Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire

Year
1910
Month
10
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27
Article Title
Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire
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1, 4, 5, 8
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Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire (Droits de reproduction réservés) (Suite) Après la prise de Port-Royal, en 1710, les Acadiens ne tardèrent pas à donner des preuves de leur sincérité, de leur bonne volonté et de leur loyauté envers le gouvernement anglais de Port-Royal. Les habitants des bourgs voisins prêtèrent immédiatement le serment d’allégeance. Les missionnaires ne s’y opposèrent point, quoiqu’ils fussent bien convaincus qu’à partir de ce jour un nouveau danger menaçait les Acadiens celui de l’apostasie, et ils s’efforcèrent de sortir les Acadiens de la Nouvelle-Ecosse. Tous ceux qui ont étudié notre histoire à toutes ses sources savent parfaitement que les premiers gouverneur anglais de la Nouvelle-Ecosse mirent tout en œuvre pour empêcher les Acadiens d’abandonner la province et de profiter des avantages que leur offrait la France en les invitant à venir s’établir soit au Cap-Breton ou à l’île Saint-Jean, aujourd’hui île du Prince-Edouard. Au printemps de 1715, peu de temps après la promulgation du traité d’Utrecht, les Acadiens n’ensemencèrent pas leurs terres. Ils attendaient la permission de pouvoir jouir du privilège qui leur avait été accordé, par le traité d’Utrecht, de sortir de la province. A diverses reprises, cette permission leur fut refusée, à moins qu’ils ne livrassent, à vil prix, leurs terres aux Anglais. Annapolis, où les nouveaux maîtres avaient élu domicile, était pauvre. Les districts des Mines et de Grand Pré, habités par des Acadiens, jouissaient au contraire d’une aisance relativement grande. Obligés de rester au pays, les Acadiens continuèrent donc, dès 1716, à semer, à récolter et à prospérer. Ils formaient un petit peuple pacifique. Ils n’avaient jamais servi sous les armes. Leurs pères mêmes n’avaient jamais été soldats, ni en Amérique, ni au pays de France. Ils étaient les descendants de paisibles paysans français. Ils n’aimaient point la guerre. Leur seul métier, leur unique genre de vie était le travail de la terre ou la pêche sur les côtes. Ils ne cherchaient point à nuire aux Anglais. Les missionnaires de l’époque avaient soin de les entretenir dans ces dispositions de paix. En janvier 1711, Vetch, gouverneur anglais d’Annapolis, fit enlever le curé du lieu, le Père Durand, pendant que celui-ci célébrait la sainte messe, et l’envoya prisonnier, à Boston, avec cinq habitants dont l’un mourut au sortir de sa captivité. Vetch continua de tourmenter les Anglais au sujet de leur religion au point qu’un officier anglais de Port-Royal, Vane, en écrivit au secrétaire d’Etat, lord Dartmouth, pour lui faire connaître les indignes traitements auxquels les Français étaient soumis à cause de leurs croyances religieuses. « Ce qui était très vexatoire pour les missionnaires, dit Casgrain, c’est que, au cœur même de la colonie, bien qu’elle fût sous la domination anglaise, les gouverneurs s’attaquaient d’abord aux églises qu’ils laissaient piller ou détruire. Ensuite on les voyait mettre toutes sortes d’entraves à la reconstruction de ces édifices religieux, dans l’espoir sans doute de dégoûter les Acadiens du culte catholique et de les attirer peu à peu vers les croyances hérétiques. » Ainsi, déjà aussi tard qu’en 1724, l’église de Port-Royal, détruite en 1710, n’était pas encore rebâtie. La faute n’en revenait pas assurément aux Acadiens qui l’auraient volontiers relevée sans retard, mais aux embarras de tout genre suscités aux missionnaires par les Anglais. Même le gouverneur Philipps, qui pourtant fut un des gouverneurs modérés et conciliants à l’égard des missionnaires français, fit bien des efforts pour assujettir la religion catholiques à des lois et à des usages jusque-là inconnus. Il exigea que les habitants des paroisses, quand ils auraient besoin d’un missionnaire, fussent obligés, pour l’obtenir, de présenter au gouvernement d’Annapolis une requête à cet effet. Ce n’est qu’à la condition que les autorités anglaises de la Nouvelle-Ecosse approuveraient leur requête qu’ils pouvaient s’adresser à l’évêque de Québec. Philipps