbolise la France révolutionnaire. Il est vrai encore que les couleurs : bleu, blanc et rouge, ne sont pas le partage exclusif du drapeau de la république française; mais ce qui appartient en propre au drapeau de la république française, c’est une disposition particulière de ces mêmes couleurs, laquelle caractérise ce drapeau et le distingue de ceux de tous les pays du monde. Eh bien, ce sont ces couleurs réunies et disposées telles qu’elles le sont dans le drapeau de la république française qu’on a marquées au sceau de la nationalité acadienne. Et Cosmopolite voudrait nous faire accroire qu’il n’y a aucun rapport entre le drapeau acadien et celui que la France arbore depuis 1789. Dans ma réponse à sa première lettre, je lui disais : “Qu’importe maintenant que la France chrétienne ou la France révolutionnaire reconnaisse ou ne reconnaisse pas comme sien le drapeau tricolore marqué d’une étoile. Au milieu des admissions comme des négations de mes adversaires reste toujours le fait que l’étendard de la révolution française a servi à la confection du drapeau adopté à la convention de Miscouche.” Voilà le nœud de la question : c’est là ma principale objection contre l’adoption de ce drapeau, mais jusqu’ici, elle est restée sans réplique. Si l’abandon des principes de 89 peut effacer le souvenir de la révolution française, lequel rend le tricolore odieux, pourquoi, demande Cosmopolite, l’apposition de l’étoile, emblème acadien, n’aurait elle pas le même effet? Elle n’aurait pas le même effet, pour la simple raison que deux causes tout à fait différentes ne peuvent produire le même effet. “Cette étoile n’est-elle pas là pour montrer que les Acadiens désapprouvent, condamnent les principes de 89?” Les Acadiens désapprouvent, condamnent les principes de 89, mais ils ne l’ont certainement pas montré en attachant leur emblème au drapeau de la Révolution française. D’après le raisonnement de Cosmopolite, si les acadiens avaient attaché leur emblème au drapeau papal pour en faire leur drapeau, l’Italie serait là pour qu’ils désapprouvent, condamnent ce que le Pape approuve et sanctionne. Il faut conclure aussi d’après ses prémisses qu’il eût été indifférent d’apposer les armes de la confédération canadienne au drapeau tricolore, au drapeau américain, turc, chinois, ou à tout autre drapeau que le drapeau anglais. Avec les armoiries de la nationalité canadienne, ce drapeau quelconque serait devenu “tout simplement” le drapeau du Dominion, et personne n’aurait rien à dire. LUCIUS