alla plus loin. Il déclara à l’abbé de Breslay qu’il ne voulait plus de prêtres de Québec pour la desserte des paroisess dont les habitants étaient soumis à la Couronne anglaise. Il défendit en même temps aux habitants d’aller à l’Isle-Royale (Cap Breton) ou au Canada pour présenter des demandes de cette espèce. Il voulait que le grand-vicaire chargé de la direction des paroisses et des missions de l’Acadie fût nommé par le Saint-Siège, et que ce grand-vicaire résidât toujours à Annapolis. Exclure tous les prêtres français de la Nouvelle-Ecosse, les remplacer, à cette époque surtout, par des missionnaires qui ne connaissaient pas la langue française ou ne la parlaient que très imparfaitement, c’était le moyen le plus sûr de détourner les Acadiens du chemin de l’église et de les lancer dans la voie de l’apostasie. Nous allons voir ce que le vénérable abbé de Breslay eut à souffrir, en l’absence du gouverneur Philipps, de la part du lieutenant et substitut du gouverneur, le colonel Armstrong. Avant de narrer ces tristes épreuves, le lecteur aimera peut-être à lier connaissance, par une courte notice historique, avec cet abbé de Breslay, prêtre de noble famille et d’un rare mérite. Charles-René de Breslay naquit en 1658 d’une famille remarquable du Maine, France. En raison des influences de famille, il fut admis à l’âge de vingt et un ans à la cour de Louis XIV, où il fit partie de la suite du roi en qualité « de gentilhomme servant de la chambre du roi. » M. de Breslay occupa cette position durant dix ans jusqu’à ce que, dégoûté de la vie de la cour, il s’en alla au séminaire de Saint-Sulpice où il résolut, en 1694, de se préparer à la carrière sacerdotale. Le 1er février 1694, il s’affilia à la compagnie de Saint-Sulpice et fit des instances pour aller exercer le saint ministère dans la Nouvelle-France. Il partit le 3 avril de la même année. La traversée de l’Océan fut très rude et dura quatre mois : ce fut sa première épreuve, mais non sa dernière. A Montréal, tout en s’occupant du ministère des âmes, il étudia avec beaucoup d’application et de succès la langue algonquine, travailla énergiquement à la répression des boissons spiritueuses, prit une grande part à la construction du canal Lachine que son supérieur, M. Dollier de Casson, avait fait ouvrir dès l’année 1692. En 1703, il fut nommé curé de la paroisse de Saint-Louis, Montréal. Pour séparer les Sauvages du commerce des blancs, il fonda, pour ces premiers, une mission isolée, dans les îles de Vaudreuil. L’église, le presbytère et le centre de la mission furent établis à l’Ile-aux-Tourtes. Cette mission remplaça celle de la baie d’Urfé, près du lac Ontario, et le gouverneur général, l’intendant, les ministres de la cour, tous s’y intéressèrent vivement. M. de Breslay se dévoua à cette mission pendant seize ans. En 1714, il fonda la paroisse de Sainte-Anne-du-Bout-de-l’Ile, en reconnaissance d’une guérison miraculeuse dont il fut l’objet, paraît-il, après un accident très grave. Il ne put s’entendre avec le gouverneur général, M. de Vaudreuil, au sujet de la vente extravagante de l’eau-de-vie aux Sauvages que celui-ci persistait à autoriser, et, en 1720, il passa à l’ile Saint-Jean (aujourd’hui l’ile du Prince-Edouard). Il était alors âgé de 62 ans. Il y séjourna trois ans, et l’évêque de Québec l’envoya curé de Beaubassin, (Amherst) où il fit élever une église dédiée à la bienheureuse sainte Anne. Cette église fut brûlée en 1750. La pierre d’autel qu’on retira un peu fracturée des ruines de l’édifice incendié, est conservée au musée de l’Université du collège Saint-Joseph. En 1724, nous voyons le missionnaire de Breslay employé aux missions de Louisbourg. C’est de là qu’il passa à Port-Royal où les habitants l’avaient sollicité de venir prendre le desserte de leur paroisse, en remplacement des Récollets qui retournaient à Louisbourg. Depuis dix ans, Port-Royal était en paix sous la domination anglaise. Cependant les gouverneurs anglais n’avaient pas cessé de mettre toutes sortes d’obstacles à la construction de l’église et du presbytère détruits. Le conseil d’Etat assigna à l’abbé de Breslay, pour presbytère et chapelle, une maison connue sous le nom de fort Mohawk, située à l’extrémité du fort. C’est là que nous allons voir le lieutenant-gouverneur Armstrong épuiser sur ce noble et vénérable missionnaire toutes les ressources de son habileté et de son astuce pour le tromper et pour entraver son ministère. « Armstrong, dit l’abbé Casgrain, était un caractère exalté, inégal, passant sans transition de la douceur à la tyranniee, intéressé, etc. » C’est avec un haut fonctionnaire de cette trempe que le missionnaire de Breslay se vit obligé de vivre en contact journalier. Pour éviter des conflits avec ce fonctionnaire ombrageux, il lui fallait plus que la prudence et la patience d’un saint. Bien que l’abbé de Breslay prît toutes les précautions possibles pour ne pas s’attirer de reproches de la part du chef du conseil d’Annapolis, il vit bien qu’il ne pourrait réussir longtemps à se soustraire au fanatisme et aux dangereuses manœuvres de l’autorité civile. A cette époque, le Conseil anglais d’Annapolis administrait toute la province. L’administration faisait d’incessantes tentatives, sous l’inspiration des autorités d’outre-mer, pour arracher aux Acadiens un serment d’allégeance sans réserve. Le gouverneur Armstrong se crut de force de leur faire prêter ce serment, pendant son administration. C’était le temps, croyait-il, de déployer son zèle et de soumettre les Acadiens à des mesures per quae fama aucti officii quaeretur, comme dit Tacite, c’est-à-dire qui lui donneraient la réputation d’avoir fait plus que son devoir. On sait comment les ambitieux s’y prennent d’ordinaire pour monter aux honneurs et y faire briller leur incapacité. Armstrong recourut à tous ces moyens. Promesses astucieuses, cajoleries, menées corruptrices, intimidation, menaces sérieuses; rien ne fut épargné. Il ne put rien obtenir du vieux missionnaire. Il en vint alors à une rupture complète et aux voies de fait, à l’endroit de l’abbé de Breslay. Un dimanche, le 25 septembre 1725, à l’issue des vêpres, il convoqua tous les habitants de Port-Royal dit alors Annapolis, dans une salle de sa résidence, à l’un des bastions du fort. C’était pour les sommer de prêter immédiatement le serment d’allégeance. Mais, par une supercherie inqualifiable, quoique parfaitement prouvée par des documents authentiques, il présenta aux Acadiens une formule de serment qui portait que ceux-ci « seraient exempts du fait des armes et de la guerre contre les Français et les Sauvages. » Il fit signer leurs noms ou marquer la signature de leurs noms sur des feuilles de papier qu’il appendit ensuite à une autre formule anglaise de serment, laquelle ne contenait pas la clause d’exemption du port des armes, en cas de guerre, avec les Français et les Sauvages. Fier de cette belle équipée, Armstrong envoya cette dernière formule, avec les signatures y jointes, aux autorités anglaises. Cette comédie fut vite déjouée et condamnée par les missionnaires français du pays. Dès lors l’abbé de Breslay devint insupportable au lieutenant gouverneur. Nour n’en finirions point s’il fallait raconter toutes les persécutions dont les missionnaires furent désormais l’objet de la part d’Armstrong. « Un jour de dimanche, dit l’abbé Casgrain, pendant que le curé officiait à l’autel, le gouverneur Armstrong aussi agité qu’un énergumène, fonça dans l’église, et, en présence des fidèles consternées, apostropha le curé continua l’office pendant qu’Armstrong se retirait en vociférant des imprécations… Il (Armstrong) alla jusqu’à faire fouetter les Acadiens pour les faire déposer en cour contre leur curé. Un jour il arrive au presbytère avec quelques affidés, fait enfoncer les portes, fouiller tous les meubles et forcer les serrures pour en enlever les papiers. N’y trouvant rien de compromettant, il entre dans une rage d’épileptique, fait enlever tout le mobilier et dépouiller le pauvre missionnaire Breslay de tout ce qu’il possède, sans excepter ses animaux qu’il fait vendre et en empoche l’argent. » Dans un Etat présdent de l’Acadie, mémoire envoyé en 1731 au ministre de la Marine et des Colonies, il est dit que le lieutenant-gouverneur Armstrong attenta plusieurs fois à la vie de l’abbé de Breslay. Ce dernier fut même obligé, pour éviter la prison et la mort, de se réfugier dans les campements indiens où ce vieux septuagéniaire passa quatorze mois. C’est de là qu’il retourna au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, en 1735. Il était âgé de 77 ans. C’est ici l’occasion de dire quelques mots de plus au sujet de trois heures desservants venus de France à cette époque, ecclésiastiques ambitieux, peu formés, jaloux, de peu de jugement et dont les lettres écrites trop souvent aux officiers de la cour et enregistrées au ministère de la Marine et des Colonies, mettent nos meilleurs missionnaires en mauvaise lumière. De ce nombre furent, sous la domination anglaise en Acadie, les abbés Brault et Vauquelin que nous avons déjà mentionnées, et l’abbé Guay qui fit du ministère dans ce pays, quelques années avant l’occupation anglaise, de 1699 à 1702. Nous ne dirons rien nous même de ces ecclésiastiques, bien que nous ayons sous la main des documents authentiques à leur sujet. Nous préférons, uniquement pour appuyer notre thèse, relever quelques lignes seulement de ce l’abbé Casgrain a dit des deux premiers. Casgrain est un chroniqueur qui aime son franc parler. Il ne va pas ordinairement par deux chemins pour faire connaître ses hommes. Il a compulsé, du reste, toutes les archives des Sulpiciens et des Missions-Etrangères, qui se rapportent à nos missionnaires. De l’abbé Brault, natif du Mans, France, Casgrain dit : « Caractère brouillon, écervelé, ambitieux, il (Brault) s’était mis à la remorque d’Armstrong dans l’espoir de supplanter l’abbé de Breslay à Port-Royal. Il chercha à le miner dans l’esprit de ses confrères et à les préjuger contre lui. Ses intrigues réussirent un instant. Armstrong l’installa dans le presbytère de Port-Royal, après la retraite du curé; mais son absence de jugement et son incapacité l’en firent bientôt évincer. Il repassa en France d’où il n’aurait jamais du venir. » Au sujet de l’abbé Vauquelin, il écrit : « M. Vauquelin était pour le moins aussi incapable et aussi mal équilibré que l’abbé Brault. » Dans d’autres documents, il est dit : « L’abbé Guay était un bon prêtre et un honnête homme, mais sans expérience, d’un caractère difficile, nullement préparé aux travaux des missions. A Paris, on avait bien recommandé à l’évêque de Québec de l’éprouver et de le former avant de lui confier quelque poste éloigné; mais la pénurie de prêtres décida l’évêque et le séminaire à le diriger en Acadie, dès son arrivée (1699). On eut bientôt lieu de s’en repentir, car il souleva contre lui, par ses démarches irréfléchies, des plaintes si nombreuses qu’en 1702 le ministre le fit rappeler en France. » D’où il suit que les correspondances de ces jeunes ecclésiastiques avec le ministre de la Marine et des Colonies ou avec d’autres officiers supérieurs de la colonie doivent être estimées à leur poids et valeur. En parlent du missionnaire de Breslay, nous aurions pu produire les excellents certificats qu’il reçut du gouverneur Philipps et du major Cosby, mais revenons à Armstrong, car, de tous les gouverneurs, il n’y en a pas qui ait vomi plus d’injures contre les missionnaires qu’il qualifiait toujours d’ingouvernables. Il ne cessait de les noircir d’invectives, parce que les habitants allaient soumettre aux prêtres leurs sujets de dispute. Dans une lettre qu’il écrivit au duc de Newcastle, en date du 15 Novembre 1732, Armstrong dit : « Comme les habitants sont tous Français et catholiques romains, ils sont plus sujets de Québec et du Cap-Breton que de Sa Majesté dont ils semblent mépriser le gouvernement, étant gouvernés par les prêtres les plus insolents. (sic) J’espère recevoir une direction au sujet des mesures à prendre pour abattre leur insolence. » De plus, les Acadiens, race forte et morale, se multipliaient rapidement, et tous les gouverneurs, même Philipps, en séchaient de crainte et de dépit. « Ils forment aujourd’hui, disait le gouverneur Philipps, un corps formidable qui se répand sur toute la surface de la province, comme la descendance de Noé (like Noah’s progeny). » Deux ans plus tard, un autre officier anglais, M. Dunbar, ne s’effrayait pas moins de cet accroissement. « Ces habitants français, disait-il, se multiplient si rapidement que bientôt il n’y aura plus de terres pour d’autres sur ce continent. » Quant au choix des curés comme juges dans les contestations, il y avait, de la part des Acadiens, deux bonnes raisons pour justifier cette pratique. Premièrement, les magistrats anglais qui, de temps à autre, venaient de Port-Royal pour administrer la justice soit au Bassin-des-Mines, à Cobequid, à Beaubassin ou ailleurs, ne faisaient que passer, sans s’annoncer au préalable. Ils ne comprenaient pas le français, n’avaient pas toujours de bons interprètes, et, comme ils ne tenaient pas compte du droit coutumier français, ils n’avaient pas l’heur de donner satisfaction aux parties en litige. D’autre part, le missionnaire, lui, était incessamment au service du peuple. Il connaissait la situation temporelle des habitants, leurs relations sociales et de commerce, et était à même de donner une meilleure solution à leurs différends, quels qu’ils fussent. Nous trouvons, dans l’expédition de Du Vivier 1744, une excellente preuve que les missionnaires de l’Acadie s’appliquèrent scrupuleusement à faire observer aux Acadiens leurs promesses de neutralité. « Ce fut un grand désappointement, dit Casgrain, pour les troupes de l’expédition auxquelles on avait persuadé que leur débarquement à la baie Verte serait bientôt suivi d’un soulèvement général (des Acadiens). La route qu’il fallait suivre traversait toute l’Acadie française. L’occasion ne pouvait donc être plus belle pour constater le sentiment de la population. La petite armée s’était mise en marche accompagnée de plusieurs centaines de Sauvages du Cap-Breton, de l’île Saint-Jean et de la Nouvelle-Ecosse, conduits par leur missionnaire l’abbé de Loutre. Elle traversa toute la paroisse de Beaubassin (Amherst, Maccan et Nappan), toute celle de Cobequid (Truro) jusqu’au bassin des Mines, sans qu’il y eût d’autres manifestations parmi les habitants que des marques de déférence et d’amitié pour se faire pardonner l’abstention qu’ils étaient forcés d’observer. Il en fut de même pendant tout le trajet le long du bassin des Mines, à Pigiguit (Windsor), à la Grand Pré (Norton), à la Rivière aux Canards (Canning) et sur toute la route qui conduisait à Port Royal… Les curés, connaissant le projet d’invasion médité à Louisbourg, s’étaient concertés entre eux pour tenir la même ligne de conduite dans chacune des six paroisses qu’ils dirigeaient en Acadie, c’est-a-dire pour prêcher la neutralité à leurs fidèles aux jours de sollicitation et de danger. » A Cobequid, l’abbé Girard fut si circonspect envers l’expédition que sa conduite lui attira des reproches de la part du commandant français et plus tard de la cour de Versailles. A la Rivière-aux-Canards, le grand vicaire de Miniac ne fut pas moins réservé et prudent. On voit, dans sa correspondance à Québec, quelles craintes lui inspirait l’intervention des Français en Acadie. « Je regarderais comme le dernier malheur… s’il venait encore un parti du Canada. (Lettre de M. de Miniac à M. Vallier, 23 sept. 1745). » Après cela que l’on ne vienne plus, de grâce, nous dire que les missionnaires de l’Acadie soulevaient leurs paroissiens contre les Anglais. Le gouverneur anglais, Mascarene, en parlant d’eux, au mois de décembre 1744, moins de deux mois après le départ de l’expédition française, disait : « Les missionnaires ont fait paraître, en cette occasion, que leur conduite avait été bien meilleure que ce que l’on pouvait attendre d’eux, vû les circonstances – The missionaries also writt to me and made their conduct appear to have been on this occasion far better than could have been expected from them. » Tout ceci prouve que les expéditions de du Vivier, Louisbourg (1744), et de Ramezay, Québec (1747), demeurent dans l’histoire entièrement imputables aux gouverneurs de Québec et du Cap-Breton qui avaient sans doute leurs raisons pour lancer ces expéditions et qui, en plus, avaient les épaules suffisamment larges pour en porter la responsabilité devant le jugement de la postérité. Mais, évidemment, la faute n’en revient pas aux missionnaires de la Nouvelle-Ecosse qui ne désirent et ne demandèrent jamais ces invasions. Au contraire, ils les déplorèrent à cause de la position délicate dans laquelle ils se trouvaient placés. On n’en finirait plus s’il fallait raconter toutes les duretés exercées envers les prêtres de l’Acadie durant l’administration anglaise. Nous terminerons cette deuxième partie de notre plaidoyer en exposant quelques-unes des tracasseries que les missionnaires subirent sous les gouverneurs Cornwallis et Lawrence, avant les mémorables infortunes de 1755. En 1748, vers la fin de la guerre de la succession d’Autriche, la situation des missionnaires de l’Acadie était devenue intolérable. « Vers 1748, les missionnaires ne rencontraient autour d’eux, dit Casgrain, que défiance et soupçon. Telles étaient les préventions qu’on entretenait sur leur compte à Port-Royal qu’on ne répondait pas même à leurs lettres, d’après ce qu’en disait le grand-vicaire de Miniac; d’autre part, celles qu’ils recevaient des autorités françaises de Québec, de Louisbourg, de Versailles étaient pleines de reproches et de menaces. De part et d’autres, ils étaient accusés de trahison… Leur correspondance ne respire que tristesse et inquiétude. » Il est facile de comprendre combien ces conditions étaient pénibles. Non seulement le moindre de leurs actes était mal interprété, mais leur solitude et leur silence, secretum et silentium, étaient condamnés d’avance tant par les Français que par les Anglais. Sous l’administration de Cornwallis, les missionnaires de l’Acadie anglaise étaient les abbés Girard, Chevreulx, Saint-Poncy, de la Goudalie, Desenclaves et le grand vicaire de Miniac. Peu de temps après son arrivée au pays, ce gouverneur Cornwallis fit transporter le siège du gouvernement de Port-Royal à Halifax, ville qu’il venait de fonder. Il ne tarda pas à lancer une proclamation à l’effet que les Acadiens doivaient, sous trois mois, prêter un serment complet et sans réserve d’allégeance à l’Angleterre. Désormais les garanties de neutralité accordées par ses prédécesseurs devenaient nulles et ne seraient plus octroyées. C’était toute une révolution dans les conditions qui existaient depuis le traité d’Utrecht. Une des clauses de ce dernier traité avait dûment garanti aux Acadiens le libre exercice de la religion catholique. Cependant, vingt-trois ans après le traité, en 1736, les habitants de Port-Royal, dans une requête envoyée au roi Louis XV, disaient : « Nous supplions très humblement Votre grande Majesté de nous permettre de représenter la triste situation où nous sommes réduits, déclarant véritablement que dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste d’Annapolis-Royal, en la Nouvelle-Ecosse ou Acadie : « Que le 29 mai de l’année 1736, contrairement aux articles du traité de paix fait à Utrecht, et contrairement à toutes les promesses à nous faites, quand nous avons prêté le serment de fidélité à Sa Majesté Britannique le roi Georges II, le gouverneur Laurent Armstrong a fait défense à MM. de Saint-Poncy et Chauvrelx, nos deux prêtres missionnaires aussi dignes que nous en avons jamais eus, a fait défense, disons-nous, de dire la sainte messe, entrer dans l’église, entendre nos confessions, nous administrer les autres sacrements et faire aucune de leurs fonctions ecclésiastiques, mis aux arrêts et obligé de partir les dits missionnaires, sans que le gouverneur, ni autres personnes qu’il a pu faire tomber dans son avis, aient pu nous faire connaître, ni qu’ils puissent prouver que nos susdits et dignes missionnaires aient d’autres fautes que celle dont ils prétendent les trouver coupables, de n’avoir pas voulu aller loin de notre paroisse, reelever un brigantin, ce qui regarde en rien nos dignes missionnaires ni leurs fonctions. » (Archives de la Marine et des Colonies). Au reste, le serment sas réserve n’était chez Cornwallis qu’un leurre. Le projet de Shirley, gouverneur du Massachusetts, montre tout clairement qu’on voulait pousser les Acadiens à l’abjuration du catholicisme. Voilà ce que proposait Shirley en 1748 : « To intersperse protestant settlements among the French in Nova Scotia, taking part of the marsh lands from them for the new settlers, granting small privileges and immunities for the encouragement of such as should come over to the protestant communion and send their children to learn English. » (B. Murdock, History of Nova Scotia, Vol. II pp. 129-131). Il s’agissait donc de l’enlèvement des terres et de l’achat des consciences. Le gouverneur Cornwallis ne voulait plus de prêtres français : il faisait incarcérer ceux qu’il y avait au pays. Le serment sans réserve exigé par le susdit gouverneur obligeait les Acadiens, advenant l’occasion, de prendre les armes contre leurs propres compatriotes. Et pourtant le gouverneur Armstrong leur avait dit, quelques années auparavant : « Mes amis, vous n’avez aucune raison de craindre qu’on vous force à prendre les armes, car les lois de la Grande-Bretagne interdisent à tous catholiques romains de servir dans les armées anglaises. » Après la nouvelle proclamation, les Acadiens adressèrent au gouverneur Cornwallis une requête pour demander l’autorisation de sortir de la province. Le gouverneur ne s’y opposa point formellement, mais, dans sa réponse, il leur enjoignait de se procurer des passeports. Il ne pouvait pas, leur dit-il, en accorder maintenant; il fallait attendre que la paix fût rétablie dans la province. Il concluait en leur rappelant l’obligation de prêter serment, puis leur défendait de faire des assemblées sans une permission spéciale. Enfin il leur déclarait que ceux qui s’éloigneraient ne pourraient emporter aucun de leurs effets avec eux, et que tous leurs biens seraient confisqués. Virtuellement, il les déclarait prisonniers. Qui peut blâmer les missionnaires de s’être opposés à ce serment sans réserve? L’abbé Leloutre, saint homme et en même temps le missionnaire le plus dévoué à la cause de la justice que l’Acadie ait jamais possédé, résidait alors à Beauséjour, en dehors du territoire qui tombait sous la juridiction anglaise. Quand arriva la proclamation du gouverneur anglais, l’abbé Leloutre engagea fortement les Acadiens de la Nouvelle-Ecosse à passer de l’autre côté de l’isthme de Chignectou et de se réfugier sous les drapeau français. Un tel torrent d’émigration se dirigea du côté de Beauséjour, après l’édit de Cornwallis, que celui-ci en fut effrayé. Il avait déjà fait incarcérer à Halifax l’abbé Girard, curé de Cobequid (Truro), parce que ce dernier avait conseillé à ses paroissiens de ne pas prêter le serment sans réserve qu’on leur demandait. A la demande réitérée des habitants du bassin des Mines, le gouverneur finit cependant par lui rendre la liberté, à la condition expresse que ce missionnaire ne s’éloignerait pas du canton des Mines sans une autorisation écrite de la main des autorités. Nous avons déjà dit que l’intendant Hocquart, dans une lettre adressé, en 1745, à l’évêque de Québec, se plaignait amèrement de trois prêtres de l’Acadie qu’il accusait presque de félonie et de trahison envers la cause de la justice et de l’humanité. Il faisait entendre à l’évêque que, agissant sous la folle inspiration d’une prétendue loyauté à l’Angleterre, le missionnaire Desenclaves mettait le gouverneur anglais d’Annapolis au courant de tout ce qu’il savait être dangereux aux intérêts anglais, et que le curé Chauvreulx lançait de la chaire sacrée les foudres de l’Eglise contre ceux de ses paroissiens qui ne respectaient pas la neutralité jurée. Nous allons voir comment certains gouverneurs anglais récompensèrent ces missionnaires pour ces services que les Français leur reprochaient. Nous venons de dire plus haut que l’abbé Girard, pour s’être ingéré dans l’affaire du serment sans condition, avait été emprisonné à Halifax. A leur tour, les abbés Chauvreulx et Desenclaves furent mandés à Halifax, comparurent devant le gouverneur Cornwallis et subirent un interrogatoire très minutieux au sujet de leur conduite relative au serment d’allégeance sans réserve. Ils reçurent des ordres sévères à l’endroit de ce serment sans restriction; ils ne firent cependant aucune promesse. Ils avaient charge d’âmes; ils avaient les grâces d’état. Dieu ne permit pas qu’ils eussent la faiblesse de capituler devant leur devoir. Ceux qui prétendent que les missionnaires auraient dû accepter alors les conditions de Cornwallis et encourager leurs ouailles à prêter le serment d’allégeance demandé, oublient ou ignorent que les conditions et la situation de cette époque n’étaient pas les mêmes que celles d’aujourd’hui. Ils ne tiennent pas compte de l’intolérance, du fanatisme, de l’esprit de prosélytisme des vainqueurs. Une fusion immédiate, complète des Acadiens avec les Anglais aurait amené assurément, à courte échéance, les circonstances de l’époque aidant, de nombreuses défections dans la foi de nos pères. Il est dit dans l’ancien Testament qu’auprès la prise de l’Egypte et de Jérusalem, le roi Antiochus Epiphane (175-164 av J. C.) publia un édit dans tout son royaume afin que tous ne fissent plus qu’un seul peuple et que chacun abandonnât sa loi particulière. Tous les Gentils se conformèrent à l’ordre du roi et beaucoup d’Israélites consentirent aussi à suivre le nouveau culte, sacrifièrent aux idoles et profanèrent le sabbat. Les livres de l’alliance et de la loi furent brûlés et, un jour de chaque mois, dans les villes, tous les Israélites qui avaient été surpris en contravention avec le nouvel édit étaient exécutés. Mais il parut en ce temps là des hommes qui s’appelaient Mathathias, le père, et (illisible) Jean, Simon, Judas, Eléazar et Jonathas, les six sauveurs du peuple d’Israël, qui ne se soumirent point au injonctions d’Antiochus le persécuteur. En voyant les outrages qui se commettaient en Juda et à Jérusalem, Mathathias et ses fils déchirèrent leurs vêtements, se couvrirent de sacs et menèrent grand deuil. Puis, quand les officiers du roi s’adressèrent à Mathathias et lui demandèrent, à cause de sa considération et de son influence, d’approcher le premier et d’exécuter les commandements du roi Antiochus, Mathathias répondit à haute voix : « Quand toutes les nations qui font partie du royaume d’Antiochus lui obéraient, chacune abandonnant le culte de ses pères et se soumettant volontiers à ses ordres, moi, mes fils, et mes frères, nous suivrons l’alliance de nos pères. Que Dieu nous garde d’abandonner la loi et ses préceptes! Nous n’obéirons pas aux ordres du roi, pour nous écarter de notre culte soit à droite soit à gauche. » Et, parcourant la ville, Mathathias cria à haute voix : « Quiconque a le zèle de la loi et maintient l’alliance, qu’il sorte de la ville et me suivre! » Et il s’enfuit, lui et ses fils, dans la montagne, abandonnant tout ce qu’il possédait dans la ville. Et un grand nombre de Juifs qui cherchaient la justice et la loi descendirent aussi dans le désert pour y demeureur. Telle fut la conduite des six braves missionnaires de la péninsule acadienne et des fidèles soumis à leurs instructions. Ils préférèrent se retirer devant l’ennemi que de pactiser avec lui au détriment de leur devoir. Le grand vicaire de Miniac et l’abbé de la Goudalie, plutôt que de faire des promesses dangereuses, s’en allèrent à Nantes, en France, dans la communauté de Saint Clément, où ils moururent tous deux dans la même année, en 1752. Honneur et hommage à ces braves confesseurs de la foi! L’abbé Girard, qui était au Bassin des Mines, fut enlevé, on ne sait pas comment et pourquoi, par un parti de Micmacs et conduits à la baie de Tatamagouche, comté de Cumberland, d’où il réussit à s’échapper et à passer à l’ile Saint-Jean. Quelques historiens anglais se sont plaints de l’abbé Lemaire qui remplaça l’abbé Girard, mais ils n’ont pas déclaré franchement la cause des bizarreries du pauvre jeune missionnaire qui perdit la raison et demeura dans cet état au-delà d’un an. Les actes que les historiens lui reprochent lui échappèrent avant que sa folie fût assez connue pour qu’on jugeât bon de le mettre sous une stricte et continuelle surveillance. Ce fut l’espionnage dont ce missionnaire avait été l’objet de la part des officiers anglais du fort Edward à Pigiguit (Windsor, N. S.) et aussi les fatigues de ministère pastoral qui ébranlèrent ses nerfs, exaltèrent son esprit et le conduisirent graduellement à la démence. Un des curés de l’Acadie le retira chez lui et, avec des soins et des distractions, les agitations de son esprit se clamèrent peu à peu et il put rendre plus tard de très bons services dans la paroisse de la Rivière-aux-Canards. L’abbé Daudin, le nouveau curé de Pigiguit, écrivait, à la date du 23 octobre 1753, ce qui suit dans une lettre adressée au commissaire-ordonnateur de Louisbourg, M. Prévost : « L’abbé Lemaire nous a causé beaucoup de chagrin et à M. l’abbé Chauvreulx. Le pauvre garçon a eu le malheur de perdre son bon sens!... Il méconnaît les ordres qu’on lui a envoyés… Il se dit conduit en tout par Jésus-Christ, etc. Après Cornwallis vint le gouverneur anglais Peregrine Hopson, militaire au cœur noble et généreux, aux sentiments de justice, de probité et d’humanité. Il n’eut pas à se plaindre des missionnaires, ni les missionnaires de lui. C’est en remplacement de Hopson que le célèbre Lawrence entra en fonctions. Casgrain dit quelque part que Lawrence « n’était qu’un vil et cupide marchand avec des instincts de scélérat. » Le missionnaire Daudin dit que, sous Lawrence, « on cessa d’administrer la justice, on ne répondit plus aux lettres ni aux requêtes. Pour le moindre prétexte, sur un simple soupçon, on jetait un citoyen dans les fers. Les prisons furent bientôt remplies. On ne parlait aux habitants que pour leur annoncer leur désastre futur et prochain; on leur disait qu’on les ferait esclaves, qu’on les disperserait comme les Irlandais; on ne parlait que de brûler les maisons et de ravager les campagnes : bref tout leur annonçait la destruction de leur nation. » (A continuer)